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Articles de philosophie

Au plan économique et politique, notre système est basé sur la consommation et sur l’uniformisation des produits et des pratiques, l’humain et son environnement étant considérés comme des produits dans un monde réifié par le Marché et l’Administration. À la globalisation du Marché fait pendant la bureaucratisation du monde, l’un et l’autre conduisant à l’uniformisation, la normalisation, la standardisation du monde. Il s’agit donc bien des deux faces de la même médaille. Et chacun devrait voir les limites de ce choix. À préférer la consommation comme système, à un système qui se contenterait de répondre aux besoins de la vie et de créer des richesses, on épuise et détruit la planète et, à moyen terme, l’homme. À tout uniformiser, on détruit le singulier, donc l’individu, au profit d’un concept d’humanité. Qu’on comprenne bien l’erreur de l’écologie politique à laquelle je ne peux adhérer : A la globalisation du Marché fait donc pendant la bureaucratisation du monde. On ne pourra sauver la planète sans sauver l’homme. On ne pourra régler les problèmes environnementaux sans s’opposer au Marché, et précisément à la globalisation qui permet de mettre à l’étal d’un supermarché breton – je l’ai vu et chroniqué – des poires chinoises. On ne pourra combattre la globalisation en renforçant la bureaucratisation. L’écologie politique, comme le communisme, l’un et l’autre pavés de bonnes intentions, mourront de leur bureaucratisation après avoir, prétendant servir l’humanité, détruit un nombre très considérable d’hommes et de femmes, et dans les pires conditions. La question de l’effondrement de la diversité biologique est posée comme vitale. Qui va poser celle de la diversité éthique et culturelle ?

Sauf à se satisfaire de barboter comme les grenouilles dans le chaudron sur la gazinière, il faudra bien un jour choisir entre l’humanité et les hommes, la machine et la nature, nos démocraties et la Démocratie, l’écologie politique et l’Écologie, la survie et la Vie. Mais chaque jour qui passe rend les grenouilles plus impuissantes à choisir. Comme Bernanos je pense que « l’homme est obsédé par l’idée de suicide. D’un bout de la planète à l’autre, il accumule en hâte tous les moyens nécessaires à cette gigantesque entreprise ».

Toujours la vie comme elle va

De longue date, je fais des listes, et notamment des « problèmes » à régler. Pas précisément les gros, mais ceux, suffisamment réels pour devoir être réglés avant que ma distraction, ma négligence, les rendent très « problématiques ». Je l’ai beaucoup fait dans ma vie professionnelle à tel point que j’ai pu déclarer aux cadres que j’encadrais et qui trop souvent se plaignaient d’être toujours confrontés à des problèmes, que, s’il n’y avait pas de problèmes à résoudre, il n’y aurait pas besoin de cadres pour les résoudre. Et dans ma vie personnelle, je fais de même. Aujourd’hui, je ne vous cache rien : prendre rendez-vous pour le contrôle technique de la voiture, déjà deux ans ; répondre à l’administration des impôts qui conteste une déclaration de surface habitable sur un CERFA produit après des travaux d’extension de la maison, mais sans apporter la preuve que mon calcul est faux ; renvoyer à la mutuelle une attestation de la CAF que j’ai du mal à obtenir, la CAF est inaccessible au téléphone et interpose entre elle et ses usagers des automates  et des robots aussi intelligents que des blocs de béton ; relancer une entreprise qui m’avait promis de réaliser de menus travaux ; appeler Pierre, Paul ou Jacques ; etc., etc. La liste est longue, les items sans intérêts pour le lecteur.

Mais je remarque deux choses. D’abord que cette liste joue de l’accordéon depuis plusieurs décennies sans jamais être soldée : une ligne biffée, une autre rajoutée. Il y a toujours un nouveau truc. Je mourrai en retard et n’aurai jamais été un jour « à jour », sans une forme de stress, donc d’aliénation mentale ; pas un jour tranquille de vie sereine, sans arrière-pensée.

