Archives de catégorie : Colères

Articles de réactions sur des sujets d’actualités

Etiquetage politique.

C’est à l’heure matutinale où je trempe mon pain beurré-salé dans un café noir, que j’ai découvert dans mon quotidien papier une information qui m’a sidérée, et qui m’a gâché cet instant auroral ou l’activité de la journée ne nous a pas déjà entrainé dans son flux erratique, et où l’on rêve encore un instant de pouvoir échapper au stress de la vie qu’on nous fait – et qui n’est qu’une survie laborieuse et dérisoire. J’aurais pu m’étrangler ; et ce qui m’étonne encore, c’est que cette information n’a pas suscité de réactions à la mesure de la saloperie qu’elle rapporte.  Pourtant, une recherche sur le net permet d’y accéder avec toute l’immédiateté qui caractérise ce média : le Ministère de l’Intérieur oblige les listes de candidats constituées pour les élections municipales dans les communes de plus de mille habitants à choisir une étiquette partisane dans une liste proposée de seize partis, mouvements, ou regroupements. Et dans l’hypothèse où une liste ne voudrait pas « rentrer » dans une des cases formatée par les fonctionnaires de l’administration, ceux-ci se chargeront d’encadrer, ou d’encarter les impétrant-édiles.  Et je veux dénoncer cette atteinte grave à l’essence de la démocratie, et cette nouvelle tentative de conserver aux partis politiques leur mainmise sur le pouvoir. C’est une petite saloperie, une de plus.

Je l’ai souvent évoqué ici, et quelquefois sur un ton trop passionné pour ne pas être excessif, voire outrancier. Mais je pense que la crise que nous connaissons aujourd’hui en Europe est d’abord une crise intellectuelle, politique, donc morale ; crise ancienne et dont l’avènement avait déjà été pressentie dès la fin du XIXe siècle, par exemple et avec beaucoup d’acuité par Nietzsche – il faut relire ce qu’il disait de la démocratie –, mais aussi un peu plus tard par Hannah Arendt – pour ne rendre ici hommage qu’à ces deux philosophes. Arendt, mieux que d’autres, avait pointé cet écueil de la démocratie représentative, expliquant que la démocratie montre ses limites quand les élus de la nation cessent de se comporter comme les représentants de leurs électeurs pour devenir les mandataires de leurs partis d’appartenance.

On ne règlera aucun de nos problèmes économiques sans ressourcer nos démocraties. Il convient donc de revenir aux fondamentaux et de les rappeler avec force : la démocratie ne peut avoir d’autre but premier que la liberté des citoyens ; l’existence de partis politiques forts est un obstacle à l’expression de la volonté populaire[1]. Citons Arendt : « Les partis, en raison du monopole de la désignation des candidats qui est le leur, ne peuvent être considérés comme des organes du Peuple, mais, au contraire, constituent un instrument très efficace à travers lequel on rogne et on domine le pouvoir populaire »[2], et revenons à cette information qui ne passe pas. Ce qui se démasque dans cette décision gouvernementale, c’est une claire volonté de s’opposer à des listes qui ne seraient pas encartées. Le gouvernement, et plus largement l’oligarchie politicienne – par ailleurs politicarde – ne peut imaginer que l’on fasse de la politique sans être de droite ou de gauche, et sans se reconnaitre dans ces archétypes désuets ; il ne peut accepter qu’on veuille être pleinement citoyen sans être affilié ici, encarté là , soumis à un parti, donc à un homme, discipliné par un maître à penser ; il s’effraye que des hommes et des femmes de bonne volonté, les uns engagés à gauche et les autres défendant des idées de droite, puissent se rencontrer, s’entendre sur des enjeux locaux, se retrouver sur l’essentiel à mettre en œuvre sur une mandature, et travailler ensemble, au-delà des clivages traditionnels. Ils veulent tout étreindre, tenir, étouffer, instrumentaliser, tuer la politique – mais garder le pouvoir.

