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Les besoins de l’âme

Après une pause un peu déprimante chez Houellebecq, puis-je revenir à cette question environnementale qui m’inquiète – c’est peu dire – et qui est quasiment la seule qui devrait nous préoccuper. L’humanisme, cette idéologie religieuse mortifère, nous emmène à très grande vitesse dans le mur ; ou du moins, le Marché dans sa soif irrépressible et inextinguible de profits a monétisé le monde. Mais l’humanisme est l’autre face de cette médaille religieuse, et l’idéologie droit-de-l’hommiste  est de même nature. Non ! je ne mélange pas tout.

L’humanisme est un mythe qui s’est fait idéologie, comme l’équidéisme, s’il existait, et que le mot mérite alors d’être inventé pour expliquer la supériorité du cheval. Et pourquoi pas le cheval, par sa grâce, ou pourquoi pas encore l’insecte qui seul nous survivra ? Ou bien l’arbre, la rose ou l’ortie ? Ce mythe est politique, mais d’origine religieuse, judéo-chrétienne, adamique ; l’idée que nous serions tous sortis de la même « origine du monde », du ventre d’Ève, donc de la côte d’Adam. Mais cette déification de l’homme est une croyance mortifère.

 

Les écolos s’interrogent sur la possibilité d’octroyer aux animaux des droits. Je lis chez Richard Powers l’idée de droits pour les arbres ; et quand il nous fait remarquer que nous partageons une partie de notre patrimoine génétique avec ces cousins branchus, dont certains sont multiséculaires, je me demande si l’humanisme n’est pas sous-jacent à cette remarque. Sans doute est-ce un mauvais procès que d’imaginer que nous devrions octroyer des droits à qui nous est apparenté, et pour cette seule raison. Insistons sur notre difficulté à simplement penser notre avenir et celle de la terre quand nous sommes à ce point prisonniers d’une idéologie judéo-chrétienne que l’on peut nommer, c’est selon, humanisme ou droit-de-l’hommisme. Et que le marché a parfaitement intégrée, car le mythe testamentaire dit deux choses, quasiment dans la même phrase : l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance du créateur ; La terre, faune et flore confondues, a été créée pour être exploitée par l’homme. Rajouter à cela le précepte « croissez et multipliez-vous » et tout est dit, le mal est fait. Oui, le ver était dans la pomme.

 

Il faut, quoi qu’en pense François, revenir sur ces fables pour enfants, ou du moins les considérer comme telles : La Genèse, le Petit chaperon rouge, Le petit poucet et l’ogre, je veux dire David et Goliath. L’homme n’est pas l’avatar de Dieu ; il n’est pas moralement supérieur à l’animal, même s’il a pris le dessus sur l’ensemble de la création, et, si je peux paraphraser Brel paraphrasant Aragon, je ne suis même pas sûr qu’il soit l’avenir de la terre. Il nous faut changer tous nos paradigmes, et notamment cette trilogie de valeurs prétendument cardinales : l’homme n’est pas moralement supérieur aux autres animaux et n’a donc pas de valeur intrinsèque éminente ; une politique des droits (de l’homme, du citoyen, de l’enfant, de l’animal, des arbres, etc.) est une maladresse, pour ne pas dire une faute ; le libéralisme économique qui revendique sa liberté à monétiser le monde est fatale à la nature.

 

Disons-le simplement pour être bien compris : nous n’en sortirons vivants qu’à condition d’opérer une vraie Réforme qui aborde les choses ainsi. Car nous n’avons pas besoin d’un ensemble de réformes, mais d’une Réforme, pas besoin de mesures technobureaucratiques, mais d’un changement radical de paradigmes. Et ces changements ne se produiront pas gentiment. Soit nous sommes incapables de gérer cette rupture, soit ce schisme s’opèrera dans la violence. Pensons aux guerres de religion.