Et puis je note une autre chose, infiniment plus grave, plus consternante, c’est que cette liste est largement nourrie par le Système. Ce système qui nous enferme dans des dispositifs, des lois innombrables, des réglementations tatillonnes, nous assigne, nous contraint, nous tient à la gorge, nous pollue, nous stresse.

 

La bureaucratisation du monde, corolaire de la prise de pouvoir de l’administration alliée au Marché, est un cancer qui nous ronge, nous tue à petits feux, nous accompagne vers la mort sans jamais nous laisser vivre vraiment, libre, libre de son regard inquisiteur et accusateur. La bureaucratie, c’est le mur contre lequel l’humanité se heurte et l’idée d’homme s’échoue et sombre dans l’abime noir du temps mort, du temps perdu pour la vie, gaspillé à survivre.

La vie comme elle va

Je m’arrête acheter mon pain au coin de la rue, fais la queue, paye en faisant l’appoint.

La gamine qui encaisse, une teenager comme disent les anglais, me jette un regard noir au-dessus du masque, et repousse avec dégout une de mes pièces jaunes. D’une voix pincée, haut perchée, vulgaire, entre violence et mépris : « Celle-là n‘est pas française ! ». Je vérifie. Je m’étais fait refiler une pièce de 5 cts de Francs. Je m’excuse par réflexe et sans avoir l’aplomb de lui répondre qu’en fait, c’est la seule française et que les autres sont européennes. En sortant, maugréant dans ma barbichette, je m’étonne qu’elle n’ait pas reconnu la piécette et je prends conscience qu’alors que j’ai presque toujours vécu avec cette monnaie, elle n’a probablement jamais vu de pièces françaises. Je n’avais pas encore suffisamment intégré que certains adultes étaient nés dans en euroland. Il faut bien le comprendre, bien le rappeler aux souverainistes.

Pour beaucoup de jeunes, appelés à se prononcer un jour pour ou contre une sortie de l’UE, il s’agira bien de quitter, ou pas, le monde dans lequel ils sont nés, alors que pour les plus âgés, ce ne sera que d’éventuellement faire un pas nostalgique en arrière, vers leur jeunesse. Le résultat d’un tel référendum tiendra donc peut-être moins d’un choix politique réfléchi que de considérations psychologiques, la vieille peur du changement pour les uns, la nostalgie pour d’autres ; questions de générations.

A quoi bon philosopher ?

Je ne suis pas un philosophe et ne souhaite pas faire de la philosophie, ni ici ni ailleurs. Si, être philosophe, c’est être capable de penser sa vie et de la vivre sans concessions, alors j’en suis encore très loin, m’étant trop souvent prostitué, soit par raison, soit par faiblesse, soit par devoir. Et je ne souhaite pas faire de la philosophie comme d’autres font de la cuisine ou de la gymnastique, car c’est ici stérile. Et s’il y a vanité à croire, en religieux, il y a aussi une grande stérilité dans l’incroyance du philosophe. Car, s’il faut souvent déconstruire pour se libérer des préjugés et des fausses vérités, échapper aux évidences trompeuses, à la moraline médiatique, il faut bien aussi reconstruire, au moins pour avoir un toit où abriter son âme malmenée, sa précaire existence, mais sans s’illusionner sur la pérennité des choses ou l’objectivité des valeurs. Si rien ne peut durer, si rien ne sert vraiment à rien, il est vital de l’oublier et, non pas de vivre comme si on devait mourir demain, proposition aussi sotte que séduisante, mais comme si nous ne devions jamais mourir, comme si nous pouvions abolir le temps, n’en plus sentir le poids. En fait, la vie n’est supportable que lorsqu’on l’oublie, je veux dire qu’on s’oublie, que l’on cède à l’ivresse. C’était d’ailleurs la proposition de Baudelaire : « Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve ». L’écriture est une ivresse, consolante – je viens de consacrer plusieurs mois à l’écriture de deux livres à paraître incessamment, mais l’écriture m’est devenue aussi insupportable qu’un verre d’alcool après une nuit de beuverie. Mais je sais que ça reviendra, même si écrire ne sert à rien. Je pourrais d’ailleurs le dire comme Pessoa « Tout cela ne me sert à rien, car rien ne me sert à rien. Mais je me sens soulagé en écrivant, comme un malade qui soudain respire mieux, sans que sa maladie ait cessé pour autant ». Oui, malgré les gueules de bois qui calment un temps, court, on replonge. L’écriture est une drogue, la philosophie peut l’être aussi ; les jeunes ont d’autres ressources. Point de philosophie alors ?