Peut-on espérer qu’un jour les citoyens se réveillent et refusent ce système qui n’a d’autre volonté que de les transformer en animaux de rente ?



[1]. Relire « Du contrat social ».

[2]. Dans  « On revolution ».

L’esprit de révolte.

Au fil de ses chroniques hebdomadaires, le mescréant philosophant crie, pleure, invective, vitupère, et si ses épanchements sont si abondants, c’est qu’ils sont faits de pleurs, de sang et de morve mêlés. Mais il assume cet état pathologique tout comme il reconnait ses antipathies qui sont autant de peurs névrotiques de ceux que Nietzsche appelait « Les prédicateurs de la mort », c’est-à-dire les religieux de tous bords ; et de l’état que le philosophe allemand dénonçait avec autant de force : « L’État c’est ainsi que s’appelle le plus froid des monstres froids et il ment froidement, et le mensonge que voici sort de sa bouche : « moi, l’État, je suis le peuple »[1]. Oui, le mescréant est un révolté au sens ou Stirner l’entendait, opposant cette figure conceptuelle à celle du révolutionnaire. Et la position du penseur de « l’Unique et sa Propriété » préfigure celle de Camus qui défend la même idée, et qui, dans « l’homme révolté », parle en ces termes de l’esprit de révolte et écrit de l’état : « L’étrange et terrifiante croissance de l’État moderne peut être considérée comme la conclusion logique d’ambitions techniques et philosophiques démesurées, étrangères au véritable esprit de révolte, mais qui ont pourtant donné naissance à l’esprit révolutionnaire de notre temps »[2] . Où l’on voit cette grande proximité des sensibilités de Camus et de Nietzsche[3].

L’esprit de révolte – qui n’est qu’une autre façon de nommer ce que Nietzsche nommait, lui, l’esprit libre[4] combat tous les totalitarismes, qu’ils s’expriment comme religion, moraline, idéal ou pouvoir. Car il sait que la vraie morale se moque de la morale et que, dès que la morale se fait dogmatique, elle devient religieuse ; et qu’il faut donc se méfier des fausses certitudes, des idéaux magnifiés et de l’esprit d’orthodoxie. On peut d’ailleurs à ce propos relire le court essai de Jean Grenier « Essai sur l’esprit d’orthodoxie », et si je cite ce philosophe c’est qu’il fut à Alger le professeur de philosophie de Camus.

Et le mescréant n’a pas peur des paradoxes et les aime d’autant plus qu’ils ne sont souvent que jeux de mots qui illustrent, à leur manière, l’un des principes cosmogoniques de l’univers : le principe d’ironie. Considérons la religion, qu’il dénonce comme Nietzsche la dénonçait. Ce dernier écrit dans le « Gai Savoir » que « dans toute religion l’homme religieux est une exception ». Considérons encore la politique pour convenir que seul un mouvement apolitique – au sens commun mais faux du terme – peut aujourd’hui faire de la politique. Car, comme les partis institutionnels n’ont plus d’autre but que de prendre et de conserver le pouvoir, comme notre pays est découpé en métropoles qui sont autant de domaines féodaux ou des petits chefs aux méthodes mafieuses défendent et exploitent sans partage leur fief, comme les politiques ont déserté la politique, abandonné le combat des valeurs en réduisant la politique à l’économique, on ne peut refaire de la politique que de manière apolitique, c’est-à-dire hors de partis politiques, qu’ils se prétendent d’ailleurs de droite ou de gauche.

Et le mescréant n’a pas peur non plus de condamner la social-démocratie, qui pourtant fait l’unanimité, au risque de se faite traiter par les uns « d’extrémiste de gauche », et par les autres « d’extrémiste de droite ». Non, il est « simplement » nietzschéen, ou camusien si l’on préfère, et il rêve d’une société de « maîtres sans esclaves ou du dépassement aristocratique de l’aristocratie »[5]. Et la social-démocratie c’est aujourd’hui une société d’esclaves sans maître – car même nos maîtres sont des esclaves –, sans noblesse, sans goût du dépassement, une médiocratie institutionnalisée.   



