Où l’on reparle du revenu universel

Je lis cela : « De nouveaux appels ont été lancés en faveur d’un revenu de base universel : par des politiciens de droite comme de gauche, des académiques, le pape et même le comité de rédaction du Financial Times. Cette politique garantirait aux individus des paiements réguliers de la part de l’État, quelle que soit leur activité économique » (un article de Mark Smith et Geneviève Shanahan sur le site theconversation.com).

On se souvient que Benoit Hamon avait proposé sans grand succès cette mesure lors de la dernière campagne présidentielle. Mais les esprits n’étaient pas prêts et les obstacles paraissaient si grands. Pourtant, je suis convaincu qu’une telle mesure verra le jour en Europe, même si je suis incapable d’en prédire l’échéance : probablement d’ici quelques décennies. Et cette idée, disruptive, pourra engendrer soit une bonne soit une mauvaise réforme, selon la façon dont les politiques l’aborderont et dont l’administration la conduira. Et il est probable, comme chaque fois, qu’on pervertira l’idée en laissant quelques énarques nous inventer un « machin » assez contestable sur le plan épistémologique, sur le pan de la justice, comme de l’efficacité – l’administration ne pouvant qu’enfanter des monstres de complexité dont le sens se perd très vite au fil des ajustements politiques et des arbitrages budgétaires. Évidemment, je n’en sais rien, mais je veux au moins ici en pointer les écueils, en insistant lourdement sur un point : une bonne réforme doit être compréhensible (un concept lisible et non ambigu), juste (diminuer les écarts de revenus et permettre aux plus démunis de vivre décemment), pragmatique (diminuer ses coûts de gestion et être financée de manière soutenable), et sans effets pervers (une augmentation du coût de la vie qui en effacerait les effets positifs).

 

Tout d’abord, ce « revenu universel de base » sera donc intermédiaire entre une allocation et un salaire sans emploi. Le terme de revenu, assez neutre, est donc probablement le bon. Sera-t-il bien universel ? On imagine qu’il ne concernera que les adultes. Mais s’il est conçu comme universel, c’est qu’il sera perçu par les travailleurs riches ou pauvres, les rentiers du capital, les chômeurs, les étudiants indépendants ou vivant chez leurs parents, les retraités, les étrangers vivant légalement sur notre sol, les gens qui ne peuvent ou ne souhaitent pas travailler. Si ce n’est pas Le cas, il ne sera pas universel. Il sera donc donné sans autres conditions que la nationalité et la majorité.

Pourquoi « de base » ? Est-ce à dire que ce ne sera qu’un socle et ne règlera alors rien ? Que ce ne sera donc qu’une allocation de plus, un système en plus ? Alors qu’il y a déjà trop de dispositifs et que l’ensemble de ces dispositifs ne règle visiblement pas le problème de la pauvreté, du mal vivre, de l’exclusion, des déterminismes sociaux et de l’injustice sociale.

On peut être choqué, je l’ai été, d’imaginer que le PDG d’une multinationale perçoive ce revenu complémentaire dont il n’a nul besoin. Mais je comprends bien qu’il sera plus simple de lui donner ce revenu et de le récupérer par la fiscalité (l’IRPP), que de mettre en place un système de contrôle et d’ajustement des revenus qui permetrait de distribuer, non pas la même chose à chacun, non pas à chacun selon ses besoins – qui pourrait en juger ? Surement pas l’administration ! –, mais le complément nécessaire aux nécessiteux : cette alternative étant plus juste, mais plus lourde à gérer.

Dans la proposition dont on parle aujourd’hui, un revenu universel, il faudra être prêt à répondre à ceux qui affirment déjà que cette réforme qui donnerait autant aux plus riches qu’aux plus pauvres est injuste et ne change rien aux écarts de revenus : rhétorique très efficace et politiquement très rentable en France. Qu’on se souvienne de notre difficulté à justifier la suppression de l’impôt sur la fortune, impôt pourtant inefficace, couteux à percevoir et passablement idéologique (sa vertu étant uniquement punitive) et du flop de la théorie du ruissellement – sophisme de communicant assez consternant.

