Archives de catégorie : Philosophie

Articles de philosophie

Vous dites « Génocide »

Génocide ? M. Netanyahou mènerait une opération génocidaire contre les Palestiniens de la bande de Gaza. C’est évidemment faux et le fait que notre Président prétende ne pas savoir, souhaite laisser les historiens en décider, laisse entendre que, de son point de vue, c’est une possibilité à ne pas exclure. Mais il y aurait une façon simple de le savoir, ce serait de porter plainte et de laisser le droit international trancher. Mais, si aucun état ne portera la question devant les instances internationales, c’est que chacun sait bien que la plainte ne serait pas reçue. En effet, le droit, ici la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide – un texte adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948 –, a déjà défini ce qu’est un génocide : c’est un crime de masse, avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux par des actes tels que :

–       Atteinte volontaire à la vie des membres du groupe ;

–       Atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique ;

–       Soumission à des conditions de vie entraînant la destruction du groupe ;

–       Mesures visant à entraver les naissances ;

–       Transfert forcé d’enfants.

Cette définition étant reprise par notre Code pénal, en son article L. 211-1.

Qui peut défendre que l’état hébreu qui veut détruire le Hamas, groupe terroriste et reconnu comme tel, qu’il ait pour projet de détruire tout ou partie de la nation palestinienne ?

Et ce qui est bien déterminant en l’espèce, c’est l’intention de détruire. Qui peut affirmer qu’Israël souhaite éradiquer les gazaouis ? Même l’autorité palestinienne ne le dit pas. Et rappelons que certains Israéliens, notamment siégeant à la Knesset, sont des Palestiniens.

Mais certains aimeraient que la conception du génocide évolue et que toute destruction massive de populations puisse être qualifiée de génocide. Pourquoi pas ! Mais cela reviendrait à dire que la Grande-Bretagne, lors du dernier conflit mondial, et notamment à partie de 1942, a commis un génocide en Allemagne. Par exemple quand les avions de la RAF, en juillet 1943 (opération Gomorrhe) ont causé des dizaines de milliers de morts innocents (hommes, femmes, enfants) en bombardant Hambourg. Ou plus encore la tristement célèbre opération sur Dresde, en février 1945.

Mais élargir le concept de génocide, ce serait le banaliser, le ramener au rang d’un crime de guerre comme un autre, lui faire perdre sa singularité. C’est comme de dire que Gaza et Auschwitz, c’est pareil, ou encore que la France, lors de la conquête de l’Algérie, se serait comportée comme se comporteront plus tard les nazies. Et c’est encore comme de traiter tout opposant politique de fasciste ou tout membre du RN de nazie. Ou encore, osons le dire, de prétendre qu’un attouchement furtif sur une fesse, un fait condamnable et qui doit l’être, est un viol. À tout mélanger on ne relativise plus, on ne juge plus la chose pour ce qu’elle est. On la condamne sans discrimination ni mesure. Tout est pareil, tout se vaut. C’est au mieux du nihilisme, au pire de la communication politique, une dérive fatale à la démocratie.

Et il faut aussi dénoncer cet usage politicien de la publicité qui consiste à jouer avec les mots, au besoin à les violer pour les obliger à dire ce qu’ils ne veulent pas dire. Et à trop prétendre qu’une vessie est une lanterne, c’est bien le sens des mots qui se perd et leur usage qu’on stérilise. Le fascisme, tel que Mussolini l’a « inventé », a une définition relativement précise ; un génocide est un crime de guerre qui se singularise par son but et ses méthodes. L’utilisation industrielle des chambres à gaz, après récupération minutieuse de ce qui pouvait servir (chaussures, lunettes, dents, cheveux), est un raffinement très singulier.

Oui, les États-Unis ont commis sur leur continent un génocide amérindien. Non, ils n’en ont pas commis en déversant sur le Vietnam des quantités extravagantes de Napalm ; non, ils n’en ont pas commis en larguant deux bombes atomiques sur des civils à Hiroshima et Nagasaki. Et si la France a commis un génocide, c’est en Vendée. Mais cela reste à instruire, et on pourra se référer à la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide vendéen de 1793-1794, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en 2007 par 9 députés.