 

Revenons sur la question des droits. D’abord pour rappeler que les animaux ne sauraient avoir de droits car ils n’appartiennent pas à un état de droit. Et j’entends bien que cette affirmation peut choquer. Pourtant, on ne peut dissocier droits et devoirs et il vaudrait mieux prendre les choses dans le bon sens, sauf à préférer marcher sur la tête. Tout droit suppose un devoir qui est sa condition même d’existence. Les droits sont donc subjugués aux devoirs, car comment un droit pourrait-il être revendiqué, octroyé, si, dans un cadre donné, n’existait pas un devoir, une obligation correspondant à respecter et défendre ce droit. Que devient le droit de l’enfant si l’adulte s’en fout ? Qu’en est-il du droit de l’animal à vivre si l’homme n’assume pas un devoir ou ne respecte pas une obligation de respecter cette vie animale ?

C’est Simone Weil qui, probablement, pose le plus justement cette problématique dans un texte publié par Camus sous le titre « L’Enracinement » (et sous-titré « Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain ». Elle écrit « La notion d’obligation prime celle du droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n’est pas efficace par lui-même, mais seulement par l’obligation à laquelle il correspond. ; l’accomplissement effectif d’un droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. L’obligation est efficace dès qu’elle est reconnue. Une obligation ne serait-elle reconnue par personne, elle ne perd rien de la plénitude de son être. Un droit qui n’est reconnu par personne n’est pas grand-chose ».

Et c’est pourquoi, à l’idéologie des droits, je préfère m’en tenir au primat de l’obligation, en fait du devoir, et considérer que si l’État doit garantir des droits à sa population, et si réfléchir aux droits de l’homme reste pertinent, l’essentiel est de promouvoir des chartes précisant les devoirs de l’État et du citoyen, l’un vis-à-vis de l’autre, et de l’homme vis-à-vis de l’ensemble de la création : la terre, sa flore, sa faune, dont les communautés humaines forment la part la plus problématique. Et si je préfère parler de devoir plus que d’obligation, c’est que la question n’est pas seulement de droit. Elle est d’abord morale.

 

Encore un mot sur l’humanisme qui est une façon de ne jamais considérer les choses, autrement qu’en rapport à l’homme, à ses intérêts. Je lis aujourd’hui même cet avertissement au G7 de l’environnement : « La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier ». Où l’on voit que la gravité de la situation n’est pas mesurée ici par le nombre d’espèces en voie de disparition (près d’un million), mais pas les conséquences sur une seule espèce (la vie humaine).

A Alger et Paris

Peut-on opérer des rapprochements entre Alger et Paris, comparer des situations que d’aucuns qualifient de prérévolutionnaires de part et d’autre de la méditerranée ? Encore faudrait-il s’interroger sur ce qu’est une révolution, ce qui en fait l’essence ; et qui permettrait de dire qu’ici ou là, ici ou là-bas les choses en gestation sont de cet ordre.

Qu’est-ce qu’une révolution, si ce n’est une redistribution radicale du pouvoir ? Oui ! si les mots ont un sens, et s’ils les ont perdus en politique, ils les gardent encore en philosophie politique – et c’est bien ce qui distingue certaines de mes chroniques de simples discours politiciens –, alors, la révolution se caractérise par sa radicalité et sa violence, une façon de tourner la page ou de claquer la porte, brutalement.

Et c’est pourquoi, signe des temps nouveaux, le fait pour le candidat Macron de titrer son ouvrage programmatique « Révolution » est une escroquerie intellectuelle, du 100% pure com. Car qui peut affirmer que le projet de celui qui est devenu notre président est de redistribuer le pouvoir, alors qu’il déploie tous ses talents, qui ne sont pas minces, qu’il mobilise toute son énergie, et il en a à revendre, à « tout changer pour que surtout rien ne change » ? Il a mobilisé des marcheurs pour marcher avec lui vers l’Élysée où il siège aujourd’hui, entouré de ces marcheurs réduits au sur-place, au piétinement. Je ne sais s’il y aura dans notre pays à plus ou moins long terme une révolution, mais ce n’est pas d’Emmanuel Macron qu’il faut l’attendre, l’espérer ou la craindre.

