Flatus vocis

C’est vrai, je néglige ce blog et ceux qui y passent, souvent rapidement ; la vie est ainsi faite. Mais on aurait tort de me croire las de crier dans le désert, de donner des points de vue à tout propos, de réfléchir encore et toujours à « la nature des choses et à la difficulté d’être » dans ce monde que le progrès réduit et détruit progressivement. Et la politique m’interpelle toujours. C’est pourquoi je me suis mis à composer un nouveau livre ; depuis le printemps. Il est aujourd’hui terminé dans sa première version. Il me reste à le travailler, laborieusement, en faire une nouvelle version, corrigée – j’avance bien et ce devrait être terminé avant la Noël –, puis ce livre « abouti et corrigé » sera à nouveau passé à la machine – nouvelle lecture attentive et nouvelles corrections –, puis, à peine imprimé, l’encre à peine séchée sur son papier blanc, il sera repassé à la machine, une dernière fois, je l’espère. C’est un travail d’artisan, d’affinage et de polissage. Je vous en communiquerai quelques feuilles. Dans le même temps, je pense à mon prochain roman, déjà largement engagé, et à un recueil d’aphorismes. Je vous livre les trois d’hier, dans le désordre de mes pensées :

Incapable de le comprendre, on dit souvent d’un homme qu’il est contradictoire ; mais n’est-ce pas qu’une autre façon de le rendre responsable et fautif de l’insuffisance de notre intelligence ou de notre sensibilité à le percer ?

Cette idée que la connaissance (de la nature) serait un facteur de progrès est assez liée, quand on y réfléchit, à cette autre idée que l’homme serait le but de la nature, de son existence et de son évolution.

Pour consoler un enfant qui vient de se cogner le front contre un meuble, sa mère réprimande parfois la « vilaine table ». La morale nait ainsi dans le cerveau de l’enfant quand meurt l’innocence causale et que les effets lui sont présentés comme des récompenses ou des punitions.

Le transhumanisme prend le métro.

Si les civilisations vont continuer à s’entrechoquer comme des plaques tectoniques venant au contact l’une de l’autre, je ne pense pas qu’une guerre de civilisation aura lieu : L’Islam est trop divisé et n’a pas les moyens de s’attaquer à l’Occident autrement qu’en essayant de le subvertir démographiquement, et les États-Unis et la Chine ont trop à perdre dans un conflit qui détruirait la planète et ne ferait aucun vainqueur. Et puis ces deux grandes puissances sont engagées dans une même voie, le transhumanisme, qui va les faire converger. Je pense donc comme Michel Onfray et contre Éric Zemmour dont j’apprécie le combat, que si guerre de civilisation il y a, elle se fera entre des États constitués collaborant dans un vaste Système intégré, et des dissidents, résistants à une forme de modernité. Nous assistons donc à la fin des civilisations humaines et à l’émergence d’un transhumanisme, de fait, non humain, inhumain. Et le transhumanisme est déjà en marche. Il prend même le métro.

On apprend que la direction de la RATP va bientôt supprimer les tickets de métro pour les dématérialiser, dans un premier temps sur les portables des usagers. À terme, on ne pourra donc plus en acheter, mais les charger via une appli. On peut imaginer que la SNCF et les compagnies aériennes emprunteront le même chemin. Et ce dont il s’agit, c’est bien de dématérialiser toutes nos relations, pour les transférer sur le net, via des portables, dont le cœur va se réduire à la dimension d’une puce qui pourra être implantée sous l’épiderme de ce qui ne sera plus vraiment un humain. D’où les travaux sur l’identité numérique sans lesquels on ne comprend pas l’importance de la portabilité de nos numéros de téléphone. Demain, un seul numéro PIN identifiera l’individu (comme tous les autres objets) et « signera » toutes ses relations au Système : pour appeler des amis, déclarer ses impôts, acheter un billet de train ou de cinéma, s’informer, se faire contrôler partout et en permanence. Car la puce qu’il aura sous la peau dialoguera en permanence – plus besoin de se connecter, plus moyen de se déconnecter – avec son environnement, et le cloud où toute sa vie sera transférée, dupliquée : ses contrats, ses achats, son carnet médical, son casier judiciaire, les photos de ses vacances, ses tchats, toutes ses informations privées, toute sa vie. Et quand il passera au péage du métro, sa puce sera reconnue par un portique électronique, comme pour un télépéage autoroutier. Et dans cette nouvelle civilisation 4.0, chaque personne sera donc en permanence sous le « regard » panoptique et inquisiteur d’un « Big Brother » doté d’une Intelligence Artificielle et d’une capacité mémorielle extravagante. Et c’en sera fini de nos libertés individuelles quand nous serons transparents à un Système qui sera celui de l’Administration et du Marché, fatalement unis dans cette entreprise totalitaire. Et les gens comme moi qui ne peuvent plus aller boire un coup dans un bar – je me suis fait vacciner par conviction, mais j’ai déchiré mon pass, car je ne veux pas être contrôlé en permanence – ne pourront plus prendre le métro ou le train, donc voyager.