[1]. Ainsi parlait Zarathoustra.

[2]. Dans l’homme révolté.

[3]. Comme écrivait son biographe Roger Grenier : « On n’en finit pas de trouver Nietzsche au détour de l’œuvre de Camus ». D’ailleurs, lorsque Camus mourut dans un accident de voiture en 1960, on trouva dans sa sacoche un exemplaire du Gai Savoir.

[4]. Son livre d’aphorismes « Choses humaines, trop humaines, répondra, dans son édition complètes avec ses deux appendices, au titre « Choses humaines, trop humaines, un livre pour esprits libres ». (Nota : Une tradition française traduit le titre « Humain, trop humain », alors que d’autres traditions préfèrent « Choses humaines, trop humaines ».

[5]. Oui, tout le verbe de cette formule, idée et langage, est nietzschéen. Pourtant la formule est de Raoul Vaneigem dans un manifeste du situationnisme de 1967 : « Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations ».

Publicité et communication.

J’entendais il y a déjà quelques jours à la radio un publiciste parler de son métier comme d’un art de la communication. A l’évidence, c’est un bon professionnel qui sait trouver les mots qui vendent. Puis-je lui répondre par chronique interposée que la publicité n’est qu’une technique de vente et que si ces techniciens de la réclame utilisent souvent les formes de l’art du temps, cela ne change rien au fond. Car tout est bien dans le rapport de la forme au fond. Si l’on souhaite mettre en évidence que cette forme de communication mercantile donne de l’information, j’en conviens, mais tout est porteur d’informations. Tout objet, matériel ou immatériel, du fait de son accessibilité aux sens, est porteur d’informations que notre intelligence est capable d’ordonner et de comparer pour faire sens. Mais la publicité ne peut être présentée comme simple pourvoyeuse d’informations : elle en donne si peu dans des spots si cours, des images réduites à une formule lapidaire sur un fond évocateur – alors qu’elle est essentiellement porteuse d’un message, injonctif mais subjectif, d’achat. Et c’est dans cette dialectique perverse et truquée du fond et de la forme que je vois la vérité de la publicité. Elle privilégie la forme sur le fond, au point de rompre tout lien de représentation intelligible entre fond et forme, pour privilégier, par cette déconnexion de la représentation, une association d’idées, de sentiments, qui permet de parler au consommateur, non pas du produit, mais de lui, consommateur, de sa vie, de ses frustrations, de ses désirs, et au bout du compte de flatter son égo, en promettant de le faire devenir ce qu’il ne deviendra pas. Et toujours en lui présentant des figures auxquelles il puisse s’identifier pour que, vendant la figure, l’archétype, le consommateur achète sans vraiment s’en rendre compte le produit. Et pourquoi le nier, tout cela me bluffe quelquefois, me séduit souvent, m’agace toujours. Car je vois trop bien la dimension aliénante de la publicité. Tout système totalitaire a besoin de propagande. Toute propagande est porteuse d’un message et révélatrice d’un dessein totalitaire. Il n’y aurait pas de « Société du spectacle »[1] sans publicité. Et la publicité a définitivement tué la politique. Quand le message politique se réduit à ce point, se condense dans une formule creuse écrite en gros caractères sur une affiche ou sourit un homme politique qui semble vous dire par ce petit sourire en coin « je vais bien vous baiser », alors, on peut s’interroger sur la capacité de l’humanité à briser ses chaines. La publicité porte ; car elle parle le langage de la vérité, mais cette vérité est celle de nos désirs, de notre inépuisable crédulité, de la vanité de nos espoirs, de l’illusion de nos choix. Et elle reflète une image, et nous donne à voir sous une forme épurée ce que nous sommes, non pas dans notre vie, car les hommes et les femmes que la publicité met en scène n’existent pas comme individus et ne sont que des types, des figures archétypales, mais dans notre tête ; ou, si nous ne sommes pas ainsi, encore, ce que nous devons devenir pour que le Système tienne, que le cirque continue, que la Société du spectacle perdure, tout cela pour le profit de quelque uns.



