Archives de catégorie : Philosophie

Articles de philosophie

Le dilemme : Hannah Arendt ou Ayn Rand…?

Il y a du symbolique dans ces deux grandes figures de la philosophie américaine contemporaine ; pas seulement en elles-mêmes, même si ces deux femmes ont quelque chose de fascinant, mais par leurs positions, semble-t-il opposées, comme deux planètes orbitant de manière symétrique autour d’un point de lumière que l’on nommerait LIBERTÉ… et que l’on qualifierait de source vive (fountainhead).

Elles sont de la même génération ; Arendt étant née en 1906 et son ainée, mais de si peu, en 1905. Toutes deux étaient philosophes, avec un gout pour la philosophie politique, et surtout un amour inconditionnel et passionnel de la liberté, amour qu’elles ont prioritairement défendu dans leurs ouvrages et leurs différentes prises de position : La liberté sinon rien…!, pour reprendre une formule éculée ou, pour citer Arendt, « La plus ancienne de toutes les causes, celle, en réalité, qui depuis les débuts de notre histoire détermine l’existence même de la politique : la cause de la liberté face à la tyrannie ». Et elles l’ont fait de manière très féminine, c’est-à-dire radicale, absolue, utopiste. Les femmes sont en cela souvent plus déterminées et plus cohérentes que les hommes ; elles savent aller au bout des choses et je veux bien avouer que mon panthéon littéraire est assez féminin, ce qui ne déplait pas vraiment au mâle blanc occidental que j’assume être – pour reprendre cette expression et la brandir comme un chiffon rouge au bout d’une hampe taillée en pique. Et j’aurais rajouté à ces deux noms, ceux de Simone Weil et d’Etty Hillesum, comme on lie une sauce, en cuisine, ici politique, avec des éléments existentiels et métaphysiques. Et si je rajoute encore un nom, celui d’un homme, d’Élysée Reclus, ce n’est ni par vantardise ou souci puéril et un peu pédant d’étaler une prétendue culture, ni du fait du disfonctionnement mental d’un éjaculateur précoce… de citations… on va le voir. Non, c’est qu’avant Camus, Reclus est Ma référence politique, mon Frédéric Bastiat à moi si je peux me permettre ce clin d’œil à Charles Gave, sauf que celui-là était géographe et non économiste ; et qu’en le citant, je joue la transparence sur l’endroit « d’où je parle ».

Mais revenons à nos deux philosophes américaines, la première classée à gauche, en fait à gauche de la gauche, et l’autre à droite, inspiratrice de Reagan, très à droite ; tout cela sur un échiquier très théorique qui parfois me semble plus cyclique qu’hémicyclique. Et ces deux femmes se sont battues, non seulement pour les libertés individuelles, mais surtout, et de manière conjoncturelle, contre les deux totalitarismes de leur siècle qu’elles avaient côtoyés de près, et avec une sensibilité très particulière du fait de leur judaïté. Arendt, née en Allemagne, avait fui le nazisme en 1933 après avoir été arrêtée par la Gestapo puis relâchée. Rand, de son vrai nom Zinovievna, née à Saint-Pétersbourg, avait déjà quitté la Russie bolchevique en 1925.

