Contribution citoyenne à une réflexion sur la violen

C’est donc un coup de machette fatal qui a tué Elias, ce gamin sortant de son entrainement de foot. Les agresseurs étaient des délinquants connus, non sociabilisés, et la victime un jeune parfaitement intégré au casier judiciaire vierge, notamment sociabilisé en équipe de foot. Le week-end dernier, c’est un jeune marginalisé, pourtant issu d’un milieu bourgeois, qui massacrait une très jeune fille en utilisant le couteau qu’il gardait dans la poche de sa doudoune – le foot sociabilise, les jeux vidéo désociabilisent en interposant un écran entre soi et les autres, soi et le monde. Depuis, une grenade est jetée dans un bar associatif par un inconnu armé aussi d’une kalachnikov. En en Allemagne, un autre jeune homme fonçant dans la foule et tuant ; puis en Autriche… Et la liste va s’allonger dans les jours et les semaines qui viennent… inexorablement. Fini les marches-blanches, les « plus jamais ça », fini les regrets pour ce qui ne serait que faits divers à répétition. Les politiques se taisent ou font de la communication sans que l’on sache bien s’ils croient encore à ce qu’ils disent. Surtout, Emmanuel Macron se tait et préfère jouer à l’IA comme d’autres à des jeux vidéo. Eric Piole déclare qu’il s’en fout, Anne Hidalgo, plutôt que de débattre avec son opposition, s’hystérise et en appelle aux tribunaux.

Notre classe politique est out, hors sol. Vance n’a pas dit autre chose à Munich. L’extrême droite en appelle à plus de répression comme si cela pouvait régler le problème. Alors qu’on a collectivement construit (pour les uns) et accepté (pour les autres) une société de plus en plus violente et qui a sacrifié sa jeunesse. Et certains semblent croire, ou feignent de croire qu’en étant plus répressifs, on peut réformer la société. Pascal Praud a tort sur ce point. C’est évidemment faux, d’ailleurs toutes les études le montrent, les jeunes faisant de la prison sont ceux qui récidivent le plus. Et plus les policiers sont armés – ils le sont aujourd’hui comme des soldats au front – plus la violence urbaine augmente. Et les caméras de vidéosurveillance n’ont jamais empêché le moindre délit ou crime. Alors, faut-il prôner le laxisme, le laisser-faire. Surement pas, il faut que la justice, chaque fois, passe, et vite, que les criminels soient condamnés à hauteur de leurs actes et fassent leur peine. La répression est donc nécessaire et doit encore se renforcer, mais ce n’est pas suffisant. Nécessaire mais pas suffisant. Il faut aussi et surtout tenter de régler le problème à la base. À savoir…

S’attaquer au communautarisme, à l’emprise des religions sur les gens, intégrer, assimiler, et tant qu’on n’y est pas arrivé, limiter l’immigration au droit d’asile – la personne directement menacée, son couple, ses enfants – et à une immigration économique dont le volume serait voté chaque année par l’Assemblée nationale. Une immigration sur dossier, et en privilégiant les individus parlant un minimum de français et ayant une culture compatible avec la nôtre. Et en privilégiant aussi, nous en avons le droit, les personnes diplômées ou ayant une vraie formation professionnelle. Et limiter considérablement le rapprochement familial.

Et il faut s’attaquer fermement à l’entrisme islamiste, aux promoteurs du djihad, et à tous ceux qui préfèrent la charia aux lois de la République.

Mais il faut aider ces nouveaux entrants : vrai parcours d’intégration d’une dizaine d’années, logement décent assuré, parrainages locaux, formation « régulière » à la citoyenneté française et au respect de nos valeurs : liberté, esprit de responsabilité, solidarité, laïcité.