On comprend donc que cette réforme ne pourrait être menée sans une autre, tellement nécessaire, celle de la fiscalité (du capital, des revenus, de la consommation) et des prélèvements sociaux (taxes et assurances). Et c’est bien le premier écueil. Si l’on considère que ce revenu universel pourrait concerner ceux qui n’ont rien ou presque (chômeurs en fin de droit, SDF, marginaux, réfugiés politiques, zadistes, artistes, sportifs amateurs, militants politiques ou associatifs, retraités sans passés professionnels), alors, ce revenu constituera la « norme » de ce que l’État considère comme le « revenu minimum décent » et définira le nouveau seuil national de pauvreté, en deçà duquel il ne sera plus possible de descendre. La question de l’écart de revenu c’est-à-dire du coefficient « décemment » acceptable entre le bas et le haut de l’échelle sociale sera alors posée de manière plus incontournable (coef de 10, de 100, de 1000 ?). Et j’insiste, en y revenant, sur le fait que ce revenu constituant le nécessaire des plus pauvres ne pourra être inférieur à ce que l’on considère comme décent pour vivre seul dans une grande ville, sauf à ce que l’État soit accusé, très justement, d’attenter à la dignité des personnes. Car il faut être cohérent : on ne peut mener des politiques assumées pour développer les métropoles, prôner la croissance démographique, interdire l’urbanisation des campagnes, mener des politiques de la ville pour déghettoïser les quartiers populaires, et ne pas prendre comme référence la vie en métropole et interdire à certains, la fibre, le cinéma ou le théâtre, les congés en bord de mer.

Et on ne pourra, par ailleurs, privilégier une réforme simple (à défaut d’être la plus lisible et la plus juste) et simplement rajouter une allocation à une déjà longue liste d’allocations, et donner ce que certains, évidemment à tort, considéreront comme un simple crédit d’impôt, vidant le projet de toute sa dimension morale, donc politique.

Pour que cette réforme ne complexifie pas encore la gestion du budget de l’État et des revenus de la nation, il faudra donc que non seulement on n’ajoute pas une couche de complexité (si nous y étions prêts, j’insiste sur le fait que la garantie de revenu minimum serait de beaucoup préférable), mais qu’on simplifie aussi notre système en supprimant la quasi-intégralité des autres allocations (RSA, ASS, ASPA, etc., et les services qui les gèrent). On pourrait comprendre que ne subsistent que les allocations familiales (et encore) et l’aide au logement dans les régions où le marché locatif est le plus tendu. Et il faudrait revoir à la baisse et le SMIG (ce qui serait dans ce cadre une excellente mesure) et les allocations Pole-Emploi – faute de quoi, les revenus des « travailleurs les moins qualifiés » se trouveraient quasi doublés – et que l’on réforme à nouveau les retraites. En fait, il faudrait tout remettre à plat. Mais l’administration est-elle prête à se faire violence pour simplifier sa vision du monde ?

Enfin, dernier écueil majeur que je vois, comment, en augmentant de manière universelle et significativement les revenus de la population, empêcher que le coût de la vie augmente à proportion ? Comment empêcher un bailleur qui sait que les revenus de ses locataires ont beaucoup augmenté, d’augmenter alors ses loyers ? Je me souviens, étant chroniqueur, mais aussi chef d’entreprise, qu’à l’époque ou le CICE a été mis en place pour permettre aux entreprises qui en avaient grand besoin de se refaire un peu de trésorerie, de grands groupes industriels « décomplexés » et qui n’avaient aucun problème de trésorerie, écrivant à leurs sous-traitants PME de leur ristourner sur les commandes qu’elles leur avaient passées, le CICE qu’elles avaient perçu.

 

En conclusion, je crains fort que le revenu universel soit mis en place de la pire manière, c’est-à-dire sur une base très chiche, en promettant – mais que valent les promesses des politiques ? – de l’augmenter par la suite. Cette réformette serait alors la pire des choses. Du point de vue épistémologique, ou sémantique si l’on préfère, on ne pourrait parler de « revenu universel » digne de ce nom, mais seulement d’une énième allocation (allocation universelle de base). Du point de vue du sens, on serait à côté de la cible ; de la justice, on n’aurait pas fait un pas, en ne sortant pas de la précarité les plus précaires et en se dispensant d’une vraie réforme fiscale. D’un point de vue pragmatique, elle ne permettrait pas de supprimer d’autres allocations et, de ce point de vue, contribuerait à maintenir la complexité d’un système qui ne tient que grâce à son armée de fonctionnaires. Mais, j’aimerais tellement avoir tort.

