En 1817, depuis ses terres de Valençay, Talleyrand écrivait au duc de Montmorency : « Ce n’est pas de repos que je sens le besoin, mais c’est de liberté. Faire ce que l’on veut, penser à ce qu’il plaît, suivre sa pente au lieu de chercher son chemin : voilà le vrai repos dont j’ai besoin, et celui-là, je le trouve ici. »
Avoir raté sa vie, c’est avoir raté les cibles que l’on s’était choisies. Mais qu’est-ce que ça veut dire en réalité ? Est-ce une défaillance dans le choix de ces cibles, ou est-ce une incapacité à atteindre un objectif que d’autres ont atteint sans grandes difficultés apparentes ? Au crépuscule de ma vie, ou du moins entre chien et loup, au moment où l’on peut commencer à faire un bilan, cette question me travaille. Faut-il croire au destin, à son chemin ? Non pas croire, en l’occurrence, que le mien aurait été d’échouer – même si à l’évidence il n’était pas de réussir là où j’ai choisi de porter mes efforts ; mais croire qu’un chemin avait été tracé pour moi et que je l’ai ignoré ou n’ai pas su le voir. Mais choisit-on vraiment ? Et quand on choisit, sait-on ce qui en nous choisit ? Je ne referai pas la critique du Cogito que Nietzsche a déjà faite au chapitre 17 de « Par-delà bien et mal ». Alors, croire au destin ?
C’est une autre façon de poser l’insoluble question du libre arbitre : sentir, penser, choisir, vouloir… Peut-être avons-nous cette liberté d’ignorer notre chemin, de prendre, en suivant notre pente naturelle, une route qui ne nous convient pas, qui ne serait pas la nôtre. Il y aurait donc des hommes déterminés à subir le joug d’un désir et d’une volonté qui les mènent par des chemins difficiles dans des impasses, les tenant à l’écart d’une route qui était la leur et qu’à chaque carrefour, ils ont ignorée, voire méprisée.
Nous serions donc libres de refuser notre lot, et obligé alors de le payer – de quelle liberté s’agit-il donc alors ? ; libre de blesser l’orgueil de Dieu et d’en payer le prix. Pauvre créature à l’image et à la ressemblance…