[1]. Rendons hommage à Guy Debord.

Engagez-vous !

Le Système que nous avons construit, cette technobureaucratie[1]gonflée qui gouverne nos corps en prétendant nous tenir lieu de conscience, est aujourd’hui privé d’autorité. Le Léviathan bouffi a perdu toute mobilité. Et il se révèle totalement incapable d’assumer ce pourquoi il a été construit et de répondre ainsi aux besoins des gens, et il ne se maintient plus que grâce aux allocations et aux prébendes distribuées, et à un maillage serré des rets dans lesquels il tient les citoyens prisonniers. Et il ne faut rien en attendre ; chacun le sait.

Son discrédit est immense : les inégalités n’ont jamais été aussi choquantes – car aussi peu justifiées par le talent – et la précarité progresse partout dans notre pays ; la France se voit dégradée dans tous les études, tout y coûte trop cher ; sa richesse est gaspillée, sa dette flambe ; son indépendance s’évanouit et ses valeurs ne sont plus que les formules d’une rhétorique électorale incantatoire et creuse. Et plus grave encore, ce pourquoi certains de nos pères se sont battus, la liberté, n’est plus qu’une peau de chagrin qui se racornit chaque jour un peu plus. Tout est à refaire, mais autrement.

Et, négligeant les structures politiques ou syndicales traditionnelles, des mouvements s’organisent en marge du Système, soit pour tenter de répondre à des problèmes catégoriels et spécifiques : les « pigeons » ou les « poneys », soit pour porter un mécontentement, une exaspération plus générale : « les Indignés », « les Sentinelles » ou « les Dupés », et tenter d’élargir leurs bases : « la Manif pour tous » ou « les Veilleurs debout », « les Bonnets rouges » en Bretagne. Mais le cas du mouvement « Cinq étoiles », en Italie, est aussi révélateur d’un problème de fond qui traverse toutes les démocraties occidentales, toutes frappées de sénescence. Et je lis que ces mouvements seraient apolitiques, car les français se méfieraient de la politique. Je pense tout l’inverse. Ce n’est pas la démocratie qui est en crise, mais une forme de démocratie, et ces nouvelles dynamiques contestataires marquent le retour du politique et préfigurent la renaissance de la démocratie.

Si l’impéritie de notre élite gouvernante est à ce point problématique, si la faillite des partis politiques dits « traditionnels » est à ce point désespérante, c’est que ces partis ont par ailleurs stérilisé et déserté le champ politique, tué le débat, et sont devenus, eux, apolitiques. Ils justifient d’ailleurs leur manque d’idées, leur impuissance à faire, en nous expliquant qu’on ne peut pas tout – traduisez : « on ne peut rien » –, qu’on ne peut intervenir sur le réel qu’en économiste, et sur l’économie que dans le respect de ses dogmes. La politique est donc pour eux morte, les idéaux réduits à de vagues marqueurs sociologiques ou culturels. La politique est morte, vive la fonction publique ; les hommes et les femmes politiques sont morts, vivent les fonctionnaires.

