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Un fédéralisme à la française : une fausse bonne idée ?

J’écoutais hier, sur une chaîne d’information, Jean-Louis Borloo plaider pour une réforme fédéraliste comme remède aux désordres que traverse la France. J’ai eu envie de lui répondre, car l’homme est brillant, visiblement passionné, et nous manquons cruellement de débats de qualité.

Il s’est longuement attardé sur la crise actuelle — un préalable nécessaire à toute proposition de solution. Il a parlé de « faillite », rappelant qu’une entreprise en faillite ne souffre pas seulement d’une crise de liquidités, mais d’un dysfonctionnement global. Une comparaison que je ne reprendrais pas totalement à mon compte, mais qui, venue d’une personnalité de son expérience, renvoie certains députés « Ensemble » à leurs contradictions.

J’en entendais une, récemment, plaider contre la dissolution parlementaire et nous expliquer que « ça ne va pas si mal », que la crise est surmontable, et qu’il faudrait plutôt s’entendre dans le cadre d’une coalition « à l’allemande ». Mais Jean-Louis Borloo, lui, préfère « renverser la table ». Après ce constat asséné à coups de marteau, il en est venu à diagnostiquer un mal structurel : notre système n’est ni vraiment centralisé, ni complètement décentralisé. Résultat, à force de niveaux de décision superposés, on s’occupe de tout sans rien maîtriser. Il en a donné des exemples, il a raison sur ce point. Et, en conclusion, il en appelle au fédéralisme : un système à inventer, où l’État ne s’occuperait que du régalien, laissant le reste aux régions. Une idée si séduisante que 60 % des Français y seraient favorables, selon un récent sondage.

Je suis contre. Mais encore faut-il l’expliquer.

Jean-Louis Borloo escamote — car il est trop fin pour l’oublier — un point essentiel : cette réflexion ne peut se limiter au cadre national. Elle doit intégrer la question européenne et notre vassalité croissante à la Commission de Bruxelles.

C’est là que réside ma réticence principale, même si je crains aussi que ce fédéralisme ne coûte cher au contribuable. Celui-ci serait d’ailleurs traité différemment selon les régions, posant une question constitutionnelle majeure : l’égalité des Français devant l’impôt. Sans doute créerait-on des emplois… mais des emplois de fonctionnaires, sans création de richesse ni de valeur ajoutée.

Même si les régions fédérées, en prélevant des impôts locaux, assuraient leurs nouvelles missions, l’État continuerait de s’immiscer partout. Il ne réduirait ni son train de vie, ni le nombre pléthorique de ses agences et fonctionnaires, ni les impôts qu’il perçoit. Mais ma critique va plus loin.

Notre culture politique, celle qui a fait notre grandeur, repose sur le centralisme d’un État souverain. Pourtant, sous la pression des européistes et des internationalistes, notre classe politique prône la disparition de cet État. Celui-ci a déjà abandonné une partie essentielle de ses prérogatives : à la technocratie bruxelloise, aux grandes entreprises aux ancrages nationaux fragiles, et bientôt, à une Europe qui ne cache plus ses ambitions impériales.

Le débat sur l’État de droit est biaisé, car la souveraineté et la démocratie — foulées au pied chaque jour par nos parlementaires — en sont les fondements. Notre État ne contrôle plus ses frontières, ni ses flux migratoires. Il ne maîtrise plus son économie depuis qu’il a renoncé à sa monnaie pour un mark rebaptisé « euro », ni sa capacité à fixer le prix de son énergie, partie des coûts de production. Il ne décide même plus des traités commerciaux qu’on lui impose. Bientôt, il n’aura plus de diplomatie, plus de défense, et deviendra invisible.

Pire : la Commission européenne s’est arrogée, sans légitimité constitutionnelle, le droit de mener sa propre diplomatie. Elle a embauché, pour la diriger, un clone d’Ursula von der Leyen, et cette dernière s’invite aux réunions sur la défense comme un chef d’État. L’UE s’est octroyé ces pouvoirs comme une grande, mais elle n’a de grand que ses prétentions.