Mais ce bref rappel de deux trajectoires, deux météores qui se sont donc, à un certain moment, mis en orbite autour d’une idée fixe, me paraissait essentiel, car il illustre bien comment on peut être à la fois proches et éloignés. En réalité, cet article aurait pu pareillement se titrer « Philosophies libertaire et libertarienne ». Et je ne fais pas une comparaison qui serait assez ridicule entre les personnalités et les partis pris comparés de ces deux intellectuelles et la position que je veux défendre face à Charles Gave, que j’ai un peu lu et avec lequel je partage non seulement cet attachement viscéral aux libertés individuelles, mais probablement bien d’autres choses. Et si je nommais Élysée Reclus, c’est que, comme lui, je suis écologiste – le mot n’existait pas à son époque –, militant non violent, féministe –  du « genre » Bérénice Levet si l’on peut me comprendre, encore une femme que j’admire, mais peut-être ai-je un problème avec les femmes… de sans doute trop les aimer –, naturiste, au sens philosophique du terme, et puis… libertaire. C’est à dire tout le contraire de la pastèque évoquée dans le livre de Charles Gave (vert dehors et rouge dedans). Mais je suis de gauche, d’extrême gauche, et donc contre Sartre et pour Camus, contre LFI et pour… l’abstention. Quand Arendt vient en France en 52, elle déclare dans une lettre à son mari que la seule personnalité intéressante qu’elle y a trouvée c’est Camus – et disant cela, elle pense aussi à Sartre, « l’agité du bocal ». Je reprends ses mots : « Hier, j’ai vu Camus ; c’est sans aucun doute le meilleur en France à l’heure actuelle, il dépasse les autres intellectuels de la tête et des épaules ». Oui, elle reconnait un homme qui n’avait aucun complexe à défendre des positions et des amitiés clairement anarchistes ; et qui déclarait, et c’est là où je voulais en venir : « Le grand évènement du XXe siècle a été l’abandon des valeurs de liberté par le mouvement révolutionnaire, le recul progressif du socialisme de liberté devant le socialisme césarien et militarisé. Dès cet instant, un certain espoir a disparu du monde, une solitude a commencé pour chacun des hommes libres ». Et cette citation résume bien ce que je veux déclarer ici, précisément sur le site de l’Institut Des Libertés. Les amoureux de la liberté positionnés à droite, ce que je respecte, qui dénoncent et condamnent, parfois avec beaucoup de talent, d’intelligence et de cœur, « Les Horreurs de la démocratie » (Nicolas Gomez Davila, mais Nietzche avant lui…), font trop souvent l’erreur de confondre démocratie et parlementarisme et de réduire la Gauche au néomarxiste. Historiquement, il existe une autre gauche, celle de Proudhon – pour faire court… et éviter de me faire traiter à nouveau de pédant –, incompatible avec celle des laudateurs de Marx et de tous ceux qui l’on moins compris que défendu. Et lors de la Première Internationale, cet autre socialisme, individualiste et non collectiviste, anti étatique, a été mis au ban du mouvement révolutionnaire, au point que lors de la guerre d’Espagne, relire d’Orwell « Hommage à la Catalogne »… non, relire tout Orwell… – c’est vrai que j’ai oublié cet autre frère de ma famille libertaire – les staliniens, sur ordre de Moscou, ont préféré faire gagner Franco plutôt que de renforcer le parti anarchiste qui combattait les fascistes républicains. Continuer à oublier cette gauche et à tirer à vue contre « LA GAUCHE », c’est faire le jeu des néomarxistes ; de même que continuer à dénoncer l’écologie, sans distinguer Écologie et Écologisme, c’est accorder bien facilement une légitimité, une épaisseur à Mme Rousseau qui n’en a aucune.

Je suis donc de gauche et je rêve, pour reprendre la formule de Proudhon, d’un « Ordre sans État », mais, étant pragmatique, je pense que l’État est malheureusement un mal nécessaire. Et je crois à la démocratie directe et, dans un livre déjà ancien, je proposais comme réforme institutionnelle urgente qu’un tiers au moins de nos députés soient élus par tirage au sort, m’accordant sur la formule de Montesquieu qui, dans « l’esprit des lois », déclarait que « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie. Le suffrage par le choix est de celle de l’aristocratie ». Mais Arendt n’y fait-elle pas écho quand elle remarque que « Les partis, en raison du monopole de la désignation des candidats qui est le leur, ne peuvent être considérés comme des organes du Peuple, mais, au contraire, constituent un instrument très efficace à travers lequel on rogne et on domine le pouvoir populaire » ?