Sans doute est-il possible d’avancer deux raisons à ce fiasco – et renvoyer à des essais, nombreux sur le sujet[2]. Tout d’abord notre démocratie a produit ce qu’elle pouvait produire de plus vil : la dictature d’une majorité naturellement médiocre. Notre démocratie est donc devenue une médiocratie, et pour s’en convaincre, il suffit d’écouter notre brochette gouvernementale ; et je crains que nos instances internationales n’aient pas d’autre ambition que d’universaliser, au nom des droits de l’homme, cette médiocratie, par ailleurs très chrétienne, sous la forme d’une démocratie parlementaire qui serait « La démocratie », mais qui est bien la démocratie dont nous ne voulons plus. Et cette logique démocratique partout à l’œuvre en occident, mais aussi celle spécifique à nos institutions, et le pouvoir exorbitant des médias travaillent à abêtir le troupeau électoral, à l’abaisser en élevant ses individus comme des animaux de rente. Mais d’une certaine manière, on pourrait considérer que le troupeau n’a que ce qu’il mérite : des conditions de survie de plus en plus frustres – justifiées par la mondialisation et la dureté d’une séquence historique qui ne devrait rien aux hommes – dans un enclos de plus en plus étroit. Je remarque d’ailleurs la dimension religieuse de notre temps. Je ne sais si Dieu est mort, mais je vois bien que pour certains, la nouvelle divinité semble être celle du Marché, et le bien et le mal remplacés par l’argent et la crise. La crise est l’antéchrist de notre temps, et tout contestataire du Marché est anathématisé par les prêtres orthodoxes qui officient dans les médias, et nous servent leur docte soupe, amère et frelatée. Et cette médiocratie est bien à l’image de notre social-démocratie prétendument laïque mais convertie au Marché, mole, sans vertu, sans âme, et qui, et c’est le second point que je voulais noter, occupe maintenant tout l’espace de la médiation. Cette école de non-pensée, nihiliste[3], rafle aux élections, grâce à un système savamment construit à cette fin, et à un bourrage des cranes irrésistible, 80% des voix et promeut 100 % des élus – ce qui laisse peu de places aux autres. Et la seule alternance s’organise en son sein, entre sa version commercialisée sous la marque PS, et sa version logotypée – je n’ai pas dit lobotomisée – UMP. C’est le même produit, mais la boite est soit rose, (moins virile) soit packagée de bleu (plus viril, mais si peu). L’autre parti autorisé – car il faut bien que le spectacle soit assuré et qu’un Auguste qui fait rire ou peur s’agite, et donne la réplique au clown blanc – est un parti national-populiste qui, lui aussi, présente deux visages, deux packagings, deux fronts, l’un qui se revendique à droite et l’autre de gauche. Mais lisez leur programme comme on goutte un plat en aveugle : nationalisations, fermeture des frontières, sortie de l’Europe, …, et dites-moi  qui est de droite ou de gauche. Mais tout cela n’abuse plus grand monde. Remarquons aussi, dans la logique de mon propos, que s’il n’y a que deux projets de société qui s’affrontent, il faut bien que seules deux voix s’expriment. Pour ce qui concerne la social-démocratie, le PS fait sa loi, c’est-à-dire fait le service de la proposition conceptuelle, et l’UMP n’a plus qu’à emboiter le pas ; et c’est ainsi qu’au grès de pseudo alternances, la social-démocratie piétine, en sautant d’un pied sur l’autre, à droite puis à gauche. Coté national-populisme, c’est le Front National qui donne le ton. Il est donc logique que les choses « sérieuses » – je veux dire l’affrontement idéologique – doivent se passer, non pas entre PS et UMP, mais entre le PS et le FN. Mais tant que les partis au pouvoir ne se sentiront pas menacés, la politique institutionnelle ne sera pas plus politisée qu’elle ne l’est aujourd’hui par exemple en Chine, car quand les partis ne font plus de politique, leur nom n’a plus guère d’importance, et sous une marque connue et installée dans le paysage, il est possible de vendre n’importe quoi. Poursuivons un instant la comparaison avec l’empire rouge : qu’importe que le parti au pouvoir se nomme encore PC (comme ailleurs PS ou UMP) ; qu’a-t-il de communiste ? Il suffit qu’il soit aux affaires et s’y maintienne durablement, qu’il maintienne les choses en l’état, l’ordre dans le troupeau, et les privilèges des nantis, c’est-à-dire de ceux qui sont aux manettes et de ceux qui les servent.

