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En regardant Tom

J’entends dire que la sagesse viendrait avec la maturité, avec la vieillesse peut-être… Mais moi qui ai atteint cet âge auquel les fruits de la sagesse seraient murs, de cet arbre du fruit de la connaissance du bien et du mal, qui fut, à juste titre, interdit au premier couple – sans doute trop jeune – moi qui, pour regarder mon avenir, le fait par-dessus mon épaule, moi qui ai tant lu, au point de pouvoir parfois briller sottement en société, moi, moi, je vois bien que je n’ai pas progressé d’un pouce, d’un ongle. Et dans le même temps, je lisais cette publicité d’un vague institut de formation qui proposait à de jeunes ados de les aider à trouver leur voie. Mais moi, retraité, je la cherche encore cette voie, et personne ne me propose de m’aider à la trouver.

J’ai beaucoup lu, peut-être mal, ou pas les bons auteurs, et longtemps étudié la philosophie pour tenter de comprendre deux ou trois choses qui m’obsédaient et ne me lâchent pas : la question du bien et du mal justement, les fondements de la morale… À quoi peut-elle servir, cette foutue morale ?

Montaigne, bien avant d’autres philosophes, avait compris en regardant des chatons jouer, que les animaux souffraient, prenaient du plaisir, avaient des émotions, des sentiments. Il avait d’ailleurs une chatte avec qui il jouait souvent : « Nous nous entretenons de singeries réciproques », disait-il.C’est en regardant Tom dormir à mes pieds que j’ai compris que la morale ne servait à rien. Tom est parfaitement amoral. Et toutes ces questions, il s’en fout. Mais il sent, éprouve des désirs et des peurs, connait ses besoins et cherche à les satisfaire. Il a des goûts affirmés, sait prendre des décisions sans se référer à la morale, et suit probablement ses intuitions. Et il est capable d’affection – et on connait ces histoires de chien qui se laissent mourir sur la tombe de leur maître. Car Tom est un chien plutôt sympa. Il y en a de gentils, d’autres de méchants, de peureux ou d’agressifs. Mais la morale, ils ne connaissent pas. La nature a donc produit des êtres vivants qui tous, ou presque – dont les mammifères supérieurs doués de sens, d’intelligence, d’intuitions, capables de nourrir et d’élever leurs petits, de se sacrifier pour eux – vivent sans recours à la morale, et sans forcément déplaire à Dieu. Ils ne sont pas, à l’image de la nature, immoraux, mais amoraux. Même la bête à bon Dieu aux élytres sang tachées de noire. Aucune morale !

La morale est donc le triste privilège de l’espèce humaine, le supplément d’âme d’un humain qui peut ainsi justifier le meurtre gratuit ou idéologique, le crime religieux ou politique, la haine génocidaire, l’éradication fatale des hétérodoxies morales. Vous avez vu ? Cette jeune fille en petite tenue sur le parvis d’une université iranienne… atteinte à la morale. Ah, si je pouvais me réincarner en raton laveur… et vivre dans une nature préservée, loin des hommes et de leur moralité.

Changement de régime

Si l’ancien régime, celui d’avant 1789 est mort, c’est qu’il était l’image surannée d’un monde qui avait déjà disparu. Et si le régime des partis, c’est-à-dire la cinquième république n’est plus, c’est que le monde a radicalement changé et que notre société s’est non seulement internationalisée, dénationalisée, mais archipelisée ; à savoir que le clivage idéologique binaire – gauche-droite, bourgeoisie-mondes agricole et ouvrier – n’est plus d’actualité. La société s’est aujourd’hui divisée en de nombreuses iles communautaires ayant chacune leurs centres d’intérêt, leurs exigences, leur vision du monde, leur réseau de communication cultivant l’entre-soi et le mépris des autres. Et l’idée même de nation semble morte. Il faut d’ailleurs reconnaître que la classe politique a tout fait pour dénigrer le nationalisme, en s’esquintant, après avoir porté aux nues les nationalismes ultramarins (vietnamien, algérien, calédoniens), à dénigrer le nationalisme français. Et la construction européenne est l’occasion d’achever la déconstruction des concepts de patrie, de nation, de peuple. Et dès lors, de même qu’on peut, comme Emmanuel Macron l’a fait, « déclarer qu’il n’y a pas de culture française », on peut déclarer que la France, donc le peuple français, ça n’existe pas. Et de promouvoir un humanisme qui refuse de privilégier ici les Français dont les droits spécifiques ne sont pas reconnus au prétexte d’égalité entre eux et les immigrés, et la boucle est bouclée. Il n’y a plus que des gens qui vivent ici, mais pourraient vivre ailleurs, tous pareils, tous indifférenciés par l’État. Seul le pouvoir de l’argent, donc le Marché peut encore différencier, ici comme ailleurs, une élite de nantis, souvent sans frontières, et une masse confuse de consommateurs, usagers de services de plus en plus chichement comptés. Mais ces gens, justement, voient les choses autrement.