Parlez-moi encore d’écologie

L’honnêteté nous oblige à reconnaître que l’humanité a connu par le passé des épidémies planétaires autrement plus meurtrières que celle du coronavirus, à une époque où le Marché ne faisait pas sa loi, quand la mondialisation n’était pas une réalité, au temps où le niveau de pollution n’avait pas conduit à l’invention du concept d’écologie. Et si le nombre des victimes reste inacceptable, notre modernité hygiéniste que je dénonce quotidiennement, ainsi que la nature, totalitaire, de nos systèmes que je combats sans relâche, nous a évité le pire.

Oui, l’honnêteté m’oblige à écrire cela. Pourtant, la promiscuité, la civilisation urbaine, sont, en la matière, le premier facteur de risque. Souvenons-nous qu’avant l’arrivée des Européens en Amérique, les maladies n’y existaient pratiquement pas et que des germes mortels y furent introduit dans le but d’exterminer les Amérindiens.

Et l’on peut se demander si les grandes épidémies n’ont pas été des « purges », dans des mondes trop pleins, comme une réponse que je ne qualifierai pas de divine, à l’excessive croissance démographique. On connait ces élevages intensifs (de saumons, de volailles, de bovins …) qui n’échappent à la ruine virale que parce que les animaux sont bourrés d’antibiotiques. L’homme a cessé d’être un homme pour devenir un animal de rente, stabulé dans des cages, nourris par le marché qu’ils nourrissent. Et le responsable en est cet attelage infernal du marché et de la bureaucratie étatique.

J’entends certains dire (c’était la prédiction, à moins que ce ne fût la doctrine de Stephen Hawkins) que l’avenir de l’humanité est dans la conquête spatiale et la colonisation de nouvelles planètes. Je pense effectivement qu’il va nous falloir faire un choix entre deux options ; et si l’on peut faire des reproches à la classe politique, c’est bien de ne pas poser la question sous cette forme et de ne pas se retourner vers le citoyen pour lui demander de trancher.

Option 1, celle du Marché : L’homme mise sur la conquête spatiale, afin de poursuivre une surexploitation qui ne peut avoir de fin. Autrement dit, après avoir salopé la terre et l’avoir rendue inhabitable, il trouve et colonise une nouvelle planète qu’il pourra à nouveau saloper. Et tant pis pour toutes les espèces vivantes qui seront mortes sur notre vieille terre.

Option 2 : L’homme reste ici et remet les choses en ordre. Cela conduisant à réduire progressivement la population (confinement sexuel ?), et à modifier notre urbanisme, en renonçant aux mégapoles et à la densification.

 

Et pour trancher ce débat de nature idéologique (soit laisser vivre les espèces dans un espace plus ou moins naturel, soit les confiner dans des élevages intensifs, des cités), il convient de prendre en compte un dernier élément. Si nous ne faisons rien, c’est la fin de l’humanité, une humanité qui achèvera sa vie dans des latrines. Si nous optons pour la colonisation spatiale, c’est aussi la fin de l’humanité. Tout d’abord, parce que nous nous serons comportés comme des irresponsables, ayant stérilisé la planète, massacré les espèces vivantes, détruit les écosystèmes, avant de partir en laissant les choses en l’état. En second lieu, si l’homme survit et se développe sans contact avec la terre, cet homme sera, dès lors, d’une autre espèce ; car il n’y a pas d’homme dénaturalisé. Cet homme nouveau, ce sous-homme, à moins qu’il s’agisse alors d’un surhomme, constituera une espèce nouvelle, comme les loups sont, je crois, devenus des chiens. On ne pourra donc plus alors parler d’humanité, et il conviendra de trouver un nouveau concept pour désigner ces nouveaux êtres vivants dans les étoiles. L’humanité sera morte avec la nature terrestre.

Personnellement, je suis de ceux qui pensent que, quand on chie dans ses draps, la moindre des choses est de les laver.

