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Profession de mescréance

Retour métaphysique

La grande faiblesse de l’homme c’est son extraordinaire ductilité. L’homme, non seulement s’adapte en permanence, mais quand il a pris une forme nouvelle, et que ses petits sont nés ainsi conformés, ils s’en trouvent bien, et c’est ainsi que le Touareg aime, par-dessus tout, ses dunes infinies, et que l’Inuit, en guise de désert, est si attaché aux immensités poudreuses et gelées. Et c’est aussi pourquoi, un païen de l’aire préchrétienne jugerait abjecte la façon dont nous vivons aujourd’hui, et que nos contemporains jugent moralement détestables les cultures antiques.

L’homme va donc continuer à s’avilir, à détruire son environnement, à produire une humanité de plus en plus débile, et à se trouver bien dans ces situations toujours moins humaines. Il se construit un enfer, le nomme « Progrès », moque ce qu’il était hier, méprise ses ancêtres, et continue à aller de l’avant, et à s’adapter afin de pouvoir encore et encore, trouver la force et les ressources pour avancer vers le gouffre.

Profession de mescréance

Et l’amour dans tout ça ?

Pessoa, qui nous rappelle que « l’amour romantique est le produit ultime […] de l’influence chrétienne », écrit en juillet 1930 – je l’imagine à Lisbonne par une chaude soirée d’été, dans le petit meublé qu’il loue au quatrième étage de la rue des Douradores, sa fenêtre grande ouverte aux parfums qui montent du Tage jusqu’à la table de pin sur laquelle il est courbé et « pense ses impressions » : « Nous n’aimons jamais vraiment quelqu’un. Nous aimons uniquement l’idée que nous nous faisons de ce quelqu’un. Ce que nous aimons, c’est un concept forgé par nous – en fin de compte, c’est nous-mêmes. »

Je veux bien le croire. Mais reste le désir bien réel, parfois impérieux comme un dégout qui déséquilibrerait notre être et violenterait notre sensibilité : ruse de la nature selon Schopenhauer, conatus de l’espèce si l’on préfère user d’un mot de Spinoza. Et puis, ce plaisir, ou parfois cette épreuve quotidienne, domestique, du commerce de l’autre, tendre comme le bon pain ou dure comme un buis. Mais l’amour, lui, est une fiction, un supplément d’âme inutile et factice. J’en conviens.

 

Les couples qui durent ne se construisent pas sur les sables mouvants de l’illusion amoureuse, ce malentendu grossier. Ils se construisent, dans la durée, sur le plaisir partagé d’être ensemble, la confiance et l’estime ; et puis un désir qu’il ne faut jamais laisser s’étioler, quitte à utiliser tous les artifices de l’imagination et des fantasmes pour le maintenir chaud, quitte peut-être à s’en faire une éthique. Oui, c’est cela ! diététique et érotisme, c’est bien la seule religion qu’un peuple évolué devrait pratiquer. N’était-ce pas, d’ailleurs, la grande idée de Charles Fourier ? Moi Président… ; non ! moi ministre de l’Éducation nationale et des Cultes, réunissant, dans un sursaut d’honnêteté et un refus des hypocrisies ce que la laïcité a prétendu séparer, je substituerai, pour hâter la venue du « meilleur des mondes » –, en fait de « l’Harmonie » fouriériste –, à l’étude des tragédies classiques, l’apprentissage « par cœur » de sa théorie des mouvements, cet évangile d’avant-garde où il défend comme vertus cardinales : l’amour et la gastronomie. Mais, en distinguant évidemment les « amours d’harmonie » (amoures libérales et puissantielles) et les « amours de civilisation » (égoïstes et illibérales).

L’ère des comptables

Le primat du marché, c’est l’assujettissement de toute relation humaine aux canons de la pub : démagogie et promesses non tenues.