Il nous faut donc inventer un nouveau système, qui ne s’appuie pas sur une certaine idée de la nation – concept abandonné, car non profitable au Marché –, ni sur des partis politiques qui avaient vocation à proposer un projet pour la nation, et facilement classables sur un échiquier hémicyclique, mais sur ces communautés d’intérêts souvent imbriquées et qui défendent une idée, un intérêt catégoriel, un pré carré assez étroit :  des souverainistes ou des européistes qui peuvent être indifféremment de droite ou de gauche, des humanistes internationalistes et des nationalistes, pour peu qu’il en reste, toutes sortes de religions voulant privilégier leurs dogmes, catho réactionnaires, musulmans conquérants, wokistes reconstructeurs et négationnistes, bobos écolo, LGBTQ – on rajoute à la fin le Q pour signifier le fond de l’affaire –, et puis, et puis… Mais aucun de ces groupes de pensée, de sensibilité n’a de projet pour la France ou ne souhaite créer ou rejoindre un parti politique capable, c’est leur rôle, de proposer un projet cohérent de société ; un projet aux dimensions politique (rapport au pouvoir, à la citoyenneté, à la démocratie, place de l’État), économique (droit des entreprises et des salariés), juridique (évolution des droits), environnementale (gestion des ressources). Car la raison d’être d’un parti politique, c’est bien de proposer un projet politique national. Mais cela n’intéresse pas une population largement dépolitisée, sans sentiment de classe et recroquevillée sur ses droits.

Il ne peut donc plus se constituer d’autres majorités que circonstancielles et les choix sont dorénavant ponctuels, conjoncturels. À l’image de ce logiciel, « Pol », qui sonde quotidiennement ses abonnés sur des questions d’actualité, en fait dans l’air du temps, un air raréfié en oxygène : questions très basiques, à courte vue, toujours binaires, et qui permet sur quelques jours de voir se dégager, pour peu qu’on le regarde ainsi, le lundi une majorité forte pour une décision de droite, le mardi, une autre, clairement de gauche, et ainsi de suite. Un logiciel qui pourrait remplacer un gouvernement si difficile à constituer et qui ferait bouger les lignes. Dans quel sens ? Probablement dans tous les sens, mais à l’image d’une époque où l’instantanéité, le zapping permanent, tient lieu de philosophie.

Mais l’autre raison de cette évolution, c’est que tout le monde a fait l’expérience de l’incapacité de la politique à nous dessiner un avenir. Et chacun a bien compris que cet avenir ne dépendrait nullement de la classe politique ou des partis constitués, mais des évolutions technologiques et sociétales que le Marché promouvrait pour garantir et augmenter ses sources de revenu. Ils mènent la danse, et il nous reste à danser en cadence, et suffisamment vite pour s’étourdir, jusqu’à tomber.

Macron, démission !