Notre démocratie agonise depuis que juges et commentateurs médiatiques font la loi et bafouent l’état de droit. Elle menace de disparaitre depuis que les représentants du peuple ont été remplacés par de hauts fonctionnaires. Et depuis, comme le remarquait Hanna Arendt, que la politique est devenue « une variété des relations publiques », c’est-à-dire une usine à mensonges. Et c’est le triste signe de notre modernité consumériste. Et notre Président en est le meilleur promoteur. Au point que plus personne ne l’écoute.

La crise de l’autorité

Si certains discours de droite – par exemple ceux de M. Retailleau, bien relayés par M. Praud – me gênent, c’est tout sauf étonnant, car je continue à me considérer comme un modeste militant de gauche. Mais une gauche qui n’a rien à voir avec le centre droit macron-compatible du Parti socialiste, un parti de bobos qui a depuis les années 80 abandonné les classes populaires au Rassemblement National. Et encore moins avec les dérives stalino-révolutionnaires de La France Insoumise. Car, fidèle à Camus ou à Arendt, je ne crois pas aux révolutions qui ne sont que des occasions de régler ses comptes et de remplacer, à la tête de l’État, une bourgeoisie par une autre, et de suspendre les libertés pour un temps ; un temps qui en général dure.

Prenons la question, si lourdement posée par les commentateurs de CNews, de l’Autorité. Et sans avoir peur d’y mettre ici une majuscule. Mais poser la question en ce terme est déjà problématique. Mais comme il y a effectivement problème – voir le rapport d’une certaine jeunesse avec la police, plus généralement avec la loi –, je préfère parler d’un déficit de confiance. Et on m’objectera peut-être que c’est la même chose, qu’il n’y a Autorité que s’il y a confiance en la parole qui est censée faire autorité : en premier lieu celle des parents, mais aussi celle de l’enseignant, du scientifique, du juge, du médecin, du prêtre, des médias institutionnels, etc. Mais quelle confiance accorder ici ou là, quand nous baignons tous dans la propagande, le négationnisme, le prétendu complotisme.

Je pense que pour un homme de droite, l’autorité évoque plutôt la force et la soumission des gens du commun aux détenteurs de l’autorité (politique, policière, juridique, morale), soumission à tous ces gens de pouvoir qui promeuvent la moraline et défendent une bien-pensance qui peut sombrer dans le wokisme le plus radical. Alors que pour un homme de gauche, cette autorité procède d’une relation de confiance qui permet à chacun de s’abandonner aux institutions, par adhésion et non par peur des représailles. La défiance étant la vraie source de la perte d’autorité, et non la faiblesse de la répression.

Cette thématique a bien été développée par Hannah Arent, philosophe de gauche, mais aussi par Thomas Hobbes (toute autre époque), l’un des précurseurs, selon moi, de la laïcité. Que nous dit Hobbes dans le Léviathan ? Il nous dit que si on peut fonder un état par la force, il ne peut se maintenir que par le consentement des gouvernés, par l’idée d’un Contrat social plus ou moins explicite. Et ce consentement, cette adhésion nationale se construit bien sur la confiance ; par exemple sur la conviction qu’en matière de sécurité, on a tous intérêt à ce que l’État bénéficie du monopole de la violence et sache en user avec mesure.

Et c’est quand l’autorité fait défaut, du fait d’une défiance généralisée, qu’il ne reste plus à l’état qu’à utiliser la force comme substitue à l’autorité, et à glisser toujours plus sur la pente totalitaire. On l’a bien vu avec la crise du Covid. Beaucoup de Français ont douté de l’efficacité du vaccin. En réponse, l’État est allé très loin pour imposer sa vision des choses. On le voit aussi aujourd’hui avec l’environnement. Face au scepticisme généralisé, l’État est prêt à imposer à tous des règles liberticides, mais pour le bien des gens.

On pourra donc, comme les personnalités de droite le suggèrent, augmenter toujours le nombre de policiers et de caméras de surveillance, modifier le Code pénal pour augmenter les peines, construire de nouvelles prisons, raboter un peu plus les quelques libertés individuelles qui nous restent. Nous transformer en Chinois… Faire que « 1984 » ce soit ici et maintenant. Mais si l’on ne fait que cela, sans se préoccuper de recréer de la confiance, on aura peut-être rétabli une forme d’ordre – à l’image de l’Iran, où une femme qui refuse de se voiler peut finir par être pendue, au nom de Dieu ; on peut aussi, comme en Corée du Nord, mettre une balle dans la nuque des délinquants, ou encore, comme dans la Bande de Gaza, jeter les déviants depuis la terrasse d’un immeuble, afin qu’ils s’écrasent quelques étages plus bas. On peut faire régner un ordre plus strict, mais on n’aura pas recréé de confiance, donc d’autorité, on aura simplement créé du ressentiment, de la violence refoulée.