 

S’il me faut la définir au plus court, alors je dis que notre époque est démagogique. Prenez le Président Manu qui nous la joue sur le thème du progressisme : Nouveau versus Ancien monde, c’est-à-dire qui tient pour acquis que toute modernité serait un mieux – vieille lune et escroquerie intellectuelle puérile – et qui, par cet artifice de communication dont la grossièreté ne peut que me heurter, veut ringardiser ceux qui restent attachés aux anciennes valeurs, tous ceux qui refusent d’abandonner leurs vieux habits confortables et chauds, pour de nouveaux, branchés et colorés, mais taillés dans une toile de pauvre qualité. Et de quoi parle-t-il ?

Effectivement, chacun peut constater que le monde a changé, et je l’admets moi-même comme je pourrais dire que le temps change et que le vent se lève avec la marée qui flux ; ou encore qu’une aube naissante dans ses draps roses est la promesse d’un nouveau jour. L’Europe a déjà vécu de tels bouleversements, sans que les contemporains de ces mutations n’en aient d’ailleurs pris la juste mesure. Ainsi, aux premiers siècles de notre ère, nous sommes passés, ni pour le meilleur ni pour le pire, d’une ère païenne à une ère religieuse, en fait chrétienne ; et Nicée n’est, de ce point de vue, qu’un repère qui fait sens, car beaucoup d’évolutions religieuses, techniques, sociétales, ont concouru à cette émergence d’un nouveau monde idéel, et à la création de nouveaux paradigmes. Et dans le même ordre idéel, nous sommes progressivement passés, avec la Réforme – et là encore la fin de l’Ancien régime, bousculé par le Révolution, n’est qu’un repère chronologique –, de l’ère religieuse à l’ère politique. Et chaque fois, on pouvait légitimement mettre en regard et opposer dialectiquement nouveau et ancien monde, optimistes et pessimistes – autre façon de nommer les progressistes qui croient que l’avenir sera meilleur, et les réactionnaires qui, croyant qu’on va dans le mur, freinent des deux talons.

Aujourd’hui, nous sommes déjà engagés dans une nouvelle mutation, et le monde nouveau sera économique. Et si l’on veut, toujours de manière symbolique, rendre compte de cette histoire humaine, on pourrait au regard des périodes païenne, religieuse, politique, économique, proposer les images d’autorité du héros, du prêtre, du philosophe, et du comptable. Le monde est désormais gouverné par des comptables, et ce n’est pas un hasard si Manu est un économiste passé par la Banque Rothschild & Cie, puis par Bercy, et si son successeur sera probablement un produit de l’ENA dont l’univers sera limité aux chiffres et l’horizon à celui de la technostructure. Le champ politique est aujourd’hui déserté, ou réduit à l’économique si l’on préfère, laissant cette jachère aux populistes ; la nature ayant horreur du vide.

Le monde comme il est

Je ne suis pas le seul à avoir défendu cette idée : la philosophie est une optique, et cette optique est spirituelle. Dans « Totalité et infini », Levinas le dit d’ailleurs en ces termes – qui sont donc les siens. Et si j’ai de longue date adopté la formule, c’est que je crois à cette dimension essentielle de la philosophie : philosopher, c’est poser un certain regard sur les choses, comme au travers de la lunette d’un géomètre, avec quelques exigences : lucidité, mesure et droiture. Pas facile, et quelque peu présomptueux !

Pas facile de trouver les justes mots pour tenir un langage de vérité ; et c’est pourquoi je m’en prends si souvent à la démagogie de notre époque, car le propos du philosophe n’est pas de vendre, mais de redresser. En effet, Il n’a ou ne devrait avoir rien à vendre, ni idées ni concepts, ni la moindre idéologie ; mais il se doit d’éclairer, de donner à voir ou à entendre des édifiants, qui ne sont souvent que des faits choisis parce qu’ils font sens, même s’ils passent inaperçus du commun ; et de construire des concepts signifiants et méthodologiquement opérants. C’est ainsi que j’ai proposé, ici et dans d’autres textes, un cadre théorique des jeux de pouvoir et des dynamiques de captation à l’œuvre : au premier rang des forces au travail, le Marché, derrière lui la Bureaucratie, puis l’Opinion, ce que je nomme le Politique et enfin les Médias. Schéma simplifié, j’en conviens volontiers, mais qui m’aide à penser la société occidentale. Simplifié, car s’il est difficile de dénouer les Médias et le Marché – où classer Facebook ou Tweeter ? – il est tout aussi complexe de séparer vraiment, d’un côté l’Opinion et de l’autre les Médias qui la fond et la mesurent. Mais tout cela reste à méditer, et je voulais justement illustrer ce propos.