Et je suis un libéral… Mais quand la liberté des grands groupes s’appelle licence et ruine celle des petites gens, je veux d’abord être un libéral qui défend la liberté économique des plus faibles, une certaine « common decency ». Je veux défendre la liberté de vivre décemment de leur travail des petits producteurs de lait contre Lactalis, comme celle des paysans modestes contre la grande distribution qui les étrangle. Mais les anarchistes ne sont pas nécessairement contre le Marché. Je citais Rand, mais je le faisais comme libertarienne et pour faire pendant à Arendt – on aura compris l’artifice rhétorique d’opposer ces figures emblématiques –, j’aurais pu citer Voltairine de Cleyre… quel beau prénom…, une anarchiste américaine qui se définissait, un demi-siècle avant Rand, mais étrangement si proche d’elle, en s’opposant à une militante communiste de sa génération : « Mademoiselle Goldman est une communiste ; je suis une individualiste. Elle veut détruire le droit de propriété ; je souhaite l’affirmer. Je mène mon combat contre le privilège de l’autorité, par lequel le droit de propriété, qui est le véritable droit de l’individu, est supprimé. Elle considère que la coopération pourra entièrement remplacer la compétition ; tandis que je soutiens que la compétition, sous une forme ou sous une autre, existera toujours et qu’il est très souhaitable qu’il en soit ainsi ». Oui, n’en déplaise aux uns, à droite, ou aux autres, à gauche, c’est une militante de l’ultra gauche qui affirmait cela.

Mais pour ne pas faire plus long et ne pas rester sur le sol américain, je veux revenir à Camus parlant de la liberté, bien meilleur avocat que moi, mais tout aussi pessimiste que moi sur l’avenir, ce qui me distingue encore de Charles Gave : « La société de l’argent et de l’exploitation n’a jamais été chargée, que je sache, de faire régner la liberté et la justice. Les États policiers n’ont jamais été suspectés d’ouvrir des écoles de droit dans les sous-sols où ils interrogent leurs patients ». Mais il ne faut pas se méprendre sur ces termes. Contester « la société de l’argent », c’est, dans ces lignes, refuser, non pas l’économie de Marché, ni même le capitalisme, mais un capitalisme financier qui considère l’argent, non pas comme un outil de développement, de financement du progrès, une valeur de référence, d’échange, une récompense qui peut être légitime, mais comme une fin en soi et trop souvent comme un outil de domination et de corruption. Et l’exploitation veut ici dire la surexploitation, l’assujettissement, cette façon dont certaines entreprises françaises ont préféré pendant les trente glorieuses, plutôt que de payer des salaires décents aux ouvriers français, importer une main-d’œuvre étrangère corvéable à merci, et bientôt incontrôlable, quitte à la licencier plus tard, et en laisser alors la gestion à la collectivité. Ce que certains veulent encore faire en prétendant que « serveur dans la restauration » est un « métier en tension » et qu’il faut donc faire venir des immigrés pour pendre ces postes ingrats et très mal payés – postes qu’ils occuperont quelques mois avant de devenir dealer de crack. Charles Gave écrit que « nous ne sommes plus en démocratie, mais sous un système hybride que l’on devrait appeler une ploutocratie technocratique ». Je ne pense pas que nous ayons été jamais en démocratie, mais je crois dire un peu la même chose que lui en expliquant, depuis des années dans mes livres et sur mon blog, que nous sommes gouvernés par un attelage fatal du Marché et de la bureaucratie étatique – et supra étatique. Évidemment, quand je parle du marché, je ne parle pas du boulanger ou du garagiste de mon quartier ou des patrons de PME en général. Je parle de ces grands groupes qui ont les moyens de modifier nos vies et sont prêts à tout pour faire de l’argent, quitte à nous vendre, après nous les avoir fait désirer à coup de réclame mensongère, des produits dont nous n’avons aucun besoin ; et que rien n’arrête : destruction de l’environnement et des liens sociaux, déstructuration des sociétés, mise sur le marché de produits dangereux, corruption des élites, communication mensongère, etc. Et quand je parle de bureaucratie, je ne rends pas le modeste fonctionnaire responsable de tous les malheurs du monde. Mais si une vérité peut nous rendre libres – mais j’en doute un peu – il faut dire que depuis que les hauts fonctionnaires, notamment formés à l’ENA, sont entrés en politique, depuis que les grandes entreprises ont racheté tous les médias privés, depuis que les partis politiques ont renoncé à faire de la politique pour se concentrer sur la quête du pouvoir, depuis qu’une élite plutôt endogamique et cooptée a résolu par différents moyens (en Europe la construction de l’UE) de retirer tout pouvoir des mains du peuple – référendum est devenu un gros mot –, nous sommes dans une impasse. Et si l’on veut voir ce qui est au bout de cette impasse, il faut relire le « 1984 » d’Orwell (un livre de 1949) ou peut-être celui d’Ayn Rand « La source vive – The fountainhead » qui date de 1943, un très beau livre, bien que moins abouti, moins synthétique que celui d’Orwell.