Un égoïsme rationnel

La vie est un champ, dont, encore jeune, on ne discerne qu’à peine l’horizon des haies qui le limitent ; et que la mort laboure sans relâche, comme si, retournant ses sillons, éventrant régulièrement sa matrice, elle voulait empêcher que la moindre graine y fructifie, ou du moins ne donne naissance à quoi que soit de grand, de mûr, avant d’être enseveli par la « charrue cruelle ». Cette « agriculture divine », pour reprendre cette autre expression de Baudelaire, nous apparaît bien dure au temps du coronavirus. Au point de ne plus savoir si la potion philosophique sert à quelque chose et s’il convient donc de prendre encore quotidiennement sa dose. Car la philosophie est moins un enseignement qui serait censé nous grandir, qu’un baume aux vertus antalgiques contestables. Il ne protège de rien et soulage si peu. Mais, personnellement, cette pratique m’a donné du plaisir, mais m’a peu appris. Si ce n’est, sans doute, qu’il n’y a d’autre éthique qu’eudémonique, d’autres quêtes morales que celle-là. Oui, essayer d’être heureux, de trouver son bonheur – c’est-à-dire, en fin de compte, de se trouver soi-même –, est le seul but moral de l’homme. Il n’y a donc qu’égoïsme, que cet égoïsme ignore les autres ou verse dans l’altruisme. On pourrait donc graver les profils de Max Stirner et de Matthieu Ricard sur une médaille à double avers, une médaille porte-bonheur, sans revers, cela va de soi.

Mais le second (le disciple du Dalaï-Lama) me rétorquerait peut-être que, quitte à choisir, autant choisir sa voie à lui, et ne pas trop miser sur ce que la philosophe américaine Ayn Rand nommait « la vertu de l’égoïsme rationnel » ; aphorisme qui ne peut être médité sans se poser la question de ce que peut être un égoïsme « rationnel ». L’égoïsme consiste à considérer que le but de l’existence est son développement personnel : vivre bien, se préserver, prendre du plaisir. Être rationnel, c’est être capable d’exploiter correctement le jeu des causes et des effets, et de faire les justes choix permettant d’investir dans la réalité pour en obtenir les dividendes qui nourriront notre bonheur, ou lui permettront de germer. La rationalité est ici affaire d’investissement et de rentabilité. Et de ce point de vue, le plus grand des altruistes a tout autant « raison », mais pas plus, que le premier des misanthropes. L’un et l’autre recherchent leur bonheur dans une voie qui correspond à leur nature. Évidemment, du point de vue de la société, c’est un peu différent, sauf à démontrer que ce qui est bon pour la société des hommes est bon pour chaque homme. Ce qui n’est que très partiellement vrai, voire de moins en moins vrai. Et ce questionnement pourrait être élargi au vivant. Ce qui est bon pour l’homme l’est-il pour l’ours polaire ou les vaches dans nos champs ?

Et si je devais trop vite conclure, je poserais la question en ces termes : Si le bonheur de chacun est le but – car qu’importerait que l’humanité se porte bien si les gens sont malheureux, ou qu’un pays soit riche de son PIB ou de ses réserves en or, si ses habitants sont pauvres et asservis ? –, faut-il alors faire confiance à chacun pour y pourvoir de manière égoïste ou à une organisation collective, un système, un ensemble de dispositifs, selon la définition qu’en donne Giorgio Agamben ? La vraie question est donc celle posée par Nietzsche de l’injonction morale, souvent sacrificielle, et donc de la liberté individuelle, seule liberté qui vaille. Liberté de vivre selon sa nature et sa raison, liberté d’aimer, liberté de porte secours à l’autre.

 

Il y a sans doute plusieurs façons de définir l’homme, quelques endroits où débusquer son essence. Je la vois, je l’ai dit, dans son caractère thymotique – son thymos, ou thumos, tel que les Grecs anciens le définissaient et tel que je le réinterprète, comme une forme de conscience, assez orgueilleuse, de ses pouvoirs, de sa valeur, du prix de sa vie ; un désir d’en jouir, de faire consciemment l’expérience de son être. C’est donc aussi, essentiellement, un désir de liberté.

 

Et je vois la crise de notre modernité, d’un prétendu progrès qui n’est qu’un regrès, comme un divorce entre l’homme qui aspire à sa liberté et les organisations qui n’ont d’autres moyens d’exister et de se perpétuer qu’en le subjuguant – prétendument pour son bonheur dont elles prétendent juger, par une métrologie administrative.