C’est donc une atteinte majeure aux libertés sur laquelle la CNIL n’a rien à dire. Il est donc urgent de supprimer la CNIL, plus complice que défaillante, et de créer un Comité National d’Éthique indépendant qui n’existe pas aujourd’hui, et qui pourrait s’exprimer sur la quatrième révolution industrielle et ses dangers pour l’homme. Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé ayant une autre vocation. C’est un problème, plus important, mais la jeunesse s’en fout, que la dérive climatique, car qu’importe de survivre au réchauffement climatique, si c’est pour revivre 1984.

Désespérer de l’écologie politique

Suis-je d’un naturel pessimiste ? Si je devais répondre, ce serait par une pirouette : non, je reste optimiste pour ce qu’il en est du long terme, mais, pour le court terme, je suis effectivement très pessimiste. Et de remarquer qu’à long terme, nous serons tous morts.

Comment être aujourd’hui tout à la fois lucide et optimiste, quand on prend pleine conscience de notre finitude individuelle et de la façon dont notre société nous empêche de vivre. Nous sommes des empêchés prisonniers d’un présent dont le seul horizon est de devoir bientôt mourir. Reste la foi. La question serait donc celle-ci : comment être optimiste quand on n’a pas la foi, qu’on ne croit ni au miracle, ni à Père Noël, ni aux lendemains qui chantent ? Comment réenchanter le monde, après un vingtième siècle qui fut celui des grands massacres totalitaires (Hitler, Staline, Pol Pot, Castro, Pinochet, et tant d’autres), et un vingt et unième qui nous montre déjà le visage de nouvelles formes, modernes, de totalitarisme ?

Nous perdons chaque jour un peu plus de liberté et l’humanité est, de mon point de vue, condamnée. La terre, qu’on me permette cette image si usitée sans être éculée – elle fonctionne de mieux en mieux – est un corps malade de ses parasites qui lui pompent le sang et la polluent de toutes leurs déjections. Elle en est malade à ne plus savoir comment tourner rond, et sa fièvre inquiète. Il est vrai, qui n’en a pas fait l’expérience, que l’hyperthermie a sur les corps des vertus thérapeutiques. Cinq cents ans avant notre ère, Parmenides disait déjà « Donnez-moi le pouvoir de provoquer de la fièvre et je soignerai toutes les maladies ». C’est sans doute un peu court, car si la fièvre est un signe et une réponse « saine » d’un corps malade à une agression, elle peut aussi lui être fatale si elle dépasse certains seuils. Faut-il poursuivre l’analogie et considérer que la terre est un méga organisme qui essaye, par tous les moyens, de tuer ses parasites ?

 

De ce point de vue, il y a bien au moins deux écologies, l’une qui s’intéresse à la planète qu’elle veut comprendre et protéger des méfaits de son parasite, l’homme, l’autre qui s’intéresse à l’homme et à ses rapports à l’environnement. Le second est humaniste, spéciste, c’est celle du Pape François et de la majorité des militants d’EELV. La première est moins portée médiatiquement et s’est émue des désordres de la nature (disparition d’un million d’espèces vivantes, depuis un demi-siècle) avant que la dérive climatique ne bouscule la vie des hommes et qu’ils s’inquiètent, non pas pour la planète, mais pour eux-mêmes, pour leur confort sur la terre. La première considère donc que le problème c’est la dégradation de la nature, la rupture des équilibres, la seconde la dérive climatique ; la première s’inquiète de la maladie, la seconde de la poussée de fièvre du malade menaçant ses parasites ; la première veut changer de système de développement, la seconde ne s’inquiète pas de la quatrième évolution industrielle (4.0) et ne veut que repeindre le système en vert.