Il y a peu, suivant un bus, je lisais sur l’affiche à son derrière le titre et l’accroche du film : « Peppermint ». Cette accroche, en sous-titre de la photo d’une jeune femme belle, mais inquiétante, est celle-ci : « la justice a échoué, elle fera la sienne ». Je ne sais si la formule sera vraiment lue, ou si seule l’image dans les tons noir et sang retiendra l’attention, mais je crains que personne n’y voie le moindre mal.

 

Il s’agit évidemment d’un nouveau film américain, de genre, et que l’on peut classer dans la série des « Revenge stories », un genre déjà très ancien. Et si, curieusement, c’est le visage de Clint Eastwood qui s’impose à l’instant dans le rôle de l’Inspecteur Harry Callahan, un héros qui ne faisait pas dans la dentelle, beaucoup de films et de romans ont exploité la veine sanguinolente de la vengeance.

Ce nouveau film qui s’affiche aujourd’hui dans nos villes, comme une affiche de campagne électorale, véhicule une idéologie simple, sur laquelle je ne donnerai aucun avis : à savoir, si la justice ne donne pas raison à une victime, alors elle a le droit moral de se venger, et d’exercer une violence, voire une cruauté, moralement justifiée. Vieille idée qui se conçoit, et qui est le ressort de tant de tragédies où l’hubris de la vengeance est mise au rang des valeurs. Je pense aussi au Cid dont le récit épique prospère sur la même thématique. C’est quand même un peu l’Amérique de Trump, celle qui a la gâchette facile. Et on sait comment l’idéologie américaine, portée brillamment par Hollywood et les GAFAs infuse nos esprits. C’est en fait une idéologie préchrétienne, à la fois païenne, la colère d’Achille qui vient de perdre Patrocle, et juive, œil pour œil, dent pour dent. Tout le contraire du message des évangiles : tendre l’autre joue ; mais tout aussi contraire aux vertus républicaines : l’État étant censé détenir le monopole de la violence légalisée.

 

Et il faut bien remarquer que cette affirmation éthique qu’arborent les fesses des bus passe la censure française sans soucis, alors qu’une scène de sexe un peu trop crue serait interdite ou seulement tolérée, mais pas sans conséquence sur le classement du film. La Bureaucratie liberticide accepte donc que le Marché fasse la promotion d’une certaine éthique, objectivement antinomique aux valeurs républicaines, précisément françaises et jacobines, mais n’accepterait pas une outrance pornographique. Elle donne donc beaucoup plus d’importance à une question de mœurs sociétales que d’éthique politique. Et où se fonde ce puritanisme sexuel si ce n’est dans la religion chrétienne ? On ne peut donc que constater que la Bureaucratie, comme le Politique, plie, à la fois devant le Marché et ses choix idéologiques, et devant l’Église et son énorme difficulté à gérer sa libido. Oui, l’Église, comme ses prêtres, a une libido, et chacun a bien pris conscience de l’énorme difficulté de l’Église à aborder sainement les choses du corps et le désir des créatures de son dieu.

 

Et s’il faut encore rajouter quelques mots pour couper court à la remarque de mes lecteurs les plus vigilants, ou les plus exigeants, précisons ! Cette proposition qui est ici niée de refuser la vengeance est évidemment « christique », puisqu’elle constitue un enseignement fondamental du prophète juif. Elle n’a jamais constitué pour l’Église de Rome une quelconque valeur. Autre point qui ne sera pas ici développé, la chronique ayant ses règles de concision : l’idée qu’une victime acquière, de ce fait, un droit moral, ou se trouve élevée moralement du seul fait de sa souffrance, est bien chrétienne, même si je ne la trouve nulle part dans les évangiles qui professe exactement le contraire : la parabole des ouvriers de la onzième heure peut d’ailleurs être comprise ainsi.