Demander à un État déjà vidé de ses pouvoirs par le haut (Bruxelles) de se départir du reste par le bas (les régions), c’est accélérer sa disparition. Avec un peu d’humour, on pourrait dire qu’après avoir enlevé le haut, on lui demande d’enlever le bas… et à révéler que le roi est nu et son corps décharné.

Jean-Louis Borloo prétend que c’est le « sens de l’histoire ». Mais, faute d’être déjà écrite, cette histoire n’a aucun sens. L’idée d’une Europe continentale n’est pas nouvelle : elle aurait pu être française, imposée par le sabre de Napoléon, ou allemande, sous le joug d’Hitler. La partie n’est pas jouée.

Le fédéralisme qu’on nous propose ressemble étrangement à un « machin » : un empire européen dominé par une Allemagne réarmée, un nouveau Reich dont les länder seraient dirigés depuis Bruxelles par les successeurs de la chancelière Ursula von der Leyen. Remarquons qu’Emmanuel Macron, le plus européiste de nos présidents, a proposé de partager notre siège au Conseil de sécurité de l’ONU avec l’Allemagne, puis d’européaniser notre dissuasion nucléaire. En somme, il s’agit de rendre à l’Allemagne ce que le général de Gaulle avait bâti pour défendre notre indépendance.

Ce projet fédéraliste conduira à la disparition de la France, à la fois comme État, vidé de sa substance, et comme nation, diluée dans un ensemble sans âme. N’a-t-on pas entendu Macron affirmer que « la France n’a pas de culture » ?

Enfin, à la question « Comment faire ? », Borloo évoque la Pologne de Solidarnosc : un processus populaire, inattendu, révolutionnaire. Mais la France n’est pas la Pologne, et pour deux raisons.

D’abord, le peuple français n’est pas révolutionnaire — ce que Jean-Luc Mélenchon doit regretter. Les Parisiens ont bien pris la Bastille, mais dans des conditions bien particulières. Ensuite, l’État français, grâce à une fonction publique nombreuse et dévouée, a toujours « tenu » le peuple. Les Gilets jaunes en ont fait l’amère expérience. Et continue dans ce désordre si évident à le tenir.

Les dernières initiatives de la Commission européenne (comme l’identité numérique) visent d’ailleurs à transformer l’UE en un empire à la chinoise. Un jour, les manifestations non autorisées place de la République seront peut-être réprimées comme celles de la place Tiananmen.

Si une politique doit être cohérente et globale, elle ne peut se décider ni à Bruxelles ni dans des capitales régionales. Elle doit se penser à Paris, ou ne sera qu’un leurre de plus.

Pour conclure avec une pointe d’ironie : le fédéralisme à la française risque de nous laisser avec le corps nu d’un roi décharné… et émasculé.

Peux-tu m’aider à corriger un article politique pour mon blog : cohérence, syntaxe, en conservant un ton humoristique ou acerbe ?

L’Union européenne, ou l’utopie aristocratique revisitée

La construction de l’Union européenne n’est rien de moins qu’une utopie aristocratique, au sens premier du terme. Relire La République de Platon, c’est découvrir une troublante résonance entre un texte antique et notre réalité contemporaine. Je ne cherche pas ici à établir une comparaison terme à terme, mais à faire dialoguer deux époques séparées par plus de deux millénaires — et, ce faisant, à révéler les illusions persistantes d’un projet politique qui méprise la démocratie au nom de la raison technocratique.

Platon, comme Socrate dont il se fait l’écho dans ses dialogues, n’aimait pas la démocratie – et pas plus que son disciple Aristote. Et si on ne craignait pas l’anachronisme, on pourrait dire qu’il la jugeait trop populiste. Ce jugement, d’ailleurs, n’est pas sans écho chez d’autres philosophes, de Nietzsche à Nicolás Gómez Dávila (Les Horreurs de la démocratie). À sa décharge, Platon ne prônait ni l’oligarchie ni la monarchie. Il défendait une aristocratie — le gouvernement des meilleurs, des plus capables, des plus sages. Mais cette idéologie se heurte à deux écueils majeurs.