La politique aujourd’hui, ce que je dénonce avec les GJ, c’est bien cet art de l’enfumage, cette façon systématique et portée au niveau d’un art abouti d’appeler les vessies lanternes, de nous présenter des contre-valeurs comme des valeurs à promouvoir et à défendre. Mais ce faisant, qui ne voit que l’on ruine l’autorité de la Politique et que, tuant la Politique, on tue aussi les espoirs qu’elle porte en elle ? Quitte à paraphraser à nouveau, je dirais que cet assassinat est plus qu’un crime, c’est une faute. Et le fait que celui qui la commet se prétend progressiste, alors qu’il s’agit bien de tout le contraire, fait sens, puisque dans cette revendication qui veut nous faire prendre un regrès pour un progrès, c’est encore et toujours de la com, raffinée à l’extrême, 100% pure et garantie par la marque « Macron ». La vraie révolution, ce serait peut-être aussi, une autre façon de faire de la politique, la fin du pouvoir de la com.

A l’heure du grand enfumage

J’évoquais dans ces termes deux principes malheureusement absents de nos pratiques politiques, « d’une part la recherche permanente du consensus et surtout une certaine idée de l’horizontalité ». J’y reviens.

L’un me parle de démocratie participative, l’autre de démocratie délibérative ; d’autres encore déclarent s’en tenir à la démocratie représentative. Bullshits et crottes de nez ! Pour ma part, je m’en tiendrai à mon désir de liberté et à une exigence de respect, c’est-à-dire à cette idée, probablement trop simpliste, que les gens puissent collectivement décider de ce qui leur convient, être des citoyens acteurs politiques, excuser le pléonasme ! N’en déplaise aux fossoyeurs de la démocratie et autres esprits macroniens, la démocratie est non seulement participative, délibérative, représentative par nécessité malheureuse – et rappelons avec Robespierre que « « Partout où le peuple n’exerce pas son autorité et ne manifeste pas sa volonté par lui-même, mais par des représentants, si le  corps représentatif n’est pas pur et presque identifié avec le peuple, la liberté est anéantie » –, mais elle est aussi beaucoup plus que cela, sinon, ce n’est qu’un enfumage aristocratique, ce que l’on doit bien appeler de la com-à-mépriser-les-masses.

Les gens sont prisonniers d’un système technobureaucratique dont les deux faces sont le Marché et la Bureaucratie et que seuls défendent ceux qui le servent, vivent de ses prébendes et peuvent jouer au petit chef en cultivant un entre-soi qui les exonère de toute réflexion et les protège de la réalité douloureuse des masses.

Si l’on cherche des Bastilles à investir, des murailles aveugles à l’assaut desquelles monter, il ne faut pas chercher plus loin. Mais, non-violent jusqu’à la déraison, je continue à penser comme Josué qu’on peut faire tomber les murs sans jets de pierre et sans effusion de sang. Je ne possède pas la trompette à ébranler les murs, seulement une voix inaudible qui psalmodie ses prières dans le brouhaha médiatique. Qu’importe ! « Il n’est nul besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » – vieille sagesse stoïcienne, formulée ici par Guillaume d’Orange –, et je prétends que la désobéissance civique pourrait tout changer, sans nécessairement tout régler. Car il est un temps pour détruire et un temps pour reconstruire. – autre sagesse stoïcienne, palingénésique. Je sais ne rien peser, ce qui me rapproche de la masse. Notre roitelet, lui, pèse ; et incarne. Pas la nation, non ! Il n’incarne que la haute administration où il s’est fait ses dents de lait, et la banque où il s’est fait des dents-de-loup.

Retour aux sources

Je crois beaucoup à la Réforme, non pas aux réformes qui ne sont que des rustines sur une chambre pourrie et qui n’ont pas d’autre but que de « tout changer pour que rien ne change », mais à ce que je qualifie de « Réforme au sens religieux du terme » ; cette idée de revenir aux sources pour retrouver la vérité virginale d’un projet qui s’est enlisé depuis trop longtemps dans des compromis qui l’ont dénaturé, et dont on ne comprend plus le véritable sens. Il en va ainsi de notre divise nationale : liberté, égalité, fraternité ; elle mériterait d’être expliquée, commentée, débattue, et pourquoi pas dans nos lycées afin de l’on retrouve derrière les mots, l’idée, l’ambition dans sa force et sa cohérence. Mais qui souhaite ouvrir la boite de Pandore de la réflexion politique critique, surtout entre les mains des plus jeunes ?