Chronique urbaine

Comme le temps en cette fin août est beau et chaud et invite à la flânerie, je me suis interrogé sur ce que pourrait être, ici, en Europe, la vie bonne. Vieille rengaine philosophique… Mais quand on a du temps à perdre …

Ce serait déjà de vivre dans un environnement dont la nature n’aurait pas été éradiquée, stérilisée, et qui, par ailleurs, serait pour nous suffisamment confortable. Car nous avons pris des habitudes, probablement mauvaises ; et habiter un chez-soi douillet comme un nid est légitime.

Il conviendrait donc à ceux qui chercheraient cette vie bonne – vie douce serait peut-être moins ambitieux –, désintoxiqués des produits du Marché, guéris de leurs addictions modernistes, d’habiter des villes à tailles humaines. C’est du moins mon point de vue, car je trouve, dans tous les domaines, ce concept de taille ou de mesure humaine, pertinent. Un bouddhiste parlerait de juste mesure, pour cette idée de regarder les choses à son niveau, sans se hausser du col. Et cette idée était très présente – je pense à Platon et à Aristote – dans la philosophie grecque, comme dans sa littérature – L’Iliade n’est-il pas aussi un plaidoyer contre l’hubris ? Et cette exigence est centrale chez Montaigne qui nous invite « à vivre à propos », c’est-à-dire à chercher les réponses justes, c’est-à-dire adéquates, mais aussi mesurées. L’excès, la démesure, est toujours dangereux et cette course, « humaine, trop humaine », au super, à l’hyper est notre talon d’Achille. Achille étant précisément la figure homérique de l’hubris.

Mais concrètement, qu’appeler alors, une ville à taille humaine ? C’est une ville ou chaque famille pourrait avoir sa maison, même modeste, avec un jardin, même petit, où faire possiblement courir ses enfants et son chien, où pouvoir planter un arbre, cultiver quelques fleurs, passer un après-midi d’été dans une chaise longue à relire « Les Essais » ; une ville où les vieux pourraient rester «  à la maison », et de chez eux, marcher paisiblement vers la poste, un vendeur de nouvelles, une épicerie de proximité, un café ou ancrer ses habitudes, y être reconnu et discuter avec le patron de la vie du quartier.

Force est de constater que le nombre de villes à taille humaine décroit, au moins en France, et que ce que notre modernité nous propose, c’est de vivre dans des villes qu’il faut bien qualifier d’inhumaines. Mais l’homme s’habitue, progressivement, aujourd’hui à vivre dans des clapiers, demain je ne sais comment – notons que c’est la progressivité qui rend l’insupportable supportable. Et il s’habitue à croire que blanc c’est noir, qu’une contrevaleur est une valeur, et que l’inhumain est l’humain, et un jour s’il vit sur Mars, il finira par considérer que la planète rouge est acceptable, voire désirable. Quand on n’a plus que ça, on finit par aimer son malheur et à y tenir. Et la démagogie est là pour nous faire prendre un regrès pour un progrès, prétendre que, contestant une certaine modernité, les empêcheurs de tourner en rond souhaiteraient le retour aux cavernes, alors qu’ils en appellent simplement à une tout autre modernité, un tout autre progrès, un bon en avant décisif – ce qu’il convient de nommer un sursaut –, mais dans une tout autre direction. Et n’écoutez pas les experts qui vous diront qu’on ne peut prendre une autre voie, comme si notre effondrement était inévitable et qu’il convenait d’accepter cette perspective comme une juste fin des choses. Les experts défendent un certain système où les promoteurs, les bétonneurs en tous genres parlent fort.