Notes de lecture

J’avais prévu de vous reparler du petit dernier de Michel Onfray : « Patience dans les ruines » …. J’y viens… et déjà pour vous dire le plaisir que j’ai, chaque fois, à lire ce philosophe de prédilection avec lequel je partage, sur le plan des idées, tant de choses.

Remarquons déjà que si la philosophie est le métier d’Onfray, créateur de « l’Université populaire de Caen », une démarche profondément politique, métier qu’il pratique et où il excelle depuis longtemps, sa vraie vocation est la littérature. Mais le sait-il ? Et dommage, d’une certaine manière, que son métier, si prenant, l’ait tenu trop loin de cette vocation. Mais c’est le cas de beaucoup d’entre nous.

Pour l’essentiel, ce que je voulais redire ici, non pas qu’il le dise en ces termes, ou le dise tout court, mais il le démontre – son échange de lettres avec le supérieur du Monastère de Lagrasse, le Père Michel, qui clôt ce court ouvrage, inspire ma remarque un peu définitive : On ne peut pas plus traiter de l’irrationnel de la foi avec les outils de la raison, qu’on ne pourrait décrire avec des instruments de mesure physique (le décamètre, la balance, le microscope, etc.) des objets immatériels. Religion et physique participent de deux épistémologies qui ne peuvent se rencontrer, se superposer ; quoi que semblaient en dire les scolastiques. Et si le langage vulgaire, celui fait de mots et de phrases capables de décrire des paysages et de construire des syllogismes est adapté, par défaut, à un usage trivial de la pensée, la religion a besoin de parler en images, symboles, paraboles… Quant à la science, elle a besoin d’un autre langage, plus logique, plus binaire – celui qui distingue le vrai du faux – celui des mathématiques qui veut qu’un plus un fasse deux. Il fallait donc bien que physique et métaphysique s’affirment, à un certain moment, de manière singulière, et seule la physique quantique semble pouvoir peut-être réconcilier un peu les deux.

En d’autres termes, il y a un fossé entre croyants et incroyants que seule peut combler singulièrement la grâce.

Le dossier Godrèche-Jacquot

On en parle trop dans les médias pour que je reste indifférent à « l’affaire » et ne sois pas choqué par l’hystérisation de certains propos. Et de regretter que ce ne soit pas l’occasion d’en débattre sereinement. Et bien que je ne prétende pas être capable de porter sur ce sujet un regard plus perspicace ou d’avoir une analyse plus fine que la moyenne, je souhaite néanmoins réfléchir avec vous à haute voix.