Je l’entends… comme si cette décision de notre président pouvait régler la situation. J’y suis évidemment favorable et je pense que ce choix assez improbable, mais gaullien, donnerait aussi à l’étranger une certaine image de la France. Mais cette crise politique qui intervient, et ce n’est pas un hasard, en même temps que d’autres, sociale, économique, financière, ne serait nullement réglée par un changement à l’Élysée et de nouveaux locataires au Palais Bourbon. Car notre cinquième république est morte, ou du moins agonisante, et nous ne reviendrons pas à la quatrième – car les Français ne renonceront pas à l’élection de leur Président au suffrage universel. Notre système majoritaire, notre dictature majoritaire si particulière et si liée au bipartisme droite-gauche, ne pourra plus fonctionner. Il faut donc tourner la page, comme celle d’un agenda. Et personnellement, cette agonie me parait déjà trop longue, trop pénible ; même les deuils ne doivent durer qu’un temps relatif. Il faudrait donc, puisque le présent sent déjà mauvais et que le retour au passé n’a pas de sens, avancer, fonder enfin cette sixième république. Et ce n’est pas techniquement difficile, mais il n’y a aujourd’hui aucune volonté politique de le faire ni aucun homme charismatique et médiatisé pour l’imposer. Et puis, deux remarques : Le peuple, lui, s’en fout, tant il est dépolitisé et désinformé par des médias principalement aux ordres. Quant au Marché, il n’a aucun intérêt à ce qu’un pouvoir fort et légitime, intervenant dans un système démocratique et sain, lui mette des bâtons dans les roues. Plus le pouvoir politique est faible, plus l’État est déliquescent, plus il aura les mains libres pour nous faire les poches. Mais comment allons-nous pouvoir continuer à vivre avec ce cadavre puant dans le séjour, cette odeur de charogne qui flotte dans l’air ? J’apprends qu’en rentrant chez lui un policier de la BAC 92 a été très violemment amoché à coups de barre de fer par des voyous. Ce n’est pas sans rapport. C’est même assez symbolique, cette façon dont les voyous peuvent gentiment tabasser l’État, sans que grand monde s’offusque ou que le système fasse sa révolution. Tout cela est devenu si banal : le trafic d’êtres humains à Calais, le marché de la drogue partout dans les quartiers, le vol pratiqué par certaines communautés nomades comme une activité professionnelle comme une autre, l’abandon des gens par le système. C’est tout un monde, le nôtre, celui dont certains se gaussent en le qualifiant de progrès : « Elle est pas belle la vie ? »

Le problème à Macron

Peut-on encore parler de démocratie quand l’immense majorité des décisions qui concernent notre vie quotidienne est prise par des fonctionnaires de l’ombre ?

Ça me démangeait trop pour que je n’en parle pas. Nous sommes effectivement dans une impasse politique dont je ne vois pas comment nous pourrions sortir. Mais, après tout, je connais des gens qui habitent une impasse et s’y sentent bien, car peu de choses s’y passent.

Résumons plus d’un demi-siècle de politique française. En 1958, pour sortir d’une période de crise, les Français ont accepté de basculer dans une dictature démocratique – une dictature au sens romain du terme. Mais sans doute faut-il déjà expliquer ce concept. Lorsque la République romaine, dont on sait qu’elle a su faire fonctionner une forme de démocratie, était confrontée à une crise majeure, existentielle, le Sénat (ou les consuls) nommait un dictateur qui, sans remettre en cause les institutions, recevait tous les pouvoirs pour régler, en un temps donné, cette crise. Puis, sa mission accomplie, ce dictateur, en général un général (ou un ancien consul) pour une crise qui était souvent une guerre, rendait au Sénat le pouvoir qu’il avait reçu. C’est un peu ce qu’avait imaginé Charles de Gaule, pour un pouvoir reçu du Peuple ; et il avait choisi un mandat original de sept ans ; renouvelable une fois. C’était moins de six mois pour les premières dictatures romaines.  

Mais le général ayant disparu, ce système perdura, même s’il fut plusieurs fois corrompu ; par Mitterrand, puis par Chirac. Mais, dans cette période, si l’on pouvait parler de démocratie française, il fallait la voir comme une dictature de la majorité, avec un chef se conduisant comme un monarque républicain, jupitérien. Et tout cela supposait une majorité capable de s’incarner dans un chef légitimé par l’élection présidentielle, exerçant la dictature au nom de sa majorité.

Or, il n’y a plus de majorité absolue. Et plus de possibilité avant longtemps de faire fonctionner de manière républicaine cette dictature. Nous sommes donc condamnés, à moins d’un changement de système, donc de constitution, à l’impuissance, au chaos. Car ces nouveaux équilibres politiques nous imposent, comme dans de nombreux pays occidentaux, une démocratie parlementaire où les députés, sur des programmes, des projets, des lois trouvent des majorités de circonstances. Mais ce n’est pas notre culture ; et changer de système supposerait une crise encore plus profonde que celle que nous connaissons aujourd’hui et des hommes et des femmes décidés à imposer un changement radical et salutaire.

Et quitte à changer de système, comme on change d’époque, on pourrait aussi construire un nouveau modèle démocratique plus authentique, plus direct, qui oblitérerait totalement ces cadres de majorité absolue ou relative. Mais, pour espérer de telles novations, de tels changements de paradigmes, encore faudrait-il que nous ayons en France des hommes et des femmes d’état. Je n’en vois pas. Ce qui ne veut pas dire que nous n’en ayons pas, c’est, plus justement, que notre système technobureaucratique pourri par la com ne leur permet pas de sortir du bois.