Sauf que ses outils restent indépassables pour penser le monde, et se penser au monde, car les pensées renaissent toujours, comme un mauvais grain. Restons donc attachés à la philosophie comme méthode, mais pas comme sagesse, car, à défaut de mépriser la sagesse – et comment revendiquer son humanité sans mépriser une sagesse qui n’a jamais été le propre de l’homme –, je ne crois pas à ses vertus. Les seules vertus dans la vie sont celles qui aident à vivre paisiblement : accepter sa médiocrité, la laideur du monde, la promiscuité, l’absence de liberté, 1984 comme avenir inéluctable.

C’est Stephan Zweig qui avait raison. Il écrivait en 1925, ou peut-être fin 24 – il vit alors encore en Autriche, mais voyage beaucoup –, un court texte où il déplore l’uniformisation du monde, la disparition de toute individualité, l’égalitarisme, le conformiste, la mode. Il y dénonce, quelques décennies avant Bernanos, entre autres, « la mécanisation de l’existence, la prépondérance de la technique, comme étant le phénomène le plus important de notre époque ».  Et il conclut son texte par ce constat désespéré que je prends pour moi : « Le dernier recours ; il ne nous en reste qu’un seul, puisque nous considérons la lutte vaine : la fuite, la fuite en nous-même. On ne peut pas sauver l’individu dans le monde, on ne peut que défendre l’individu en soi. La plus haute réalisation de l’homme spirituel reste la liberté, la liberté par rapport à autrui, aux opinions, aux choses, la liberté pour soi-même. Et c’est notre tâche : devenir toujours plus libre, à mesure que les autres s’assujettissent volontairement ». Et il rajoute « Séparons-nous à l’intérieur, mais pas à l’extérieur : portons les mêmes vêtements, adoptons tout le confort de la technologie, et ne nous consumons pas dans une distanciation méprisante, dans une résistance stupide et impuissante au monde. Vivons tranquillement, mais librement, intégrons-nous silencieusement et discrètement dans le mécanisme extérieur de la société, mais vivons en suivant notre seule inclinaison, celle qui nous est la plus personnelle, gardons notre propre rythme de vie ».

Je pense qu’il a raison, l’homme est en train de disparaître au profit d’une humanité d’animaux de rente, je veux dire d’animaux qui se conforment aux exigences du Marché et s’en accommodent. La liberté n’intéresse personne, chacun l’ayant, de longue date, abandonnée pour une sécurité servile. Et on ne pourra sauver les gens, seulement essayer de préserver dans son âme l’idée d’homme, l’idée de ce qui fut ou qui aurait pu être. Je pense qu’il a raison, on ne peut lutter contre le Système, s’engager est stérile, voter ne sert à rien, et chacun sait que notre prochain monarque sera un produit du système, produit par le système pour servir le système, et cautionné par la masse formatée par les médias. Mais de là à vivre tranquillement, bourgeoisement, discrètement en se protégeant de la fureur du monde ! Zweig se suicidera en 1942. J’ai choisi une autre voie, celle de la « résistance stupide et impuissante au monde », celle de ne pas consentir au viol, même si je ne peux l’éviter et ai chaque jour plus de mal à m’assoir. Qu’on ne me demande pas de tendre l’autre joue, ou pire encore.

Chique, bientôt les présidentielles

Écoutant la radio, regardant les écrans médiatiques, j’entends et je vois que la France est déjà entrée en campagne présidentielle. La politique va donc nous aspirer et j’aurai bien du mal à me préserver de cette effervescence des organes de presse qui va aller croissante, jusqu’à l’orgasme final, prévu en 2022. Et puis les choses retomberont. Plus c’est long, plus c’est bon ; est-ce si sûr ?