Comment retrouver un niveau d’adhésion à nos valeurs, à notre système ? Et la question est complexe, car comment faire adhérer des musulmans fidèles à leur religion, à un système politique laïc ? Pour cela, il faut s’attaquer au Système et se souvenir que la crise de nos prétendues démocraties vient du fait que le mensonge est devenu, grâce à la médiatisation du monde, aux réseaux sociaux, à l’omniprésence de la publicité, l’un des outils majeurs du gouvernement des masses. C’est pourquoi on ne comblera aucun défaut d’autorité, sans s’attaquer à cette fabrication de mensonges qui ruine toute confiance. Hannah Arendt, que j’ai citée et que j’ai à l’esprit, expliquait précisément dans « Du mensonge à la violence » que lorsque l’État perd son « pouvoir », son « autorité », il ne sait plus comment gouverner si ce n’est par la violence et le mensonge, le mensonge qui conduit inévitablement à la violence, à la violence de mensonge. Fatal cercle vicieux : crise de l’autorité, donc substitution de la force répressive à l’autorité, donc mise en place, avec tous les secours et les outils de la communication publicitaire, du mensonge d’état, donc perte de crédibilité et méfiance généralisée. Et on se souvient comment des mensonges d’état ont pu justifier des guerres : pour les États-Unis, au Vietnam, puis en Irak où il était question de retrouver et de neutraliser des ADM. Pour la Russie qui aujourd’hui prétend dénazifier l’Ukraine.

Il faut donc sans doute construire des prisons, au moins pour que les détenus y vivent de manière digne et ne dorment pas sur des matelas posés à même le sol, des centres clos pour y garder les OQTF en attente d’expulsion. Évidemment, il faut que la justice soit apolitique (condition de son indépendance), et donc dissoudre le Syndicat de la magistrature. Et puis contrôler nos flux migratoires, afin d’accueillir dans de bonnes conditions, le maximum raisonnable de gens que nous pouvons intégrer, assimiler, compte tenu de nos capacités d’accueil. Mais il faut surtout se poser la question de l’institutionnalisation du mensonge, de l’omniprésence et de la pollution de la publicité de produits utilisée pour vendre une idée, un homme politique comme on vend un autre produit de consommation. « On se lève tous pour un candidat comme on se lève tous pour Danette », même méthode. Et peut-être ne plus accepter que l’on prétende nous faire vivre en démocratie, alors que nos systèmes occidentaux le sont de moins en moins et que le sort des gens se règle sans eux, ailleurs, par de hauts fonctionnaires non élus vivant non seulement « hors sol », mais « entre eux ». C’est-à-dire redonner du pouvoir au peuple, et donc s’attaquer aux partis politiques. Citons Arendt « Les partis, en raison du monopole de la désignation des candidats qui est le leur, ne peuvent être considérés comme des organes du Peuple, mais, au contraire, constituent un instrument très efficace à travers lequel on rogne et on domine le pouvoir populaire ».

Et puis réinterroger ce que l’on nomme société de masse, ou société consumériste ; et se souvenir qu’avant de parler des droits accessoires de telle ou telle minorité, il faudrait déjà garantir à chacun les droits fondamentaux. Arendt les voit ainsi : « Les « trois grands droits premiers : vie, liberté, propriété … » Et j’adhère à cela. La vie, elle nous est de plus en plus chichement comptée, quand l’essentiel de notre temps, de notre énergie, est consacré à survivre – survie contre, survie malgré… La liberté, faut-il en parler ? Elle disparait progressivement en Occident, comme disparait la sphère privée. La propriété privée ? Tout est fait pour que cette propriété soit confisquée entre les mains des plus riches – de moins en moins nombreux et de plus en plus riches – et pour contraindre les autres à vivre à crédit, en location, de manière précaire, à la merci du Marché, de l’État et des aléas de la vie.

Et, disant cela, je ne m’égare pas. Nos institutions et ceux qui les font exister ne nous représentent pas, ne défendent pas nos intérêts, ne nous protègent plus, ne nous écoutent pas ; et quand, fait devenu rarissime, le peuple est consulté par référendum (29 mai 2005) et que sa réponse ne convient pas aux élites, alors on méprise et contourne cet avis. Comment s’étonner alors que les Français – ne parlons que d’eux – ne fassent pas confiance à leurs dirigeants et aux services de l’État ? Alors oui, dans ces conditions, on ne peut s’étonner de la ruine de l’Autorité. Et il est alors logique que l’image du Général de Gaule soit si présente dans les médias.