Car la formule, pour le dire trivialement, est plutôt habile, je veux dire signifiante. La liberté et l’égalité comme alpha et oméga « chrismatique »[i], de la démocratie. Et je verrai d’ailleurs la liberté plutôt comme son oméga, car c’est bien le but de toute démocratie ; d’ailleurs, un projet démocratique qui ne viserait pas à libérer les gens ne serait qu’une escroquerie politicienne. Et l’égalité comme préalable et comme moyen, est en alpha, car la démocratie est d’abord un choix, celui de l’horizontalité, le refus d’une verticalité aristocratique, royale ou jupitérienne. Mais il faut bien s’entendre sur ces notions de liberté et d’égalité, car le diable totalitaire étant dans les détails et la com étant passée par là, on a tôt fait de garder les mots, mais de leur faire dire autre chose en pervertissant les concepts qu’ils désignent.

D’abord, il n’y a de libertés qu’individuelles, le reste, c’est concept creux et tours de passe-passe. Il n’y a pas plus de liberté publique ou collective que d’intérêt général. Il n’y a que des libertés personnelles, individuelles plus ou moins communes. Quant à l’égalité, il ne faut pas la confondre ni avec la similarité ni avec un égalitarisme qui ne cherche qu’à niveler. J’en prends comme exemple, cette façon de prétendre répondre « également » aux besoins des gens. Le principe d’égalité suppose qu’on essaye d’y répondre, même si le projet est un peu vain, pour tous et de manière égalitaire, c’est-à-dire qu’on porte le même intérêt à chacun, un égal intérêt aux besoins singuliers de chacun, car chacun a effectivement ses propres besoins. Mais si donner à chacun la même chose est justifiable sur le principe de la justice, ça ne l’est pas au prétexte d’égalité.

Quant à la fraternité, que dire si ce n’est que ce principe qui est postérieur aux deux autres, est une simple survivance d’un bon théisme (ou déisme) et humanisme que ne revendique pas, mais qui ne me pose pas soucis. Car il faut se méfier en politique, et plus largement en sociologie des symboles et des concepts « religieux ». Derrière chacun se cache une entreprise « théocratique », je veux dire aristocratique et féodale donc antidémocratique. J’en donne encore un exemple, car faute de toujours illustrer les thèses ici défendues, on pourrait croire à la vanité de mon propos. Penons le concept, lui aussi tendancieux, de nation. La seule réalité démocratique est de parler de « gens ». Car évoquer la nation, c’est permettre à certains de prétendre l’incarner, ce qui est une prétention religieuse. Une nation s’incarne, les gens se représentent. La première approche est jupitérienne, monarchique ; la seconde, démocratique. Mais c’est vrai que la société française n’est pas seulement demeurée monarchiste, elle est aussi restée très féodale.

[i] Je fais évidemment référence au Chrisme constantinien

Plus d’arbres et moins d’hommes

Plusieurs fois, j’ai eu l’occasion ici de faire allusion au risque d’effondrement de nos sociétés, et chaque fois en référence aux analyses déjà anciennes de Jared Diamond, dans « Collapse – How societes chose to fail or succed ». Déjà anciennes, car la maturation et l’écriture de cette étude publiée aux États-Unis en 2005 (600 pages aux Éditions Gallimard pour l’édition française) prenant de nombreuses années, l’essentiel des thèses défendues était donc produit au tout début des années 2000, voire à la fin de la décennie précédente. Son auteur est un scientifique et enseignant américain, biologiste, physiologiste et géographe qui, après avoir étudié l’effondrement d’un certain nombre de sociétés disparues, nous livre une grille de lecture et des recommandations dans un essai très documenté, très long, trop long. Aussi, ne tenterai-je pas de résumer cette étude historique et ce travail de synthèse qui mériterait d’ailleurs une synthèse. Mais au moins puis-je livrer ce que j’en ai retenu d’opératoire.