Et c’est bien parce que les partis politiques sont devenus apolitiques, ont abandonné la politique pour se consacrer à la gestion de leur rente – l’exploitation de leurs animaux de rente –, que les gens retrouvent le gout  de la politique, une appétence de la gestion de leurs affaires, qui surprend certains. Et je prophétise que l’on verra s’organiser de plus en plus de mouvements citoyens, de « collectifs », qui souhaiterons échapper à un Système, un État qui est devenu le Grand et l’Unique Médiateur. Rien ne peut plus aujourd’hui être échangé, discuté, négocié, sans passer par un État qui a fonctionnarisé tout le personnel médiatique. Je n’en prendrai qu’un ou deux exemples. Comme pour son père, M. François Chérèque après avoir été secrétaire général d’une centrale syndicale a été recyclé par l’État et est devenu Président de je ne sais quel machin institutionnel[4]. On ne lui aurait pas offert ce poste, il se serait retrouvé au Conseil Économique Social et Environnemental, autre structure couteuse, parfaitement inutile. M. Schweitzer, après avoir dirigé un grand groupe automobile se retrouve aussi recyclé par le système. L’État verrouille tout, s’inféode tous, distribue postes et prébendes, pour que chacun dépende de ses largesses.

Mais je voudrais mettre en garde tous ces mouvements qui émergent et qui ont a priori ma sympathie. Le Système n’est pas réformable de l’intérieur. C’est un fruit gâté. Tout contact avec lui est dangereux, car la pourriture s’étend par contagion. Comment dès lors ne pas être inquiet de voir de nouveaux partis se créer avec tous les travers des anciens, et pressés de rentrer dans le jeu, ce grand jeu pervers de la Société du Spectacle. Mais restons positifs et espérons en des lendemains nouveaux où les gens, non seulement s’indigneront, comme Hessel nous y invitait peu avant sa mort, mais s’engageront. Indignez-vous ! Et engagez-vous ! Et entrez en résistance !



[1]. J’emprunte la formule à Edgar Morin.

[2]. Moi qui lis peu, je m’en tiens ici à Nietzsche et à Arendt.

[3]. J’utilise ce concept au sens au Nietzsche le concevait : une non-volonté de puissance.

[4]. L’Agence du service civique. Il a été nommé par un décret présidentiel.

Religion et culture

De même qu’il ne faut pas réduire Dieu à l’idée que les religieux s’en font, c’est-à-dire très concrètement confondre créance et religion – et c’est bien le reproche que je peux faire au traité d’athéologie de Michel Onfray –, on ne saurait, sans offenser l’honnêteté, assimiler par un raccourcis conceptuel coupable, l’homme de culture chrétienne à celui de religion chrétienne.

Personnellement, je suis sans religion, mais cette affirmation ne dit rien de mes convictions métaphysiques, pas plus que de ma foi, même si je pourrais dire, comme Protagoras, « Des dieux je ne peux dire s’ils sont ou s’ils ne sont pas »[1]. Et partant, ma relation avec l’église de Paul et la parole évangélique est claire. Je ne suis pas de religion chrétienne, mais de culture chrétienne, même si cet ancrage culturel est mâtiné de philosophie gréco-latine. Mais l’église chrétienne n’a-t-elle pas été beaucoup nourrie de ses racines judaïques, et de cette philosophie grecque que je défends modestement – et parfois maladroitement –, néoplatonicienne pour une part – la relecture de certaines ennéades de Plotin est édifiante (sa conception des âmes et du bien), et de l’éthique stoïcienne. Mais je cite aussi cet exemple frappant de l’Evangile de Jean de Patmos, écrite par un intellectuel hellénisant, et qui débute par une affirmation héraclitéenne, mais que l’on pourrait aussi imaginer trouver dans un ouvrage de Chrysippe. Le christianisme est un syncrétisme et la chose a été déjà très souvent relevée.