Est-ce bien si sûr ? Sera-ce l’occasion de débattre des questions de fond ? Évidemment non. Car la presse est complice et s’ingéniera à parler de tout sans jamais organiser de vrais débats sur les vrais sujets, avec de vrais contradicteurs. Et toute question qu’elle posera à ses invités sera viciée de ces présupposés implicites : sachant qu’étant acquis que les hommes ont tous les droits sur la nature, étant admis que les grandes démocraties ont su raffiner leur système politique au mieux, étant incontestable qu’en occident les gens sont libres et que notre système est indépassable, pensez-vous que … À croire que Francis Fukuyama les a tous convaincus. Tout est bien dans le meilleur des mondes, si ce n’est un certain réchauffement climatique, et le choix qu’il nous appartient de faire entre une personne qui ne fera pas grand-chose si elle est élue, et une autre, qui n’en fera pas plus.

Les médias sont rompus à cet art de la collaboration, aux ordres du Marché qui nous gouverne en s’appuyant sur la haute administration, cet état profond que peu osent nommer, et dont Emmanuel Macron n’est qu’un produit, avant d’en être aujourd’hui un mandataire brillant. Le Marché a choisi son candidat, reste à la presse à le faire élire, bientôt réélire. D’abord organiser un duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron et puis expliquer aux Français qu’ils ont deux devoirs : celui, civique, de voter et celui, moral, de ne pas donner leur voix au Front National.

Dressage des consommateurs par le Marché, formatage insidieux des électeurs par les médias, dictature du politiquement correct, moraline des intellectuels fonctionnarisés, paresse du peuple, peur de l’inconnu, goût du confort, apprentissage millénaire de la servitude. L’homme est un animal de rente. On dit que « l’homme est un loup pour l’homme ». Je le vois plutôt, en référence à la fable, comme un chien qui cherche son maître et dont le fantasme est de dormir au soleil, au pied de sa niche, gardant sa gamelle comme le plus grand des trésors. Les prétendants à la présidence ne nous parleront que de ça, nos gamelles ; jamais de ce collier qui nous étrangle, jamais de cette laisse qui nous tient attachés quand nous ne dormons pas au pied de notre maître, espérant qu’il nous jettera un os à ronger. Rien ne changera tant que les hommes accepteront leur servitude, et ils l’accepteront tant que leurs maîtres sauront leur garantir le minimum pour survivre : du pain, des jeux, la foi déraisonnable et quasi religieuse en l’avènement de jours meilleurs.

Le réchauffement climatique est venu détruire cette croyance. Les hommes commencent à comprendre qu’ils vont souffrir, que leur avenir est bouché, que seuls les maîtres auront les moyens de s’en sortir sans trop de dommages. Où l’on voit les limites du syndrome de la grenouille quand le GIEC affole les grenouilles.

Trop d’écologistes nous disent qu’il faudrait changer notre système de développement. Je conteste cette analyse qui fait la part trop belle au statu quo. Il faut substituer à notre « modèle de développement » un « mode d’existence » respectueux de l’homme et de son environnement. Et je ne joue pas sur les mots. Il faut sortir de nos têtes trop formatées ces notions de « système » et de « développement ». Il faut cesser de croire que nous avons aurions des droits sur la nature, cesser de prétendre que nous vivons en démocratie ou que nous sommes libre. Il faut inventer un nouveau mode de vie, non seulement compatible avec les capacités de la planète, mais permettant aux hommes et aux femmes de trouver leur bonheur. Soyons plus précis. L’objectif doit être de permettre à chaque être vivant, homme ou bête, de vivre dans un environnement sain, sécurisé, où il puisse avoir l’impression d‘être libre, c’est-à-dire, où il ne soit pas en cage. Personnellement, je n’adhérerai à aucun autre programme et ne soutiendrai aucun autre projet. Et refuserait tout projet écologiste qui souhaiterait me mettre en cage, me faire vivre dans un zoo, soigné et nourri par le système.