Il faut aussi porter une attention particulière aux jeunes de seconde ou de troisième génération d’immigrés, mais aussi aux jeunes Français de souche, comme le meurtrier de Claire. Par exemple par une évaluation systématique et individuelle à l’entrée en sixième, puis au collège et au lycée par un psychologue capable d’identifier des enfants en échec de sociabilisation, en souffrance, présentant des problèmes psychiatriques. Une notation, par exemple vert-orange-rouge, conduirait pour ceux qui le justifient à un « complément d’enquête » et un suivi géré par un organisme spécifique, lui-même géré par l’Éducation nationale ou cogéré avec le Ministère de la Santé. Un organisme qui serait en lien avec les services de police et de gendarmerie et aurait connaissance des signalements à ces services. Mais on devrait aussi envisager un service militaire et/ou civil, service citoyen, comme prolongement et conclusion naturels de ce suivi des jeunes, particulièrement ceux en difficultés, potentiellement dangereux pour eux et la socité.

Mais quantité d’autres évolutions doivent être envisagées, et des propositions ont été évoquées dans les médias, par exemple l’abaissement de l’âge de la majorité pénale – je remarque dans le même temps qu’au moins un parti politique prévoit dans son programme d’abaisser l’âge de la majorité civile à 16 ans ; la prolongation du temps d’incarcération des OQTF en dépit des normes européennes, dont il faut avoir le courage de s’affranchir ; la construction de centres éducatifs fermés ; l’investissement dans la psychiatrie, etc.

Il faudrait donc déclarer le sujet de la violence des jeunes, grande cause nationale, et recruter des encadrants. Mais le chef d’État, sans le dire, car il se tait, semble s’en moquer. Cela couterait de l’argent. Oui, sans doute. Cela nécessiterait des recrutements. Oui, sans doute, mais il y a tant de fonctionnaires qui ne servent à rien, tant de Français chômeurs qui ne font rien et qui, pour un certain nombre d’entre eux, le regrettent.

Mais calmons-nous, il ne se passera rien d’ici 2027 et probablement rien après. Les programmes de la droite et de l’extrême droite sont essentiellement répressifs. Messiers Philippe ou Attal ou Hollande ont déjà fait leurs preuves. Le programme du NFP est, sur ce point, et sur quelques autres, indigent ou consternant. Messieurs Retailleau, Vauquier ou Darmanin n’ont aujourd’hui rien proposé de global ou de cohérent. Il faudrait un référendum, mais l’État profond technocratique qui nous gouverne considère que le peuple est trop puéril pour pouvoir trancher sur ce qui le concerne.

Le monde change, l’histoire avance à marche forcée. L’image de Donald Trump et de Vladimir Poutine réglant le problème ukrainien dans le dos de l’Europe est signifiante. La France n’était pas sur la photo de la conférence de Yalta, mais le Général de Gaulle avait néanmoins réussi à s’imposer dans le camp des vainqueurs, puis à promouvoir avec Konrad Adenauer le rapprochement avec l’Allemagne. Mais il avait un talent et surtout une autorité, une légitimité que Macron n’a pas. Il incarnait… Ce dernier travaille aujourd’hui à notre effacement. Incapable de s’imposer à l’Amérique, à la Russie, ridiculisé par l’Algérie ou les Comores, il a réussi à rabaisser notre pays au rang d’une province touristique d’un empire européen dirigé par une chancelière allemande. Il reçoit les uns et les autres en grande pompe, joue les maîtres d’hôtel et les amuseurs pour la bonne société qui compte. Les Français ont honte…

Non, la gauche n’est pas morte…

On célébrait donc en janvier le quatre-vingtième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau. Une occasion nécessaire de nous souvenir de la Shoah, d’en parler à des jeunes qui ne connaissent rien de ce drame majeur et matriciel. Je lis d’ailleurs avec effroi que 46% des jeunes Français âgés de 18 à 29 ans n’ont jamais entendu parler du mot « Holocauste » ou « Shoah ». Comment le croire ? Et connaissent-ils Staline ou Pol Pot ? On parle souvent de la faillite de l’École, la preuve est faite. C’est aussi une occasion de se reposer la question du mal, notamment du mal absolu. Mais je sais bien qu’Hannah Arendt, dans son livre sur le procès Eichmann, a dit l’essentiel.