Il me semble que ce fait divers – j’assume le terme de « fait divers » comme j’assumerai tout autant celui « d’affaire de mœurs » – peut être appréhendé au moins par trois dimensions, et c’est pour essayer de poser ainsi les termes d’un débat que je n’ai pas la prétention de mener bien loin, que j’écris ces lignes. La première dimension est psychologique et nul doute que des psychologues écrivent des livres sur ce cas d’école qui peut faire évoluer la règlementation. Et, même si la psychologie n’est pas une science, encore moins une science dure, ce que les experts du comportement peuvent nous dire sur les mécanismes de dépendance est important. Et une experte expliquait récemment chez Praud la différence entre transmission et prédation… si j’ai bien compris entre don et vol, et, dans une dimension plus symbolique, entre consentement et viol. C’est la question de la dépendance entre deux êtres, de la nature même de l’amour et de la réalité du consentement d’une personne sous emprise. Et ce que j’entends de la relation Godrèche-Jacquot semblerait montrer une dépendance, peut-être teintée de différents sentiments de différentes natures. Et ce premier débat ne peut être qu’un débat d’experts auquel on ne peut participer que comme candide, spectateur critique ou questionneur, mais qui nous renvoie tous à notre façon de concevoir la relation, et aussi les relations d’autorité. Et de ce point de vue, et sans jeu de mots, on est souvent dans l’entre-deux.

La seconde dimension est morale. Et on peut comprendre que le viol soit moralement commandable, qu’il s’agisse de viol de conscience ou de viol d’un corps. Certaines société ou culture appréhendent ou ont appréhendé ce sujet différemment de la nôtre, et je ne suis pas sûr que l’on puisse l’essentialiser ou le trancher de manière kantienne, c’est-à-dire religieuse : d’un côté le bien, qui nous serait toujours connu « a priori », par simple interrogation casuistique, et le mal qui se reconnaitrait à son odeur… peut-être celle des charniers, peut-être celle de l’eau de toilette du mâle blanc occidental. Je pense en effet que notre conscience n’échappe pas à une forme de détermination culturelle, ce qui, en teintant cette morale de subjectivité, ne la rend pas moins centrale. Et notre culture est chrétienne, et l’athée le plus radical n‘y échappe pas. Sur ce dernier point, j’aurais l’occasion de chroniquer l’excellent dernier livre de Miche Onfray « Patience dans les ruines ». Notre culture, qui a du mal avec les corps, qui, tout à la fois les méprise – pour un chrétien, c’est l’âme qui a de la valeur – et en sacralise la viginité – ne pas les montrer, ne pas en parler, les sanctuariser en quelque chose… – ne condamne pas le viol des consciences. Et je me demande, si la relation Godrèche-Jacquot avait été vierge de consommation sexuelle, si, bien que tout autant dépendante, déséquilibrée, prédatrice, faussement consentante, elle n’aurait pas été plus acceptée, voire curieusement qualifiée de pure. Et j’entends que l’on peut considérer comme outrancier le fait de comparer le viol des consciences par la propagande ou la publicité, et celle d’une gamine dans une « tournante » de banlieue, ou dans une voiture, tard le soir sur un parking. Pour moi, sur le fond, c’est un peu la même chose, un viol, mais évidemment que la violence de l’acte n’est ni de même niveau ni de même nature ; une violence d’ailleurs absente dans le viol en question – c’est ce dont elle parle quand elle évoque tardivement ce défaut de réel consentement. Mais la fait est que notre culture s’arrange plutôt bien du viol des consciences, un viol qui est à la base des religions du livre, donc de notre culture, et du viol des corps.

Reste la loi, dernière approche qui me parait essentielle. Les sources de la loi sont multiples : la tradition, la morale, l’intérêt de la société, de l’État et d’un certain nombre de lobbys. Cette affaire est condamnable moralement, mais ça se discute… Elle l’est aussi, en droit, et ça se plaide. Notre loi, depuis 1982, interdit une relation de couple entre une mineure de 14ans et un homme de quarante. Et à charge des juges d’apprécier la situation. Mais ces faits peuvent être prescrits, comme tous les délits ou crimes (sauf à de très rares exceptions). Et il existe aussi une responsabilité parentale. Accepter que sa fille de quatorze ans quitte le foyer familial pour aller vivre avec un homme beaucoup plus âgé qui lui ouvre son domicile et son lit, c’est être complice d’un délit ou peut-être d’un crime. A ma connaissance, la relation sexuelle entre une mineure de moins de 15 ans et un adulte est définie par le Code pénal comme une atteinte sexuelle, punie aujourd’hui de 5 ans de prison et 75 000,00 € d’amende. Et en cas de non-consentement, l’acte peut être requalifié en viol, c’est-à-dire de crime. Et si l’âge du consentement est de 15 ans, cela ne veut pas dire grand-chose après cet âge, mais décide de manière très normée, théorique, et indépendamment de toute maturité physique ou psychologique qu’avant cet âge, un consentement ne vaut rien devant un tribunal.

