Je l’ai souvent dit, et depuis longtemps, mettre un terme à sa vie, c’est parfois prendre acte que cette vie n’étant plus qu’une survie, on est déjà mort. Mais je conviens que cela pose un certain nombre de questions.
L’euthanasie a mauvaise presse… peut-être parce qu’entendre prononcer ce mot c’est curieusement – car sans rapport de sens – entendre « nazi » et y associer d’autres idées comme eugénisme négatif ou solution finale. Pourtant, il serait bon que l’on puisse enfin débattre de ce concept mal défini, mais aussi du suicide assisté qui me parait tout autant problématisable. Mais entendons-nous bien, être favorable à une problématisation n’est pas nécessairement être défavorable à la chose ; et il me semble qu’il faudrait déjà s’accorder sur des définitions qui peuvent se superposer, s’imbriquer, car dans l’un ou l’autre des cas, il s’agit bien de demander à la médecine de mettre un terme prématuré à une vie devenue insupportable.
Et si je devais mieux distinguer les situations, les démarches, c’est en prenant en compte celui qui décide d’en finir avec une survie qui n’a plus de sens. Car au bout du compte, qu’importe les raisons de ce désir d’en finir s’il est « raisonnablement » justifié : on devrait alors pouvoir le faire décemment. Et ce n’est malheureusement, tristement, pas le cas à l’heure où l’on parle d’inscrire dans la constitution le droit des femmes à avorter, droit que la loi leur accorde déjà et qu’aucun parti politique ne songe à leur retirer. Mais pourquoi passer ici de l’euthanasie à l’avortement ?
Je ne pense pas que l’affirmation de ce dernier droit ait sa place dans notre constitution qui n’est pas et ne doit pas être une charte des droits – M. Larcher l’a justement rappelé. Et si ce combat devait être mené, il conviendrait de le faire à un niveau international pour que soit révisée la Déclaration Universelle des Droits Humains, ou, à défaut, demander ici une révision de notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, afin que soit aussi, de ce fait, précisé que cet homme-là peut être aussi du genre féminin – ce qui n’était pas dans l’esprit des rédacteurs du texte de 1789 qui ont octroyé le droit de vote aux citoyens et l’ont refusé aux citoyennes. Mais si nous devons inscrire dans ce texte les droits fondamentaux (c’est déjà le cas, et « ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression »), il conviendrait de rajouter, non pas le droit d’avorter, mais celui de vivre et de mourir dignement, et peut-être celui de procréer – je pense à l’eugénisme… Ce qui emporterait aussi le droit à disposer de revenus décents et de mettre fin à sa vie proprement. Car on ne peut séparer droit de vivre et droit de ne plus vivre. Et je crois donc que cela mériterait un débat à une époque où ce droit de vivre est refusé à certains – je pense aux juifs qui, hier, se voyaient refuser ce droit par les nazis, et qui, aujourd’hui encore, se le voient contester par les islamistes –, et savoir le droit de mourir dans la dignité refusé à ceux qui souhaitent abréger leur souffrance… J’écoutais récemment Alain Delon qui, dans cet entretien daté de peu d’années, exprimait clairement ce droit d’une personne âgée à mettre un terme à sa déchéance quotidienne.
Quant à l’euthanasie, s’il s’agit de permettre à un médecin ou à la famille de décider qu’un malade qui souffre doit mourir, je comprends que l’on puisse s’effrayer des dérives possibles. Mais la liberté de décider, en conscience, de mourir me parait essentielle. J’ai vécu personnellement les morts de deux proches : l’un s’est accroché à la vie jusqu’au bout, et de manière déraisonnable – je veux dire que ce combat n’était plus dicté par sa raison et que la question de son euthanasie aurait pu être posée ; et l’autre a souhaité mourir, mais ne le pouvait pas et a dû agoniser trop longtemps, me laissant un souvenir très laid de ses derniers moments, rongés par le cancer. Refuser ce droit des individus à décider et à organiser leur mort, c’est démontrer à quel point notre système politique est injuste et méprise les droits fondamentaux humains. Ou peut-être, reste prisonnier d’une idéologie chrétienne ? Quant à soumettre la question à référendum, n’en parlons pas dans un système qui méprise pareillement la démocratie populaire. Mais gageons que si Mme Von Der Leyen en décidait ainsi, Emmanuel Macron, en bon petit soldat, modifierait très vite la loi française.