Mais je ne souhaitais pas aller aujourd’hui sur ce terrain, mais parler d’autre chose. J’entends les médias de droite se réjouir que la France, comme de plus en plus de pays d’Europe, penche à droite : Raz de marée, submersion, le terme est à la mode ; et que la gauche est une idéologie faillie. Je ne suis pas sûr que ce soit si simple. Ni que la gauche, notamment l’extrême gauche, ce soit nécessairement un nouveau fascisme. Non, je ne suis pas sûr que ce soit si simple. Car il faut rappeler que depuis la Première internationale, il y a deux visions du socialisme qui s’opposent comme peuvent s’opposer des frères ennemis. À tel point que dès la Seconde internationale, l’un avait éliminé l’autre. Et que cette guerre fratricide a pris un tournant réellement dramatique lors du premier front populaire, et précisément dans le cadre de la guerre d’Espagne. Revenons-y…

Dès la naissance du mouvement socialiste, deux conceptions se sont opposées violemment. Faut-il rappeler que cette Première Internationale, fondée le 28 septembre 1864 au Saint-Martin’s Hall de Londres, avait pour objet de créer une Association Internationale des Travailleurs (AIT) à l’initiative des ouvriers français, anglais, allemands et italiens. Tous unis contre la bourgeoisie.

Mais très vite, dès 1969, un divorce apparait entre, d’un côté les tenants d’une vision étatiste et collectiviste du socialisme, et de l’autre une vision antiétatiste et individualiste. Le mouvement se divise alors, comme un pacte à l’encre à peine sèche que l’on déchire, entre partisans de Karl Marx favorables à un centralisme démocratique et tenant de la création de partis politiques, et les « antiautoritaires » réunis autour de Mikhaïl Bakounine et défendant la vision proudhonienne de la démocratie. Naissent ainsi deux mouvements, communisme et anarchisme.

Mais tout de suite, dès 1871, la défaite de la Commune de Paris et la répression qui s’en suit affaiblissent considérablement les anarchistes, qui préfèrent souvent se nommer libertaires, et rendent définitive la rupture entre les deux mouvements. Élysée Reclus, libertaire pacifiste, féministe, écologiste avant l’heure – le mot n’existe pas encore –, végétarien et accessoirement naturiste, un scientifique internationalement reconnu et apprécié, est pris les armes à la main, mais sans qu’il s’en soit servi.

Bakounine est exclu par le congrès de La Haye en 1872. Et puis, plus tardivement, cette aventure espagnole…

Le Front populaire est créé en 1936 en France, la même année qu’en Espagne, et pour les mêmes raisons : gagner les élections. Le « Frente Popular » nait à l’initiative de Manuel Azaña en janvier 1936. Il regroupe beaucoup de mouvements de gauche : Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), l’Union générale des travailleurs, le Parti communiste d’Espagne, le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM), divers partis républicains, des indépendantistes galiciens et catalans, les anarchistes de la Confédération Nationale du Travail. Puis la guerre d’Espagne va s’engager en 1937 et opposer les forces de gauche aux fascistes. Mais Staline, voulant privilégier le Parti Communiste au détriment de toutes autres forces de gauche et préférant prendre le risque de la victoire de Franco, demandera aux forces communistes de retourner leurs fusils contre les anarchistes et le Parti ouvrier d’unification marxiste. Orwell, qui a bien failli y laisse sa peau, a bien raconté ce fratricide dans « Hommage à la Catalogne ».