En conclusion de quoi, et c’est ce que je voulais dire, pour peu que l’on ait quelque chose à dire sur cette « affaire » ou quelque compétence pour le faire, il me parait essentiel de préciser si l’on veut en traiter les dimensions psychologique, moral ou juridique.

Les droits de vivre et de mourir

Je l’ai souvent dit, et depuis longtemps, mettre un terme à sa vie, c’est parfois prendre acte que cette vie n’étant plus qu’une survie, on est déjà mort. Mais je conviens que cela pose un certain nombre de questions.

L’euthanasie a mauvaise presse… peut-être parce qu’entendre prononcer ce mot c’est curieusement – car sans rapport de sens – entendre « nazi » et y associer d’autres idées comme eugénisme négatif ou solution finale. Pourtant, il serait bon que l’on puisse enfin débattre de ce concept mal défini, mais aussi du suicide assisté qui me parait tout autant problématisable. Mais entendons-nous bien, être favorable à une problématisation n’est pas nécessairement être défavorable à la chose ; et il me semble qu’il faudrait déjà s’accorder sur des définitions qui peuvent se superposer, s’imbriquer, car dans l’un ou l’autre des cas, il s’agit bien de demander à la médecine de mettre un terme prématuré à une vie devenue insupportable.

Et si je devais mieux distinguer les situations, les démarches, c’est en prenant en compte celui qui décide d’en finir avec une survie qui n’a plus de sens. Car au bout du compte, qu’importe les raisons de ce désir d’en finir s’il est « raisonnablement » justifié : on devrait alors pouvoir le faire décemment. Et ce n’est malheureusement, tristement, pas le cas à l’heure où l’on parle d’inscrire dans la constitution le droit des femmes à avorter, droit que la loi leur accorde déjà et qu’aucun parti politique ne songe à leur retirer. Mais pourquoi passer ici de l’euthanasie à l’avortement ?

Je ne pense pas que l’affirmation de ce dernier droit ait sa place dans notre constitution qui n’est pas et ne doit pas être une charte des droits – M. Larcher l’a justement rappelé. Et si ce combat devait être mené, il conviendrait de le faire à un niveau international pour que soit révisée la Déclaration Universelle des Droits Humains, ou, à défaut, demander ici une révision de notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, afin que soit aussi, de ce fait, précisé que cet homme-là peut être aussi du genre féminin – ce qui n’était pas dans l’esprit des rédacteurs du texte de 1789 qui ont octroyé le droit de vote aux citoyens et l’ont refusé aux citoyennes. Mais si nous devons inscrire dans ce texte les droits fondamentaux (c’est déjà le cas, et « ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression »), il conviendrait de rajouter, non pas le droit d’avorter, mais celui de vivre et de mourir dignement, et peut-être celui de procréer – je pense à l’eugénisme… Ce qui emporterait aussi le droit à disposer de revenus décents et de mettre fin à sa vie proprement. Car on ne peut séparer droit de vivre et droit de ne plus vivre. Et je crois donc que cela mériterait un débat à une époque où ce droit de vivre est refusé à certains – je pense aux juifs qui, hier, se voyaient refuser ce droit par les nazis, et qui, aujourd’hui encore, se le voient contester par les islamistes –, et savoir le droit de mourir dans la dignité refusé à ceux qui souhaitent abréger leur souffrance… J’écoutais récemment Alain Delon qui, dans cet entretien daté de peu d’années, exprimait clairement ce droit d’une personne âgée à mettre un terme à sa déchéance quotidienne.