Je suis donc de culture chrétienne, areligieux, et je sais que ma conception de la laïcité doit tout aux évangiles. Jésus n’y affirme-t-il pas « qu’il faut rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu »[2]. Ce point n’est pas toujours suffisamment souligné. La laïcité n’a que peu de sens pour un musulman, mais moins encore pour un contemporain de l’antiquité gréco-latine. Remarquons par exemple, en distinguant foi et religion, que Socrate fût condamné à mort par ses juges pour « ne pas reconnaitre les dieux de la cité, et avoir voulu introduire de nouvelles divinités »[3]. Et cette condamnation à une faible majorité, fût politique. On ne reprochait évidemment pas au maître de Platon et de Xénophon, ses croyances ou sa religion, mais de ne pas sacrifier culturellement, civilement, aux dieux de la cité, et de mettre ainsi en péril l’identité même d’Athènes – on parlerait aujourd’hui de cohésion nationale, ou d’exemplarité, s’agissant d’un intellectuel très visible. Le cultuel était alors de dimension culturelle plus que religieuse, et chacun y sacrifiait sans état d’âme et sans problème de conscience.

Je suis donc de culture chrétienne – pour mon bonheur ou mon malheur, mon honneur ou ma honte –, laïc parce que chrétien, et incidemment démocrate comme pouvaient l’être les athéniens sous Périclès – je pense aussi à ce mouvement populaire qui renversa l’oligarchie des trente en 404 avant J.C. Et parce que je suis de culture chrétienne, et que je suis attentif à la cohésion nationale, je ne souhaite pas que l’on déconstruise nos églises ou que l’on transforme Notre Dame de Paris en parking ou en supermarché ; ni que l’on revisite notre toponymie territoriale pour supprimer, par exemple en Bretagne, les noms de communes dont le préfixe est plou (la paroisse), ou qui rendent hommage à un saint du calendrier. Je ne souhaite pas plus que l’on supprime la fête de Noël que la grande majorité des français fête civilement sous le sapin – symbole qui n’a jamais été religieux –, se moquant totalement que le 25 décembre commémore la naissance encore discuté d’un prédicateur juif et avant l’ère chrétienne, d’Apollon, sous la forme du « soleil invaincu », « sol invictus ».

Je garde aussi Pâques, fête païenne du printemps, donc de la vie renaissante (dans l’hémisphère nord), fête dionysiaque, et où les juifs peuvent aussi, de manière incidente, trouver leur compte. Faut-il encore fêter l’armistice de novembre 1918 ? Faut-il créer une nouvelle fête religieuse pour que tous les fidèles puissent célébrer leur culte, soit le début de l’Hégire ou l’Aïd, soit le sermon de Bénarès, ou la date (31 octobre 1517) où le moine Luther placardait sur la lourde porte d’une église de Wittemberg, sa dispute sur la puissance des indulgences.

Il me semble que nous disposons de tant de jours de congés de tant de RTTs, d’une telle facilité à « poser un jour » que c’est un faux problème, ou un mauvais procès.

Nous disposons d’un certain nombre de jours fériés, ainsi que de deux jours de week-end chômés, et de vacances que nous prenons, en général, et pour l‘essentiel, l’été. Les raisons en sont historiques, donc religieuses en partie, et puisent dans une histoire antérieure à l’ère chrétienne. Nous disposons aussi d’un calendrier décompté depuis la date toute théorique de naissance du Christ. Tout cela est culturel, comme notre système décimal, l’utilisation des chiffres arabes, plus pratiques que les romains, ou la division de la journée en 24 heures. Faut-il tout remettre en cause au prétexte que les religions ont façonnés les cultures ? Dans quel but ? A quelle fin ? Dans l’intérêt de quelle minorité ? Je vois dans certains demandes, non pas des revendications d’égalité religieuse, ou de laïcité – qui curieusement viendraient de communautés qui n’en acceptent pas le principe –, mais des souhaits de substituer à notre culture, une autre culture, démarche pour laquelle la démocratie athénienne condamna Socrate à boire la cigüe.



[1]. C’est l’affirmation pivot de son traité « Sur les dieux ».

[2]. Matthieu, XXII, 21 ou Luc, XX, 25.

[3]. On connait le chef d’accusation exact porté par Mélétos, grâce au témoignage de Favorinos d’Arles qui a consulté les archives publiques à Athènes au début du IIe siècle de notre ère.