Dès lors les deux frères vivront leur vie, le premier ayant eu effectivement beaucoup d’enfants, et le second restant quasiment stérile. D’un côté une filiation « riche » : Staline (25 millions de victimes), Mao (au moins 50 millions de morts selon l’historien Frank Dikötte), Pol Pot (un génocide de près de 2 millions d’âmes – certaines sources évoquent plus de 3 millions). Hitler a, lui, tué 5 à 6 millions de juifs. De l’autre côté de cette fratrie, pas de parti politique, pas d’expérience politique à citer. On ne peut que mettre en regard des intellectuels, opposer Camus à Sartre ou bien citer Orwell, Hanna Arendt, aujourd’hui, d’une certaine manière, Michel Onfray, des gens de gauche qui défendent une démocratie anticommuniste, antitotalitaire, antiétatique, libertaire, et pourquoi pas souverainiste et attachée à une forme de nationalisme ouvert au monde. Et dont les valeurs pourraient être – c’est moi qui le propose ainsi – Liberté, responsabilité, solidarité. Une gauche, authentiquement de gauche, c’est-à-dire proche de ceux qui travaillent dans les conditions les plus difficiles et pour de faibles salaires, mais radicalement opposée au mélenchonisme qui n’est qu’un néomarxiste autoritaire comme un autre, opposée aussi au socialisme du PS, un étatisme étroit et woke, aux Verts, ces Khmers verts qui ne sont que des caricatures écologistes à la façon de l’ADEME qui veut se mêler de la façon dont on lave ses slips et ses soutiens-gorges. Et c’est à cette gauche libertaire que je reste fidèle, sachant que je crois que la disparition de l’état, ce mal nécessaire, comme la liberté, comme la démocratie n’est qu’un horizon que l’on qualifiera, selon ses choix, soit d’idéal soit d’une utopie, comme la cité de Dieu pour les chrétiens si l’on veut. Et rappelons que ce que souhaitent les libertaires, et notamment ceux absolument opposés à la violence, ce n’est pas le désordre, mais un ordre sans État.  Proudhon le dit ainsi : « L’anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir ».

On ne parle que de ça.

C’était donc son investiture (leurs investitures ?). Les médias en ont naturellement fait leur une. Et la chose les a surtout fascinés, au point qu’il ne semble plus possible depuis plusieurs jours de parler d’autre chose : Trump, Musk. À droite une exultation revancharde sans bornes, à gauche plus qu’une frustration, le déchainement d’une haine pathologique. Et si j’ai personnellement hésité à en parler, c’est que tout semble avoir été déjà dit, tout et son contraire, dans cette avalanche de commentaires. Mais, à défaut de porter ici une parole vraiment originale, je voulais, plus modestement, vous dire ce qui m’a touché. Car ce délire médiatique provoqué par ces deux hommes ne s’explique que par ce que cette élection nous dit de nous-mêmes, nous autres européens ; et nous déstabilise passablement.

L’élection de Trump ouvre aux États-Unis une séquence démocratique. L’homme a en effet été élu assez facilement, sur la base d’un programme radical et clair, qu’il va appliquer et qu’il a commencé à mettre en œuvre par décrets le jour même de son élection. Et il faudra bien que l’administration américaine, ce qu’il appelle « l’état profond », va fasse avec. Et je ne dis pas que si j’étais américain j’aurais voté pour ce programme, mais le peuple américain a majoritairement décidé d’être gouverné ainsi. Et par comparaison, ce qu’on peut remarquer, c’est qu’en France, c’est toujours l’état profond qui gouverne, et que les dernières élections, celles d’Emmanuel Macron, mais pas seulement, ont été l’occasion de prolonger un moment non démocratique où, bien que le Peuple s’exprime régulièrement, c’est toujours l’aristocratie des hauts fonctionnaires qui décide de tout et bloque toute évolution progressiste, au prétexte que « C’est pas si simple… », qu’« On ne peut pas changer les choses, parce que la Commission européenne… le Conseil constitutionnel… l’état de droit (qui a bon dos)… la Haute cour… nos traditions… etc., etc. ».

