L’espoir grec

Syriza doit réussir. C’est évidemment extrêmement important pour les grecs, mais ça l’est tout autant pour l’Europe en construction et plus généralement pour le devenir des peuples. Car ce qui va se jouer dans cette expérience politique radicale, radicalement nouvelle, c’est la possibilité même d’encore pouvoir faire de la politique, et il ne m’est pas indifférent que la question soit posée dans la patrie d’Aristote[1]. Au-delà de la gestion de l’énorme dette grecque (173 % de son PIB)[2], du maintien ou pas d’une austérité qui n’est plus tenable, c’est la question de la démocratie qui est ainsi posée. En effet, depuis trop longtemps, le partis qui nous gouvernent sans partage – en France l’UMPS – nous expliquent que la politique est morte, que le Marché décide de tout, et que, reconnaissant cette force transcendantale, à la fois principe de vie et grand régulateur des rapports humains, il faut bien aussi communier dans sa morale – morale qui nous dit que dans un monde où tout est quantifié, c’est-à-dire réifié, tout rapport humain est nécessairement marchand –, et accepter que les clercs de cette nouvelle religion naturelle administrent les sociétés en respectant la seule autorité de l’économie. Nous n’aurions donc plus aucune marge de manœuvre et pas d’autres choix que de renoncer à l’illusion politique pour accepter un traitement administratif des situations mises en courbes et en ratios, et des individus assignés à des catégories – c’est-à-dire niés comme sujets-individus pour devenir objets-matière de l’économie. Et dans les faits, il faut bien reconnaitre que la technostructure a partout pris la main sur la vie des gens, pris le pas sur l’avis des citoyens, et que les hauts-fonctionnaires, principalement formés chez nous à l’ENA, nous gouvernent en méprisant la vox populi. Et l’exemple bruxellois en est une vraie caricature.

Syriza doit donc démontrer qu’il est encore temps de reprendre la main et possible de sortir de cet enfermement fatal. Aussi, si le traitement de la dette grecque doit être suivi de près, principalement par l’Italie, l’Irlande, le Portugal et les autres pays très endettés qui ne manqueront pas de s’engouffrer dans la brèche possiblement ouverte, c’est d’abord sur le plan institutionnel que l’on attend le parti radical d’A. Tsipras. Athènes, au temps de Clisthène, avait su inventer la démocratie. Saura-t-elle, à l’aube du XXIe siècle, la réinventer ? C’est je crois la vraie question, le seul enjeu qui pour moi vaille. Nous verrons bien…

Pour ce qui est de la dette des pays de l’UE, disons qu’il est inévitable qu’une partie en soit annulée, par exemple pour la ramener partout en-dessous du seuil de 80 ou 90 % du PIB, et que le solde soit partiellement refinancé par l’Europe et remboursé par chacun sans intérêts. A l’heure ou la BCE se propose de « créer » de la monnaie et de remettre en circulation de l’argent que les banques soustraient à l’économie, ce plan ne serait-il pas compatible avec un projet de QE[3] qui me semble dépourvu d’ambitions et très loin de répondre au problème posé par la mise en faillite de pays gérés par une classe politique laxiste et populiste. Car les vrais populistes, ce ne sont pas les SYRIZA ou les PODEMOS, ce sont ceux qui ont laissé filer la dette par pure clientélisme, et par désir de flatter le peuple pour assurer leur réélection.



[1]. Je me dois de préciser que le stagirite était un métèque, mais natif de macédoine (comme Alexandre).

[2]. D’autres pays ont des dettes abyssales : l’Italie de l’ordre de 130 % de son PIB, le Portugal de 100 %,  l’Espagne ou la France 95 ; mais l’Allemagne n’est pas si loin derrière, avec un peu moins de 80 %.

[3]. Quantitative easing.

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