 

Le luxe, ce serait tout simplement de pouvoir vivre, pas de survivre, c’est-à-dire de disposer d’espace et de temps, l’un et l’autre à soi, pour soi, pour y déployer son corps et en jouir librement. Ces choses qui nous ont été données par la nature et que le marché nous a volées. Un luxe, car une chose aussi primaire, première, aussi fondamentale à la réalisation de nos vies, nous est aujourd’hui chichement comptée. Quel paradoxe que de parler de progrès pour la perte de ces choses qui nous avaient été offertes. Alors que nous aurions dû consacrer toute notre énergie, toute notre inventivité à trouver, puis à parfaire les moyens de jouir de nos espaces naturels et de notre temps de vie, c’est-à-dire à perfectionner la vie, à en faire un art, nous avons tout gâché, et fait en sorte que l’espace devienne une rareté et le temps de même. Nous avons fait de la vie, j’entends de la vraie vie, distinguant ici comme le philosophe Raoul Vaneigem, vie et survie, un luxe que seuls quelques privilégiés peuvent connaître. Nous avons donc globalement régressé, et refusons de changer de cap.

 

Beaucoup partagent ce sentiment que notre temps subjectif s’accélère, et qu’il nous est en quelque sorte de plus en plus compté. En fait, ce sont les blancs qui font la durée subjective du temps, ces moments de disponibilité dont chacun peut jouir, soit en les remplissant au gré de son désir, soit en les laissant vacants : du temps laissé libre à la contemplation, à l’écoute, à l’attente de l’imprévu, à l’espoir d’une rencontre. Et si notre temps nous semble si rabougri, c’est que le Marché, considérant que ce temps est un temps de consommation possible, le réifiant en quelque sorte, nous mobilise en permanence, capte notre présence, pour ne plus nous laisser respirer, vivre, entre deux spasmes de consommation. On est par exemple frappé du temps que les jeunes passent les yeux sur un écran, consommant de manière télévisuelle leur vie. Et qui a encore une pleine conscience de l’omniprésence de la pub dans notre réalité sensible ? Une étude reste à mener pour savoir combien d’heures par jours un individu est exposé à la pub. Y a-t-il un seuil d’exposition critique, une dose maximale au-delà de laquelle, comme pour l’alcool, les neurones meurent ? Mais la publicité n’est pas seule responsable : notre temps est ruiné, car nous sommes, comme le rappelle le philosophe Giorgio Agamben en reprenant pour le développer ce concept à Foucault, prisonniers de « dispositifs » aliénants.

Il définit ainsi ce concept : « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants » ; et remarque comme moi : « Aujourd’hui il n’y a plus un seul instant de la vie des individus qui ne soit modelé, contaminé ou contrôlé par un dispositif ». Donc très loin des débats stériles entre la gauche ou la droite, entre les partisans de telle ou telle idéologie, à l’inverse de ce que les écologistes nous proposent – d’autres dispositifs de normes et de contrôles pour toujours plus de surveillance – c’est un combat pour récupérer ce temps et cet espace qui nous ait nécessaire pour vivre dignement qu’il faut mener. Sans liberté de vivre, pas de dignité.

 

L’homme survit et s’en accommode, dans un environnement de plus en plus étroit, borné, sans horizon, dans des villes inhumaines. Il accepte de donner son temps, sa vie au Marché et au Système qui le surveille et le contrôle en permanence. Il accepte, par la force des choses, que ce qui lui a été donné, gratis, l’espace, le temps, c’est-à-dire la vie, lui soit volé, qu’il doive donc la gagner, la regagner, et qu’elle devienne un luxe qu’il devra racheter très cher, pour en jouir de manière parcimonieuse, sauf à être bien né. Nous appelons cela la modernité, nous en sommes fiers – c’est dire notre état de formatage et de dépendance ; et, sans craindre la démagogie, nous appelons progrès ce long chemin qui nous a conduit au fond sordide de cette impasse. Vivement le grand collapse. Après, les animaux survivants pourront, dans leur langage à eux, reprendre cet aphorisme de Sylvain Tesson : « L’homme ne sera plus un jour qu’un souvenir terrifiant ».