Mais concluons ce long article. Nous vivons bien une crise de l’autorité, dont la classe politique est le principal responsable. Cette crise est une crise de la défiance. Et on n’y répondra pas par une augmentation de la répression, un nouveau rabotage des libertés individuelles. Mais en s’attaquant aux réseaux sociaux, en confinant la publicité dans des espaces plus étroits, en recréant des universités et des médias institutionnels, moins politisés, plus laïcs, expurgés du wokisme. Qu’attend-on des institutions ? Qu’elles nous protègent, nous rassurent, fassent baisser notre niveau de stress, nous offrent un cadre stable, sécurisé à nos activités ; que l’État nous gère en bon père de famille, avec douceur et autorité. C’est tout le contraire que nous constatons. Un état incompétent et irresponsable.  

Patriotisme

Notre Président en appelle au patriotisme des Français. Est-ce un appel aux jeunes Nahel Merzouk des banlieues ? C’est vrai que certains sont déjà formés à l’usage des armes à feu, et même si la kalach n’est pas en usage dans l’armée française, les armes de guerre se ressemblent un peu toutes.

J’ai un peu tardé à réagir tant j’étais sidéré par ses paroles. Et puis j’ai retrouvé cette citation de Nicolás Gómez Dávila : « Le patriotisme qui n’est pas adhésion charnelle à des paysages concrets est une rhétorique de pseudo-cultivés pour entrainer des illettrés à l’abattoir ».

Joyeux Noël !

Je vais fêter Noël, même si je ne suis pas catholique, pas chrétien pour un sou à la quête… le fêter, oui, bien que j’aie depuis longtemps coupé avec cette religion, en entrant même en militance, un militantisme laïc et antireligieux. Mais ce serait trop bête de perdre une occasion de faire la fête, de se retrouver en famille, entre amis de toutes confessions, autour d’un bon repas. Je sais bien qu’à cette date, on est invité et attendu à la célébration d’un rite millénaire, celui d’une religion qui, en occident, a façonné les manières de penser, longtemps tenu l’enseignement, et politiquement géré des peuples à genoux. D’ailleurs, ni notre principe d’égalité ne serait tel, ni, plus largement, l’humanisme n’existerait sans le christianisme qui les a inventés ou matricés.

On peut donc rester très critique vis-à-vis de tout cela, préférer le sapin enguirlandé à la crèche au poupon, garder ses distances avec l’Église, sourire à sa métaphysique, mais accepter de se retrouver ensemble sur l’évocation d’un symbole. L’Église nous dit que Dieu s’est fait homme un 25 décembre, en Palestine. Certains, dont je ne suis pas, contestent l’idée même de l’existence d’un Jésus prédicateur qui aurait fini, assez banalement, crucifié comme d’autres agitateurs par les Romains. Mais reste un symbole qui s’est construit dans un certain contexte historique, qui a grandi et muri au point d’envahir le monde, et est aujourd’hui contesté. Je suis personnellement attaché à ce symbole, et j’aurais plaisir à lui rendre hommage dans quelques jours. Car laissons de côté l’introuvable vérité de l’évènement historique et métaphysique. Que reste-t-il ? Les allégories de cette parabole qu’on ne cesse d’interpréter. Et pour ce qui me concerne, j’en caresse deux : l’hypothèse improbable qu’il puisse y avoir autre chose, au-delàs de notre sensibilité, quelque chose dont ni notre corps ni notre esprit ne peuvent rendre compte, un au-delà de l’être présent, peccamineux et putrescible. Et puis considérer que la valeur suprême est l’amour, un amour absolu, pur, au-delà de la simple concupiscence, et qui devrait matricer toute éthique, toute hygiène de vie. Ce christ-symbole, s’il l’est de l’espoir et de l’amour, mérite bien qu’on fête sa naissance et qu’on l’honore, quitte à trinquer avec le vin de messe… Mais il y a aussi une troisième dimension de cette parabole qui m’a toujours touché, à savoir que l’être le plus puissant de l’univers, créateur ex nihilo du tout, conjoncturellement incarné pour voir comment ça fait d’avoir soif et faim, puisse être cloué sur deux bouts de bois par un petit fonctionnaire provincial, comme une vulgaire chouette sur la porte d’une grange. L’hyperbole est saisissante, le plus grand se faisant le plus humble.