Une étude de cas détaillée permet tout d’abord à Diamond d’identifier les 8 causes fondamentales de l’effondrement des civilisations étudiées et leurs 4 facteurs d’effondrement. Ces causes historiques ayant toutes comme résultat la destruction de l’environnement de ces sociétés, puis leur extinction. On pourrait les présenter comme le chemin octuple vers la mort, ou les 8 meilleures façons de détruire son environnement, de se tirer une balle dans le pied ou de scier la branche sur laquelle on est assis. Tout d’abord et naturellement la déforestation, puis les problèmes liés au sol ; rajoutons une mauvaise gestion de l’eau, la chasse excessive, la sur pêche, l’introduction d’espèces allogènes qui vont déséquilibrer les écosystèmes, la croissance démographique, l’augmentation des impacts humains par habitant. Évidemment, ces facteurs sont déterminants pour des sociétés d’éleveurs ou de chasseurs-cueilleurs, ce que nous ne sommes plus totalement. Et les 4 facteurs d’effondrement (et ce point est peut-être plus important encore) sont : les dommages environnementaux précédents classés, un changement climatique parfois imprévisible, du moins quand il n’a pas de cause anthropique, l’existence de voisins hostiles ou l’absence de partenaires commerciaux amicaux. En d’autres termes, les sociétés disparues étudiées ont cessé, à un certain moment, d’être autosuffisantes faute d’avoir su préserver leurs ressources vitales ou d’avoir régulé leur démographie pour l’adapter aux ressources disponibles, et elles se sont retrouvées confrontées à des changements climatiques devenus insurmontables ; et leur isolement dû à l’absence de voisins ou à des voisins hostiles, et leur manque d’échanges commerciaux qui auraient pu pallier leur perte de ressources les ont conduits à une impasse fatale. À chacun de faire des parallèles avec une forme d’actualité ou de modernité.

Après des exemples du passé, l’auteur évoque le Rwanda qui s’est effondré en 1994, et sa grille de lecture semble pertinente (déforestation, surpopulation, famine, génocide). Mais je voudrais, prolongeant les analyses de l’auteur évoquer trois réflexions parmi d’autres possibles.

 

Il y a peu d’années, je lisais que l’Afrique s’éveillait enfin, que son taux de croissance (il s’agit là du PIB) était le meilleur indicateur pour en juger et que le prochain siècle (le nôtre) serait celui du continent noir. Pourtant, si l’on utilise les outils méthodologies forgés par Jared Diamond, force est de constater que, non seulement l’Afrique n’est pas en train de s’en sortir, mais elle présente tous les critères laissant penser qu’elle a commencé à s’effondrer : surpopulation – l’Afrique est le continent qui a le plus fort taux de croissance démographique ; déforestation et destruction de l’environnement ; insuffisance alimentaire – plutôt que de favoriser des cultures maraichères traditionnelles qui nourriraient les populations, les sols africains sont utilisés à produire pour les consommateurs occidentaux ou chinois ; pas d’échanges commerciaux dignes de ce nom  – l’Afrique est pillée et par ses clients du Premier Monde et par les despotes qui la gouvernent. Et elle subit le dérèglement climatique mondial que l’on sait, et qui peut lui être fatal. L’auteur de Collapse nous décrit précisément le synopsis de cette sombre histoire : mise en place et corrélation des 4 facteurs d’effondrement puis, dans tous les cas étudiés, et cela depuis quelques millénaires (île de Pâque, Groenland Viking, civilisation Anasazi, Mayas, mais aussi le Rwanda ou Haïti), la famine, les épidémies, la guerre, le génocide, l’effondrement, l’exode.

Quand des sociétés s’effondrent, que cet effondrement est déjà engagé et attesté par ces marqueurs : famines, épidémies, guerres, génocide, les populations n’ont plus d’autres choix que de partir ou mourir sur place ; et beaucoup meurent dans leur fuite.

Les grandes migrations de ce début de siècle n’ont pas pour origine, comme on voudrait nous le faire croire, la guerre, des conflits entre Hutus et Tutsis ou entre chiites et sunnites, ou bien encore de grands manœuvres géopolitiques de recompositions impliquant la Russie, la Turquie, l’Iran, ou des guerres de religion, mais l’effondrement d’un continent, au sens où Jared Diamond a théorisé ce phénomène. L’occident, et principalement l’Europe, est confronté à un effondrement qu’elle n’a pas vu venir, ou qu’elle a laissé se produite, ou qu’elle a provoqué en pillant les ressources de ce continent perdu. C’est pourquoi nos responsabilités coloniales et post- coloniales ne nous permettent pas de nous en laver les mains ; et nous avons donc un devoir de secours vis-à-vis de ces populations ; mais gardons-nous d’importer ici toutes les causes qui conduiraient demain à l’effondrement de l’Europe. C’est tout notre dilemme, car dans tous les cas, si la question environnementale est centrale, la question démographique et d’aménagement du territoire est elle aussi critique.