Quant à l’euthanasie, s’il s’agit de permettre à un médecin ou à la famille de décider qu’un malade qui souffre doit mourir, je comprends que l’on puisse s’effrayer des dérives possibles. Mais la liberté de décider, en conscience, de mourir me parait essentielle. J’ai vécu personnellement les morts de deux proches : l’un s’est accroché à la vie jusqu’au bout, et de manière déraisonnable – je veux dire que ce combat n’était plus dicté par sa raison et que la question de son euthanasie aurait pu être posée ; et l’autre a souhaité mourir, mais ne le pouvait pas et a dû agoniser trop longtemps, me laissant un souvenir très laid de ses derniers moments, rongés par le cancer. Refuser ce droit des individus à décider et à organiser leur mort, c’est démontrer à quel point notre système politique est injuste et méprise les droits fondamentaux humains. Ou peut-être, reste prisonnier d’une idéologie chrétienne ? Quant à soumettre la question à référendum, n’en parlons pas dans un système qui méprise pareillement la démocratie populaire. Mais gageons que si Mme Von Der Leyen en décidait ainsi, Emmanuel Macron, en bon petit soldat, modifierait très vite la loi française. 

Un réarmement démographique ?

C’est notre président qui en a parlé en ces termes, nous apportant de nouvelles preuves de ses talents de communicant. C’est bien un fils de com, pour le meilleur et pour le pire, capable de trouver toujours le mot juste pour marquer les esprits. Sandrine Rousseau, que je cite aussi peu que je l’apprécie, lui a répondu la semaine dernière plusieurs choses dont je reprends deux extraits : « Je vais vous dire et ça va être choquant, mais la baisse de la natalité fait partie des variables qui sont rassurantes » ; et puis encore : « On n’a pas besoin, pour notre système économique, d’avoir plus d’enfants et je le dis en tant qu’économiste ».

À l’évidence, voilà bien un sujet de fond qui mériterait un vrai débat, je veux dire authentiquement démocratique, puis la proposition d’un plan (croissance/décroissance) et une consultation populaire par référendum. Nous n’aurons rien de cela, car nous ne vivons pas en démocratie, mais dans un système de gouvernance où le pouvoir est partagé entre une classe politique qui a perdu de vue ses électeurs, des hauts fonctionnaires faillis, et les tenants du Marché qui ne voient que leurs intérêts.

Et si ce débat nécessaire devait alors lieu, il mettrait en lumière au moins quatre dimensions à la question démographique : géopolitique, économique, environnementale, sociétale. Et j’en néglige ici faute d’inspiration…

D’un point de vue géopolitique, et c’est là où l’on peut parler de réarmement, il faut bien considérer que la démographie est ou a été une arme. On sait que les politiques natalistes menées entre les guerres européennes ou mondiales avaient comme premier objectif de produire des combattants, voire de la chair à canon. Et on comprend que cette question doit travailler le gouvernement israélien. Car on se souvient de la menace lancée par Boumediene, l’ancien président la République Populaire et Démocratique Algérienne, à la Tribune de l’ONU en 1974 : « Avec le ventre de nos femmes nous vaincrons l’Occident ». Plus récemment, Recep Tayyip Erdogan a condamné les idées mêmes de contraception et de planning familial en ces termes : « Nous allons accroître notre descendance. On nous parle de planning familial, de contrôle des naissances. Aucune famille musulmane ne peut avoir une telle approche. Nous suivrons la voie indiquée par Dieu et notre cher prophète ». Faut-il se réarmer démographiquement en vue d’une guerre de civilisation ? Personnellement, je suis pacifiste, car je ne crois pas à la guerre comme solution à un quelconque problème. Mais un pays doit être suffisamment armé pour défendre son intégrité territoriale, ses citoyens et ses valeurs, et surtout l’être de manière dissuasive. Reste à faire les bons choix… Et peut-être vaut-il mieux, en la matière, faire confiance à la mécanique plutôt qu’à l’humain, produire des bombes aussi précises que possible plutôt que de la chair humaine combattante. D’ailleurs ce débat a déjà été tranché en France par Jacques Chirac qui, en préférant en 1997 une armée de métier à une de conscris, a confirmé l’importance « relative » du nombre de combattants. Et la France n’est pas Israël. En conclusion, on ne peut justifier la relance de la natalité dans un objectif de réarmement. C’est pourtant le terme qui a été choisi.