Tout d’abord, un totalitarisme larvé. Platon compare explicitement le peuple à un troupeau et ses dirigeants à des gardiens assistés de chiens. Pire : son projet inclut une forme d’eugénisme d’État, où les citoyens « mal constitués » de corps ou d’âme doivent être éliminés, et où les mariages sont organisés afin d’« améliorer la race ». Ces propositions, qui évoquent les pires dérives du XXe siècle, trahissent une vision inhumaine de la perfection politique. En second lieu, l’utopie platonicienne souffre d’une folie rationaliste : croire possible, voire souhaitable, la construction d’un État idéal, achevé, comme si l’Histoire pouvait s’arrêter — une illusion que Francis Fukuyama a cru, à tort, voir se réaliser avec la fin de la Guerre froide et le développement des démocraties parlementaires.

Pourtant, une idée au moins mérite d’être sauvée de ce naufrage conceptuel : l’égalité radicale entre hommes et femmes.

L’Union européenne, ou Platon en costume-cravate.

C’est sur ces points que le parallèle avec l’UE devient saisissant. L’Union, qui fut d’abord un projet économique, est devenue idéologique, une tentative de construire un État multinational rationalisé — c’est-à-dire déshumanisé. Ses promoteurs le présentent aussi comme la fin de l’Histoire européenne : un peuple réduit à un troupeau, infantilisé, étouffé sous des tombereaux de normes, et gouverné par une élite autoproclamée. L’UE est une utopie, donc un fantasme — celui d’une Europe où l’homme disparaît derrière le contribuable-consommateur.

Surtout, l’UE est un projet aristocratique et non démocratique. Le pouvoir n’y appartient pas aux parlementaires élus, mais à une Commission censée incarner les meilleurs et les plus sages, et donc sans contrôle. Platon voulait confier le pouvoir aux philosophes ; l’UE l’a donné aux hauts fonctionnaires. Même mépris pour la démocratie, même foi dans une élite éclairée. La différence ? Les philosophes de Platon devaient être des esprits supérieurs, désintéressés et vertueux. Ceux de l’UE sont des technocrates, dont la légitimité repose sur des diplômes et des carrières, non sur une quelconque supériorité morale ou intellectuelle.

Platon, il est vrai, mérite mieux que cette caricature. Contemporain de la démocratie athénienne et des sophistes — ces ancêtres de nos politiciens médiatiques —, il distinguait les vrais philosophes des imposteurs. Pour lui, un philosophe n’était pas un professeur de philosophie, mais un être d’exception, alliant intelligence, courage et grandeur d’âme : « nous sommes convenus que les qualités naturelles du philosophe sont la facilité à apprendre, la mémoire, le courage et la grandeur d’âme ». Ces qualités, bien sûr, ne s’acquièrent pas par un concours ou un titre universitaire. Elles supposent un désintéressement total. Selon Platon, ses gardiens idéaux ne devaient même pas toucher de salaire, mais être entretenus par l’État.

Reste une évidence : l’Union européenne, dont la Constitution fut rejetée par référendum en 2005 avant d’être imposée par un artifice trois ans plus tard, n’est pas un projet démocratique et se révèle inefficace. C’est un projet impérialiste et bureaucratique, dangereux pour les libertés des Européens et pour la paix du continent. Car l’Histoire nous enseigne que les conflits majeurs naissent toujours des impérialismes, qu’ils soient militaires ou administratifs.

L’UE, en somme, est le rêve de Platon promu par des européistes à courte vue et réalisé par des fonctionnaires qui regardent le peuple comme un berger ses moutons, c’est-à-dire comme un capital à gérer et à exploiter.