Je ne peux suivre Nicolas Baverez

La démocratie n’est ni un système de représentation, ni un processus de décision à la majorité des votants. C’est essentiellement la reconnaissance de l’égalité des citoyens, c’est-à-dire le refus de hiérarchiser les relations, et donc un mode relationnel qui privilégie l’écoute, la participation de chacun, la délibération collective et la prise de décision consensuelle. L’écueil qu’elle rencontre le plus fréquemment, c’est l’usurpation du pouvoir par une élite qui prétend parler au nom du peuple.

 

Je le dis : la présente chronique répond partiellement à l’intervention télévisuelle de Nicolas Baverez, hier 4 février, dans C à vous. Ce laudateur de la « démocratie libérale » – concept dont on peut se demander si la formulation n’est pas oxymorique – la défendait en l’opposant à la « démocratie illibérale » – autre concept qui se joue de la sémantique. Et il en appelait à la défense de la première contre le risque de la seconde, comme s’il fallait souhaiter la pneumonie par peur de la peste.

Tout d’abord, je veux redire à quel point ces formes de démocratie sont peu démocratiques et d’autant moins défendables pour cette première raison. Je sais bien que Churchill disait que c’était « le pire des systèmes à l’exception de tous les autres ». Sauf qu’aujourd’hui, il est envisageable de construire un autre système dont on pourra sans doute dire la même chose, tant il ringardisera la démocratie libérale. Au passage, rappelons que Churchill, l’autre géant politique de son époque, déclarait dans ce même discours de novembre 1947 : « Ce n’est pas le Parlement qui doit régner ; c’est le peuple qui doit régner à travers le Parlement », ou encore : « Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple : voilà qui reste la définition souveraine de la démocratie ». Oui, la démocratie se caractérise par le pouvoir des gens, leur prise de décision directe chaque fois que c’est possible ou chaque fois que la question posée est fondamentale, structurante, ou touche à l’éthique nationale ; et sa bonne représentation dans tous ces autres cas où il n’est ni judicieux ni possible d’utiliser une voie référendaire ou de construire une agora numérique. Mais la vie démocratique ne s’arrête pas à la mise en urne. Encore faut-il que toute décision soit précédée par une recherche de consensus et le souci constant du respect de la minorité ; surtout quand, à peu de voix près, elle pèse autant que la majorité. Et c’est pourquoi ce ne peut être le pouvoir de la rue, de ceux qui crient le plus fort ou cassent les vitrines. La voix silencieuse d’un bourgeois sur son canapé dans le XVIe arrondissement, pesant autant que celle d’un militant au mégaphone.

En second lieu, je veux dire que la démocratie illibérale – on parle aussi d’autoritarisme majoritaire ou de populisme pour ce refus des contrepouvoirs – ne peut constituer une alternative au parlementarisme « traditionnel », car ces deux systèmes sont pareillement pervertis par un germe totalitaire.

Ce qui rend si peu démocratiques nos démocraties libérales, c’est toujours la prise de pouvoir d’une élite (en France et plus largement en Europe, administrative) qui a su construire un système lui permettant de gouverner le pays sans partage et sans que le peuple puisse en dire quelque chose. Mais c’est une vieille histoire et Rousseau le soulignait déjà au XVIIIe dans « Du contrat social » : « Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien ». Et Churchill le savait aussi.

Quant à la démocratie illibérale, c’est une autre escroquerie, une autre usurpation du pouvoir, par un homme ou un clan qui a su se faire plébisciter.

 

Nicolas Baverez n’a pas tort, à proprement parler. Il défend simplement les acquis de cette élite qui nous gouverne, dont il fait partie, et qui, de manière de plus en plus outrancière, se gave. Il faudra que je chronique « Les Voraces », ce réquisitoire de Vincent Jauvert qui, dans une démocratie saine, aurait dû provoquer une crise de régime, mais qui fait si peu de vagues.

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