Et je veux en prendre deux exemples. Sandrine Rousseau disait encore ce matin dans le poste (1er octobre) : « la nature est notre bien commun ». La sémantique est révélatrice. Et si ces propos n’étaient que judéo-chrétiens… Un écologiste non spéciste n’aurait jamais dit cela, considérant que la nature n’est pas un bien, mais qu’en plus, la nature n’appartient pas à l’humanité. Pour ce dernier, la nature n’est donc pas un « bien commun ». Sandrine Rousseau est donc sur la ligne que le pape a défini dans son encyclique laudato si’ (rédigée en préparation de la COP21) quand il écrit par exemple « la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire ».

Le deuxième exemple que je prendrai, c’est ce concept d’écoféminisme. Si l’écologie, c’est la science de la nature et l’éthique de son respect, alors le féminisme n’a rien à voir là-dedans, car non seulement la nature se fout du féminisme, mais elle a « souhaité » (façon de parler) distinguer l’homme et la femme, et faire que l’homme soit, en moyenne, plus grand, plus lourd, plus fort que la femme, moins handicapé par la maternité ; et elle a produit le patriarcat qui est le schéma partout présent et qui ne pourra évoluer que le jour où le nombre de femmes diminuera fortement par rapport au nombre d’hommes, et où la polyandrie s’imposera.

Oui je suis pessimiste et désespéré de la politique.

Faut-il avoir honte d’avoir des couilles ?

J’entends avec consternation une militante écolowoke parler de « déconstruire l’homme ». Je dis « écolowoke » car, se disant « écoloféministe », elle s’autorise l’invention sémantique de concepts nouveaux et contestables. Alors, allons-y, pourquoi s’en priver ?

On ne peut déconstruire l’homme comme concept, sans déconstruire les hommes, car l’un procède de l’autre : c’est bien la distinction des sexes qui est à l’origine du genre, et l’homme de chair et de couilles qui est à l’origine du concept d’homme.

Et que veut dire alors « déconstruire l’homme » ? Quand déconstruire l’homme, c’est déconstruire les hommes, tous les hommes.

On sait que l’enfant précède l’homme, ou que d’une certaine façon, « L’enfant est le père de l’homme ». J’emprunte cette formule au poète Wordsworth « The child is father of the man ». Déconstruire l’homme, ce qui n’est pas le réformer ou le reformater, c’est donc tuer l’enfant qui est dans l’homme, c’est-à-dire tuer l’homme. Car il faut être clair sur les termes, déconstruire une maison, c’est bien la démolir « proprement », faire table rase pour construire en lieu et place autre chose.

Et je vois bien dans cette folie déconstructive, une atteinte à notre civilisation au grand plaisir de tous ceux qui ne rêvent que de lui substituer la leur. Et ce lent suicide aux dimensions masochistes n’est pas sans interroger le nihilisme des politiques que nous menons depuis l’après-guerre. Mais plus encore, alors qu’Aragon prétendait que « la femme est l’avenir de l’homme », j’en viens à me demander – jouant Brel contre Ferrat – si un certain féminisme n’est pas le fossoyeur de l’homme, et, partant, celui de notre civilisation.

 

L’insoluble question du libre arbitre

Cioran, avec le l’humour qui caractérise sa prose moraliste, écrit dans « Ébauches de vertige » que « s’il y avait une solution au libre arbitre, la philosophie n’aurait aucune raison d’exister ». Cette question controversée traverse en effet et la philosophie et la théologie comme une trainée de poudre. On se souvient de la violence des échanges entre les théologiens Érasme de Rotterdam (du libre arbitre) et Martin Luther (du serf arbitre). Ce dernier, retrouvant la pensée d’Augustin, nous livre une doctrine, en quelque sorte duale. Tout d’abord, il considère que l’homme n’est pas libre, car prédisposé au mal ; un penchant-péché, originel-congénital. Et, seconde dimension, cette prédisposition ne peut être surmontée-effacée que par la foi, donc par une grâce dont l’homme ne dispose pas. L’homme, marqué dans sa chair par le mal propre à son espèce depuis les temps adamiques, ne peut donc se sauver par ses œuvres : seule la foi sauve. L’homme sera donc jugé par sa foi et non par ses œuvres, car « la foi précède les œuvres », c’est-à-dire que seule une foi véritable – un bon arbre – peut produire les œuvres attendues du chrétien authentique – les bons fruits. Et la foi est une grâce que Dieu seul décide d’accorder. Prier pour avoir la foi est donc souhaitable, mais ni absolument nécessaire ni suffisant. Dieu seul décide.