Un dernier mot… Un journaliste s’inquiétait que le pouvoir du législatif (le parlement) devienne supérieur à celui de l’exécutif (le gouvernement). Mais n’est-ce pas cela la démocratie, que les élus aient plus de pouvoir que les fonctionnaires ?

Un peu d’humilité

On aura peut-être remarqué que souvent je semble passer à côté. C’est juste… et c’est souvent un choix « éditorial ». Tout le monde semble en effet aujourd’hui ne s’intéresser qu’à cette question posée aux Français : peut-on reconduire « une équipe qui perd », animée par un chef d’État qui en sept années a réussi à mener la nation dans une impasse chaotique, ou faut-il se résoudre à faire le choix entre la peste et le choléra ? Bon dimanche ! Mais tout étant dit sur cet exercice périlleux de citoyenneté, je préfère m’interroger sur les fins de la politique et la notion de progrès. Après tout, notre Président n‘a-t-il pas parfois réduit le débat à cela… Les progressistes, plutôt jeunes et disruptifs, En Marche sur le chemin de l’Histoire versus les conservateurs, vieux, ringards et déconnectés, incapable de prendre la route ou le train de l’Histoire. Et la question qui me préoccupe est de savoir, précisément à l’époque où la puissance individuelle d’agir semble réduite à rien dans un monde global, mécanisé, aux économies interdépendantes, si un homme, une femme politique providentiels peuvent encore prétendre changer le monde ; ou si nous en sommes réduits à nommer aux plus hautes responsabilités des énarques rompus aux relations publiques, dont la seule marge de manœuvre serait sur le plan sociétal, car tout le reste serait déjà inéluctablement « plié ».

Pour faire court, rappelons que les théories scientifiques, qui permettent d’appréhender, c’est-à-dire de décrire et de prévoir des phénomènes qui semblent régis par des lois de causalité, ont profondément bouleversé la philosophie. Notamment la vision que nous pouvons avoir de l’Histoire et du Progrès. Je pense précisément à la théorie de l’évolution que Darwin nous a laissée : à savoir que l’évolution ne résulte pas d’un « projet » au service d’une « fin » – vision théologique –, mais d’adaptations conjoncturelles du vivant à son milieu avec trois principes : «  la lutte pour l’existence (des individus et des espèces ; donc aussi des sociétés), le principe de divergence (dont la forme est aléatoire et qu’on pourrait nommer principe ou capacité d’invention), le principe d’utilité » (ou d’efficacité, qui capitalise ce qui sert ou marche, et finit par rejeter ce qui n’apporte rien ou n’est pas viable).

L’essentiel de ce que je retiens est donc que le vivant semble, en matière de devenir, n’avoir d’autre volonté que de survivre et de s’adapter. Mais Darwin s’intéressait à l’évolution des espèces vivantes dans une perspective de long terme et hors du champ politique ; et je ne cherche pas à lui faire dire ce qu’il n’a pas dit.

Car là où l’homme intervient de manière singulière, c’est qu’il rajoute à ces principes naturels (notamment la lutte pour sa survie et d’adaptation au milieu – on le voit face au dérèglement climatique) le principe de responsabilité. En effet l’homme est le seul animal à posséder à ce niveau significatif une sensibilité, une conscience morale dont l’esprit de responsabilité est l’autre nom. Et si l’homme évolue « naturellement » de manière corrélée avec l’évolution de son environnement, il est aussi celui qui modifie cet environnement qui est aussi celui de toutes les espèces : par l’urbanisme, l’architecture, l’agriculture, en polluant durablement les océans ou, au contraire, en protégeant et sanctuarisant certains espaces naturels. Et, étant en capacité de faire des choix éthiques, il peut intervenir en redonnant une axiologie à l’Histoire et sur le cours naturel et aléatoire de l’évolution des choses. Et d’une certaine manière, après avoir inventé une utopie divine et l’avoir nommé Dieu, afin de ne pas sombrer dans un désespoir fatal, il peut travailler à l’avènement d’un homme nouveau dans le meilleur des mondes possibles, dans la perspective de devenir à l’image et à la ressemblance de son utopie – la fin de l’histoire et le premier homme… Mais le chemin de l’Histoire est long, chaotique, et pavé de bonnes intentions. Et le seul viatique indispensable à ce long voyage vers cet horizon qui semble toujours s’éloigner est un esprit d’humilité. Nos candidats primo ministrables en ont-ils ?