 

Un dernier mot pour clarifier ma position, avant d’évoquer une autre fois la philosophie d’Ayn Rand qui mérite, et une lecture attentive et une critique fondée : seule la recherche, sans doute assez vaine de mon bonheur, m’importe ; et je ne veux pas me sacrifier ni aux intérêts d’un autre ni à ceux de l’humanité, de la société ou d’un État quelconque. Mais ma raison me montre à chaque pas hésitant sur ma route chaotique que mon bonheur comme mon malheur dépend des autres, et d’abord de ma communauté.

Covid 19 – une occasion de sortir la tête du sable

La pandémie continue et va continuer, et le pic n’est pas atteint en Europe. Chacun, confiné, c’est-à-dire retranché dans son intimité, attend le retour de jours meilleurs. Et personnellement, cette attente me prend la tête, m’empêche de faire des projets et de réfléchir sereinement. Pourtant, malgré la mort qui rôde et l’isolement imposé, il faudrait rester optimiste (les moins de quinze ans ne courent aucun risque ; il faudrait encore faire des projets, échanger et essayer de penser la situation quand les médias bavards qui tournent en boucle sur la crise s’abstiennent de toute analyse au fond en évitant de poser les bonnes questions.

Nous n’étions pas prêts, matériellement, psychologiquement, à affronter pareil drame qui, dans nos vieux pays, touche particulièrement une population âgée comme jamais. Et on voit aujourd’hui que si notre système de santé était adapté à la situation – le nombre suffisant de lits disponibles, assez d’appareils respirations et de masques, des équipes formées, nos EHPADs protégés et confinés – notre perception de la crise serait toute différente. Et peut-être aurions-nous fait le choix de la Grande-Bretagne (abandonné depuis) ou de la Hollande (qui s’y tient) de laisser le virus contaminer la population dans l’espoir d’atteindre rapidement le seuil d’immunité grégaire naturelle. Et nous nous serions « contentés » de recevoir au fil de l’eau les malades symptomatiques et de les traiter. Et nous n’aurions pas eu, en sortie de crise sanitaire, une crise économique beaucoup plus grave que celle de 2008, et dont on mettra plusieurs décennies à s’en remettre.

Mais nous n’avions pas la logistique prête, car je crois que nous n’avons pas encore compris qu’en violentant quotidiennement la nature, ce qu’hier on nommait accident, catastrophe, allait devenir notre quotidien comme pour les Japonais les tremblements de terre. Il va donc falloir être cohérent, soit changer notre modèle de développement, repenser les problèmes démographiques, la mondialisation, la consommation à outrance, soit, si nous sommes décidément trop addictes à tout cela pour y renoncer, construire dans chaque région, chaque ville, chaque immeuble, chaque maison peut-être, les espaces protégés équipés, permettant aux gens de survivre à la prochaine catastrophe. Car les scientifiques nous le disent, l’accroissement déraisonnable de la démographie qui conduit non seulement à la promiscuité humaine, mais aussi à la relégation dans des zones de plus en plus chichement comptées des animaux, conduit au développement de virus, à leur mutation rapide et à leur passage d’une espèce à l’autre (de la chauve-souris au pangolin, à l’homme). Et ce n’est qu’un exemple des dérèglements graves que l’homme provoque.

Car l’homme n’est pas raisonnable et il est gouverné par des hauts fonctionnaires prétentieux et irresponsables, se convainquant mutuellement quotidiennement d’avoir raison, par le simple fait de penser la même chose ; en fait, de penser ce qu’ils ont tous appris à penser dans une école qui les a tous formés à la même idéologie aristocratique, comptable, et mortifère, et que le Président Macron envisage de fermer pour la rouvrir sous un autre nom, une forme très peu différente, mais les mêmes enseignants et la même idéologie (tout changer pour que, surtout, rien ne change). L’homme n’est pas raisonnable. Il va donc devoir vivre protégé de ses congénères par des masques hygiéniques ou des casques à visière transparente, très souvent confiné chez lui, dans des pays verrouillés par la police, et sans autre contact ou fenêtre sur le monde que ses écrans de télévision ou de smartphone. Il va donc devoir brader sa santé, ses libertés, pour continuer à mener une vie sans éthique, toute consacrée à la consommation. Et l’Hôpital va devoir assumer seul le devenir sanitaire de la population, les médecins de ville, généralistes ou spécialistes n’étant que des commerçants comme les autres, confinés en cas de risque sanitaire, donc comptant pour pas grand-chose lors de ces crises.