Schopenhauer – nous allons rester sur une philosophie allemande – répond dans « Le monde comme volonté et comme représentation » à ceux qui contesteraient cette doctrine de la prédisposition au mal, du « serf arbitre » : « Cet authentique dogme évangélique est de ceux qu’aujourd’hui une grossière et plate manière de voir rejette ou dissimule comme absurdes, dans son attachement, malgré Augustin et Luther, envers cet esprit de concierge typiquement pélagien qui n’est autre que le rationalisme d’aujourd’hui ».

Insistons sur cette doctrine en clarifiant son exposé : l’homme ne peut se sauver par sa volonté, car ce ne sont pas les œuvres de la volonté qui sauvent, mais celles de la foi. Où s’opposent évidemment de manière radicale Luther et Schopenhauer d’un côté, Nietzsche de l’autre.

Mais cette doctrine a le mérite de revenir aux sources vétérotestamentaires du christianisme, au premier livre de la Thora et au mythe du péché originel que le christ est venu racheter en témoignant de la vérité de Dieu par sa vie, sa mort et sa résurrection, afin que chacun croie et puisse être relevé, sauvé – guéri de cette prédisposition au mal qui entache toujours la vie humaine, même dans ses plus belles œuvres, et qui fait que tout « bien » cache toujours une étincelle de « mal », un intérêt, une satisfaction que seule la foi, désintéressée par nature, ne contient pas. Schopenhauer le dit « Si c’étaient les œuvres (lesquelles trouvent leur source dans des mobiles et une intention préméditée) qui menaient à la béatitude, alors la vertu ne serait jamais qu’un égoïsme ingénieux, méthodique, voyant loin ».

Mais force est de constater que le Christ a échoué, car il ne fut pas cru par ses contemporains, et si peu par les générations qui suivirent. Et là où le fils de Dieu a échoué, comment imaginer qu’une armée de fonctionnaires ecclésiastiques réussirait ? Mais sa venue n’a pas été sans conséquences, car, comme l’abbé Loisy l’a écrit : « Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue ». Et on pourrait rajouter l’inquisition, ses procès et ses bûchers, les schismes et les guerres de religion, le prosélytisme chrétien et ses génocides.

 

Pour ma part, même si je vois trop la dimension totalitaire de cette idée de ne juger que par la foi et non pas les œuvres, je dois rendre les armes à Schopenhauer en comprenant des arguments qu’il ne m’est pas possible ici de verser intégralement au dossier, faute de place. L’homme est effectivement « prédisposé au mal » par sa nature même. Affaire d’anthropologie plus que de théologie ; même s’il dresse sa volonté au bien comme on domestique un animal sauvage (Homo lupus est). Et j’accepte cette idée de devoir combattre ses démons et domestiquer le loup qui est en nous. Mais, pour qu’il devienne l’agneau de Dieu, qu’il devienne « véritable vertu et sainteté », encore faut-il qu’intervienne un « miracle » de l’extérieur, ce que les chrétiens appellent la grâce ; sinon toute vertu est fausse ou « petite vertu » ; et que ce miracle sauve l’homme, le libère et lui donne la vie éternelle. Car, comme le rappelle Schopenhauer « l’homme est fait pour la mort ». Mais je m’interroge sur l’intérêt social, donc politique d’une religion qui prépare l’homme à un miracle qui statistiquement n’intervient pas, désespérant les hommes de bien, de petite vertu.

 

Puis-je résumer ce point de vue sur le libre arbitre ? Toute volonté est déterminée par la nature même de l’être de volonté ; pour l’humain, par ses spécificités anthropologiques. Si le miracle de la grâce opère, alors c’est la volonté qui disparait, avec le désir, et ne demeure que la nécessité d’être ce en quoi la foi nous a transformés : un être purement moral, un saint si l’on veut, peut-être un demi-dieu ; mais surement plus un homme, car on est alors retranché de l’humanité, peut-être élevé, et par cela libéré de notre condition humaine, charnelle, peccamineuse. Mais cette doctrine ne peut fonder une religion ; tout au plus une école philosophique.