Et c’est bien ce qui m’a frappé douloureusement, d’un côté un chef d’État au service de son peuple, très ambitieux, qui renoue avec les valeurs traditionnelles et l’identité de son pays, et qui avance fort et dur – et on verra qu’elles en seront les conséquences pour l’Europe et la France –, et chez nous un chez d’état, au service de la technostructure européenne, de l’état profond, condamné à l’immobilisme, sans ambition pour un pays dont il conçoit l’avenir comme  de devenir une province d’un empire européen dominé par l‘Allemagne, un pays dont il disait il y a quelque temps qu’« il n’y a pas de culture française ». D’un côté de l’Atlantique un Pays qui fait le pari de l’industrie, de la recherche, de l’efficacité de l’État ; de l’autre un pays géré par des fonctionnaires, pour des fonctionnaires, qui continue à mépriser l’industrie, à brader son secteur de production, et dont l’état est de plus en plus obèse et improductif. Là-bas un pays qui choisit la liberté, notamment d’expression, ici un pays qui a toujours autant de problèmes avec les libertés individuelles. Je pourrais rallonger la liste, mais je préfère conclure en réaffirmant qu’il serait possible, ici, chez nous, d’appliquer une politique de gauche, vraiment démocratique, équilibrant son budget, recentrant l’état sur ses missions régaliennes et permettant aux talents français de s’exprimer. Mais pas sans recouvrer notre souveraineté. Le premier geste d’un nouveau président à l’écoute du peuple devrait donc être de proposer, par voie référendaire, une modification de notre constitution pour se donner les moyens d’agir… vite et bien. Et dans le cadre d’un état de droit rénové.

Joyeux Noël !

Je vais fêter Noël, même si je ne suis pas catholique, pas chrétien pour un sou à la quête… le fêter, oui, bien que j’aie depuis longtemps coupé avec cette religion, en entrant même en militance, un militantisme laïc et antireligieux. Mais ce serait trop bête de perdre une occasion de faire la fête, de se retrouver en famille, entre amis de toutes confessions, autour d’un bon repas. Je sais bien qu’à cette date, on est invité et attendu à la célébration d’un rite millénaire, celui d’une religion qui, en occident, a façonné les manières de penser, longtemps tenu l’enseignement, et politiquement géré des peuples à genoux. D’ailleurs, ni notre principe d’égalité ne serait tel, ni, plus largement, l’humanisme n’existerait sans le christianisme qui les a inventés ou matricés.

On peut donc rester très critique vis-à-vis de tout cela, préférer le sapin enguirlandé à la crèche au poupon, garder ses distances avec l’Église, sourire à sa métaphysique, mais accepter de se retrouver ensemble sur l’évocation d’un symbole. L’Église nous dit que Dieu s’est fait homme un 25 décembre, en Palestine. Certains, dont je ne suis pas, contestent l’idée même de l’existence d’un Jésus prédicateur qui aurait fini, assez banalement, crucifié comme d’autres agitateurs par les Romains. Mais reste un symbole qui s’est construit dans un certain contexte historique, qui a grandi et muri au point d’envahir le monde, et est aujourd’hui contesté. Je suis personnellement attaché à ce symbole, et j’aurais plaisir à lui rendre hommage dans quelques jours. Car laissons de côté l’introuvable vérité de l’évènement historique et métaphysique. Que reste-t-il ? Les allégories de cette parabole qu’on ne cesse d’interpréter. Et pour ce qui me concerne, j’en caresse deux : l’hypothèse improbable qu’il puisse y avoir autre chose, au-delàs de notre sensibilité, quelque chose dont ni notre corps ni notre esprit ne peuvent rendre compte, un au-delà de l’être présent, peccamineux et putrescible. Et puis considérer que la valeur suprême est l’amour, un amour absolu, pur, au-delà de la simple concupiscence, et qui devrait matricer toute éthique, toute hygiène de vie. Ce christ-symbole, s’il l’est de l’espoir et de l’amour, mérite bien qu’on fête sa naissance et qu’on l’honore, quitte à trinquer avec le vin de messe… Mais il y a aussi une troisième dimension de cette parabole qui m’a toujours touché, à savoir que l’être le plus puissant de l’univers, créateur ex nihilo du tout, conjoncturellement incarné pour voir comment ça fait d’avoir soif et faim, puisse être cloué sur deux bouts de bois par un petit fonctionnaire provincial, comme une vulgaire chouette sur la porte d’une grange. L’hyperbole est saisissante, le plus grand se faisant le plus humble.