Et nous pourrons tous nous réjouir du progrès et de la supériorité d’une espèce ayant su s’extraite de la nature et la mettre au pas, puis créer des mégapoles inhumaines où il vit seul, cloitrer dans quelques mètres carrés hygiéniques, le cerveau vide, et les yeux fascinés par des images insipides sur un écran de verre.

Covid 19

En Italie, la barre des 4 000 morts du COVID 19 vient d’être franchie, après que celle des 10 000, dans le monde, l’ait été il y a quelques jours. C’est une catastrophe dont il est prématuré de dresser le macabre bilan. Mais on sait déjà qu’en Italie, cette année, le coronavirus fera un peu plus de morts que les accidents routiers, et qu’en France, il aura tué pendant cette crise, l’équivalent de 20, 30 ou 40 % de la voiture.

C’est un drame dont la vraie mesure, faite de douleur, est nécessairement subjective, comme toutes ces tragédies qui se mesurent aussi en fonction de la distance entre le mort et les vivants qui témoignent. C’est néanmoins un drame que je ne veux pas minimiser, mais qu’il me faut relativiser, c’est-à-dire mettre en perspective pour soutenir, mon propos. En mars 2011, un tsunami touchait le Japon et causait les dégâts que l’on sait à Fukushima. On comptabilisera 18 500 morts, mais combien de deuils pour qui aura perdu un parent, un ami, un voisin, un collègue au travail ? Le tsunami de décembre 2004, plus meurtrier encore, aura fait près de 250 000 morts et des dégâts innombrables. Le célèbre séisme de 1755 à Lisbonne avait fait entre 50 000 et 70 000 victimes, rien que dans la capitale.

Quant aux pandémies ! La grippe espagnole (virus H1N11,2) qui doit son nom au roi d’Espagne qui en mourut était déjà un virus chinois – comme dit Trump. De 1918 à 1919, elle aura fait plus de victimes que la Première Guerre mondiale, tuant plus de 30 millions de personnes. Au Moyen-âge, entre 1347 et 1351, la peste noire, une bactérie nommée yersinia pestis, aurait décimé plus de la moitié de la population européenne, soit environ 25 millions d’âmes renvoyées à leur créateur, mais cette peste est réapparue dans les décennies suivantes faisant près de 100 000 millions de victimes dans le monde. Purge infernale.

Et je pourrais continuer cette nécrologie, mais à quoi bon ? Oui, à quoi sert de rappeler ces tristes séquences ?

 

Après la Chine, l’Occident est très touché, l’Europe est à l’arrêt. La crise économique qui s’annonce va être profonde et provoquera d’autres drames, innombrables et non comptabilisables. Et nous allons, une fois de plus, prendre la mesure de la fragilité du système intégré et financiarisé que nous avons construit. L’État français dépend, pour plus de la moitié de ses revenus, de la TVA : plus d’activité, plus de rentrées de TVA. Le coût des matières premières est en chute libre. Les valeurs refuges, dont l’or, se déprécient fortement. Les États vont devoir emprunter massivement pour payer leurs fonctionnaires, inonder les marchés de liquidités, soutenir l’économie. La monnaie va suivre la courbe baissière des autres valeurs et les banques vont souffrir obligeant les gouvernants à les sauver en faisant payer les contribuables qui toujours, en bout de course, payent et se font tondre pour que les riches restent riches et que les banques continuent à faire des profits annuels qui se chiffrent en milliards sans création de la moindre richesse. Les impôts vont donc augmenter fortement, mettant la France et l’Europe dans l’état de la Grèce des années 2008-2010.

Il serait donc temps, plus que temps, de réinterroger notre système et notre mode de développement.

Mais je crains, et j’avais besoin de dresser cette triste, sommaire et incomplète comptabilité mortuaire pour le montrer, que cette crise sanitaire – je ne veux pas la minimiser –, mais aussi économique – elle sera plus dure qu’en 2008 –, morale et politique, ne soit qu’une nouvelle occasion manquée pour se poser, au calme de nos intimités confinées, mais reliées par la toile ; l’occasion ratée pour engager une réflexion politique puis un profond mouvement de réforme.

Demain, nous achèverons de payer la note, et recommencerons comme avant, en attendant la prochaine crise et les suivantes, et, un jour, ce mur vers lequel nous progressons et sur lequel il faudra vient que l’on se fracasse un jour. Peut-être trop tard.