 

Mais l’essentiel du propos de Diamond – ce qui m’a amené à dire que son ouvrage aurait mérité une synthèse, un « reader digest » sous la forme d’un ouvrage de 100 pages –, tient à cette question posée dans le dernier chapitre : « Que se passera-t-il lorsque tous les habitants du Tiers-Monde entreverront que le niveau de vie actuel du Premier Monde leur est inaccessible et que le Premier Monde refuse d’abandonner son niveau de vie ? » À l’époque où cette étude est parue, le rapport entre le niveau individuel de consommation et de production de déchets des habitants du Premier Monde et du troisième était de 1/30. Un rééquilibrage de ce rapport, aggravé par une croissance de la population mondiale nous conduira dans une impasse et à un effondrement, non pas national ou continental, mais planétaire, car les problèmes de pollution et de ressources seront alors posés à ce niveau. Et la question « morale » qui peut être posée, introduisant ma troisième remarque, est celle-ci : est-il moralement plus acceptable d’empêcher la mise à niveau des conditions de vie du troisième monde ou de faire décroitre absolument la population mondiale ? Voyons bien qu’un ralentissement de cette croissance des naissances, par exemple en augmentant le niveau de vie des habitants du Tiers-Monde pour atteindre un point d’équilibre au-delà de 10 milliards, nous condamne ici, en occident, à voir baisser considérablement notre niveau de vie, baisse qui augmentera de manière très spectaculaire les écarts de revenu et de patrimoine, car, dans cette affaire, les riches sauront maintenir leurs positions et laisser les autres payer la note. Diamond nous rappelle d’ailleurs avec un peu d’ironie que dans tous les cas étudiés, si les riches n’ont rien fait pour éviter la catastrophe, ils ont été les derniers à se suicider.

Et il rajoutait, il y a donc maintenant près de vingt ans : « Comment imaginer que les habitants du Premier monde conserveraient leur confort, sous la menace du terrorisme, des guerres et des maladies, et alors que croîtraient les mouvements migratoires à partir de pays du Tiers-Monde en voie d’effondrement ? »

 

Je termine par un point d’actualité. Les Echos du 16 courant titraient « Baisse de la natalité : les risques pour l’économie ». En regard, citons à nouveau l’ouvrage de Diamond : « Il est empiriquement prouvé qu’une population plus nombreuse est une croissance démographique plus forte implique plus de pauvreté, et non pas davantage de richesse ». Personnellement, j’ai toujours plaidé pour cette dernière opinion, mais je rajouterai un point important qui explique le parti pris des Echos : une population plus nombreuse implique qu’il y ait plus de flux commerciaux et financiers, donc plus d’écarts de revenus et plus d’injustice sociale, car les riches, pour l’être beaucoup, ont besoin qu’il y ait aussi beaucoup de pauvres, car leur richesse est assise sur la paupérisation du plus grand nombre. Rappelons que les 26 personnes les plus fortunées au monde possèdent ensemble plus que les 3,8 Milliards de personnes les plus pauvres – il s’agit là de capital et non de revenus.

 

Allez, encore une dernière citation pour me faire plaisir et céder à mes démons : « Mais il est un facteur clé : les valeurs religieuses. Profondément implantées, elles sont donc de fréquentes causes de comportement désastreux. Par exemple, une bonne partie de la déforestation dans l’île de Pâques résultait d’une motivation religieuse : il fallait disposer de troncs d’arbres pour transporter et ériger les statues géantes de pierre qui étaient des objets de vénération ». Tout ça, c’est de la faute du pape – on relira avec intérêt ma chronique sur l’encyclique du pape (postée en décembre 2015)