Sur l’aspect économique, qui est le seul qui intéressera toujours notre président, Sandrine Rousseau a raison, d’un certain point de vue… L’économie n’a pas besoin, pour produire, d’hommes et de femmes – ni bientôt pour livrer. Et de toute façon, compte tenu de tous ces fonctionnaires inutiles que l’on pourrait réaffecter à des tâches de production et nos millions de chômeurs – plus de sept millions déclarés à Pole Emploi, mais comme pour les immigrés, nul n’en connait vraiment le nombre –, la question n’est pas là. Même s’il existe objectivement des métiers en tension : chercheurs, médecins spécialistes, urgentistes, électromécaniciens bien formés, professeurs, électriciens automobiles, chefs d’équipe dans le bâtiment, secrétaires connaissant l’orthographe, hôtes ou hôtesses d’accueil dans les administrations – des vrais gens pour régler les problèmes en lieux et places des machines qui le créent –, etc., etc.  Et si l’économie a besoin de gens, c’est de consommateurs, quitte à ce que ces consommateurs soient sans emplois, mais allocataires aux revenus suffisants pour faire tourner les supermarchés et absorber la production chinoise. Mais cela au profit de qui ?

Et sur le plan environnemental, tout consommateur est évidemment un pollueur. Il suffit de constater comment la France s’est urbanisée en un demi-siècle et comment nous avons partout détruit, pollué…

Reste la dimension sociétale. Je continue à penser que la promiscuité est un facteur important d’accroissement de la violence. En France, comme partout en Europe et plus largement en Occident, nous sommes trop nombreux. Une décroissance de la population, au moins à court terme, « je vais vous dire et ça va être choquant » ça ne me fait pas peur. Quant à s’attaquer à la perte de la fertilité, c’est un enjeu de santé publique, chaque couple devant pouvoir librement choisir d’avoir des enfants ou pas. Mais reste le problème du grand remplacement qui, dans certains départements, est une réalité mesurable. Je lis dans l’excellente étude de Jérôme Fourquet de « La France d’après » qu’en Seine-Saint-Denis, depuis 2021, plus de la moitié des enfants déclarés portent à la naissance un prénom musulman. À partir de quel seuil sur l’ensemble du territoire (50 %, 75 %, 90 % ?) nos esprits bien-pensants accepteront-ils d’y voir un problème de société ? Mais j’ai peur que ce soit déjà trop tard.   

Reste la question, non pas de l’immigration, mais du grave problème de défaut d’assimilation d’une population trop nombreuses à ne pas partager les valeurs occidentales. Nous n’avons ni la vocation ni la possibilité de répondre à la misère du monde, mais seulement le devoir, dans une certaine mesure, de porter assistance à des personnes qui partagent nos valeurs et sont menacées dans leur pays pour des raisons idéologiques. Pour le reste, nous pourrions nous inspirer de certains pays comme le Canada, qui a une politique dynamique d’immigration : sur dossier, une immigration ouverte à des personnes qui maitrisent, à l’écrit comme à l’oral, la langue du pays d’accueil, qui déclarent partager ses valeurs, et qui peuvent justifier de ce qu’ils peuvent apporter : formation diplômante, savoir-faire, projet personnel…

Oui, Sandrine Rousseau…

Mais je rajoute trois lignes, sans vouloir jouer au petit Clausewitz. Si la question du réarmement démographique se pose en ces termes, peut-être vaudrait-il mieux transformer l’OTAN en Alliance Occidentale de Paix, alliance armée, puis rappeler à la Russie que, si elle devait se souvenir un jour de ses racines judéo-chrétiennes, cette Alliance pourrait lui était ouverte. Et puis être prêts à se défendre, sans agressivité inutile.