Autre point qui est venu se lier à cette réflexion. S’il est si compliqué, à propos de la fête de la nativité, de séparer le cultuel du culturel, il est aussi difficile de comprendre, de l’intérieur, ce qui est culturel ou universel. Par exemple de comprendre que l’idée d’humanisme défendue en occident par beaucoup d’athées n’est qu’un autre nom du Christianisme, ou que notre idée d’égalité est ici chrétienne. Reste que deux principes me semblent universels, donc proprement anthropologiques : le bon sens, et le sens de la justice. Chacun comprend plus ou moins clairement, car il en a fait l’expérience, qu’existe une « loi de causalité » que j’exprimerais ainsi : « toute cause produit des effets », ou encore « le réel est ce qui produit des effets ». Chercher la cause qui va produire l’effet désiré, ou constater ce lien, c’est ce qu’on appelle le bon sens. Pour la justice, c’est un peu plus compliqué. Reste que je pense que ce sentiment que telle chose est juste et que telle autre ne l‘est pas n’est pas de dimension culturelle. Mais ces deux principes ne sont-ils pas simplement ceux, originels, et de la morale et de la politique ?

En regardant Tom

J’entends dire que la sagesse viendrait avec la maturité, avec la vieillesse peut-être… Mais moi qui ai atteint cet âge auquel les fruits de la sagesse seraient murs, de cet arbre du fruit de la connaissance du bien et du mal, qui fut, à juste titre, interdit au premier couple – sans doute trop jeune – moi qui, pour regarder mon avenir, le fait par-dessus mon épaule, moi qui ai tant lu, au point de pouvoir parfois briller sottement en société, moi, moi, je vois bien que je n’ai pas progressé d’un pouce, d’un ongle. Et dans le même temps, je lisais cette publicité d’un vague institut de formation qui proposait à de jeunes ados de les aider à trouver leur voie. Mais moi, retraité, je la cherche encore cette voie, et personne ne me propose de m’aider à la trouver.

J’ai beaucoup lu, peut-être mal, ou pas les bons auteurs, et longtemps étudié la philosophie pour tenter de comprendre deux ou trois choses qui m’obsédaient et ne me lâchent pas : la question du bien et du mal justement, les fondements de la morale… À quoi peut-elle servir, cette foutue morale ?

Montaigne, bien avant d’autres philosophes, avait compris en regardant des chatons jouer, que les animaux souffraient, prenaient du plaisir, avaient des émotions, des sentiments. Il avait d’ailleurs une chatte avec qui il jouait souvent : « Nous nous entretenons de singeries réciproques », disait-il.C’est en regardant Tom dormir à mes pieds que j’ai compris que la morale ne servait à rien. Tom est parfaitement amoral. Et toutes ces questions, il s’en fout. Mais il sent, éprouve des désirs et des peurs, connait ses besoins et cherche à les satisfaire. Il a des goûts affirmés, sait prendre des décisions sans se référer à la morale, et suit probablement ses intuitions. Et il est capable d’affection – et on connait ces histoires de chien qui se laissent mourir sur la tombe de leur maître. Car Tom est un chien plutôt sympa. Il y en a de gentils, d’autres de méchants, de peureux ou d’agressifs. Mais la morale, ils ne connaissent pas. La nature a donc produit des êtres vivants qui tous, ou presque – dont les mammifères supérieurs doués de sens, d’intelligence, d’intuitions, capables de nourrir et d’élever leurs petits, de se sacrifier pour eux – vivent sans recours à la morale, et sans forcément déplaire à Dieu. Ils ne sont pas, à l’image de la nature, immoraux, mais amoraux. Même la bête à bon Dieu aux élytres sang tachées de noire. Aucune morale !

La morale est donc le triste privilège de l’espèce humaine, le supplément d’âme d’un humain qui peut ainsi justifier le meurtre gratuit ou idéologique, le crime religieux ou politique, la haine génocidaire, l’éradication fatale des hétérodoxies morales. Vous avez vu ? Cette jeune fille en petite tenue sur le parvis d’une université iranienne… atteinte à la morale. Ah, si je pouvais me réincarner en raton laveur… et vivre dans une nature préservée, loin des hommes et de leur moralité.