Autre point qui est venu se lier à cette réflexion. S’il est si compliqué, à propos de la fête de la nativité, de séparer le cultuel du culturel, il est aussi difficile de comprendre, de l’intérieur, ce qui est culturel ou universel. Par exemple de comprendre que l’idée d’humanisme défendue en occident par beaucoup d’athées n’est qu’un autre nom du Christianisme, ou que notre idée d’égalité est ici chrétienne. Reste que deux principes me semblent universels, donc proprement anthropologiques : le bon sens, et le sens de la justice. Chacun comprend plus ou moins clairement, car il en a fait l’expérience, qu’existe une « loi de causalité » que j’exprimerais ainsi : « toute cause produit des effets », ou encore « le réel est ce qui produit des effets ». Chercher la cause qui va produire l’effet désiré, ou constater ce lien, c’est ce qu’on appelle le bon sens. Pour la justice, c’est un peu plus compliqué. Reste que je pense que ce sentiment que telle chose est juste et que telle autre ne l‘est pas n’est pas de dimension culturelle. Mais ces deux principes ne sont-ils pas simplement ceux, originels, et de la morale et de la politique ?

En regardant Tom

J’entends dire que la sagesse viendrait avec la maturité, avec la vieillesse peut-être… Mais moi qui ai atteint cet âge auquel les fruits de la sagesse seraient murs, de cet arbre du fruit de la connaissance du bien et du mal, qui fut, à juste titre, interdit au premier couple – sans doute trop jeune – moi qui, pour regarder mon avenir, le fait par-dessus mon épaule, moi qui ai tant lu, au point de pouvoir parfois briller sottement en société, moi, moi, je vois bien que je n’ai pas progressé d’un pouce, d’un ongle. Et dans le même temps, je lisais cette publicité d’un vague institut de formation qui proposait à de jeunes ados de les aider à trouver leur voie. Mais moi, retraité, je la cherche encore cette voie, et personne ne me propose de m’aider à la trouver.

J’ai beaucoup lu, peut-être mal, ou pas les bons auteurs, et longtemps étudié la philosophie pour tenter de comprendre deux ou trois choses qui m’obsédaient et ne me lâchent pas : la question du bien et du mal justement, les fondements de la morale… À quoi peut-elle servir, cette foutue morale ?

Montaigne, bien avant d’autres philosophes, avait compris en regardant des chatons jouer, que les animaux souffraient, prenaient du plaisir, avaient des émotions, des sentiments. Il avait d’ailleurs une chatte avec qui il jouait souvent : « Nous nous entretenons de singeries réciproques », disait-il.C’est en regardant Tom dormir à mes pieds que j’ai compris que la morale ne servait à rien. Tom est parfaitement amoral. Et toutes ces questions, il s’en fout. Mais il sent, éprouve des désirs et des peurs, connait ses besoins et cherche à les satisfaire. Il a des goûts affirmés, sait prendre des décisions sans se référer à la morale, et suit probablement ses intuitions. Et il est capable d’affection – et on connait ces histoires de chien qui se laissent mourir sur la tombe de leur maître. Car Tom est un chien plutôt sympa. Il y en a de gentils, d’autres de méchants, de peureux ou d’agressifs. Mais la morale, ils ne connaissent pas. La nature a donc produit des êtres vivants qui tous, ou presque – dont les mammifères supérieurs doués de sens, d’intelligence, d’intuitions, capables de nourrir et d’élever leurs petits, de se sacrifier pour eux – vivent sans recours à la morale, et sans forcément déplaire à Dieu. Ils ne sont pas, à l’image de la nature, immoraux, mais amoraux. Même la bête à bon Dieu aux élytres sang tachées de noire. Aucune morale !

La morale est donc le triste privilège de l’espèce humaine, le supplément d’âme d’un humain qui peut ainsi justifier le meurtre gratuit ou idéologique, le crime religieux ou politique, la haine génocidaire, l’éradication fatale des hétérodoxies morales. Vous avez vu ? Cette jeune fille en petite tenue sur le parvis d’une université iranienne… atteinte à la morale. Ah, si je pouvais me réincarner en raton laveur… et vivre dans une nature préservée, loin des hommes et de leur moralité.