Un maire jette l’éponge

Maire de St Brévin

J’entends ce matin à la télé Bruno Le Maire s’offusquer des agressions subies par l’édile démissionnaire de Saint-Brévin, s’en scandaliser – c’est la moindre des choses – et en appeler à plus de répression. On ne peut évidemment qu’être choqué par le sort fait à Yannick Morez et je ne chercherai aucune excuse à ceux qui ont brûlé ses voitures au risque d’incendier sa maison. Mais on aurait pu attendre du ministre autre chose que des propos de circonstance, sans profondeur, donc sans intérêts. Aucune analyse…

Cette classe politique énarquienne est décidément, soit d’une grande médiocrité, ce que j’ai peine à croire, soit experte en enfumage. Ce qui est facile, quand on est bien formé à ce jeu pervers et face à une journaliste qui vous sert la soupe.

Je le redis assez insistance à qui veut bien m’entendre radoter, notre société déliquescente est bien confrontée à des problèmes existentiels que je hiérarchise ainsi – voir mes derniers ouvrages parus : la perte progressive des libertés individuelles, la destruction systématique de notre environnement naturel, la montée irrépressible de la violence. Ma liste ne s’arrête pas là.

Dans le même temps, la même interview, notre ministre nous annonce l’utilisation plus importante de l’IA, et précisément de ChatGPT, pour répondre aux questions du contribuable. Un esprit taquin pourrait d’ailleurs lui demander s’il s’agit ici de palier à l’absence de l’Intelligence Naturelle de ses services. La journaliste ne l’a pas demandé. Mais revenons au fond de la question.

La démocratie, c’est d’abord la confusion des gouvernants et des gouvernés, ce qu’explique Rousseau – Jean-Jacques pas Sandrine – quand il dit qu’en démocratie le peuple est à la fois souverain et sujet, et qu’il y a donc « confusion » entre Prince et sujets. Mais, présidence après présidence, nous nous sommes éloignés de ce schéma – et la création de l’UE a été une étape fatale. Comme nous nous sommes éloignés de cette idée de bon sens de toujours séparer le législatif et l’exécutif – après tout, notre première constitution, celle de septembre 1791 n’était peut-être pas si mal, je vous invite à la relire. Aujourd’hui, il y a d’un côté la rue, la masse informe et mouvante des gouvernés, de l’autre les palais hiératiques et les bureaux climatisés et insonorisés des administrations où agit une prétendue élite de gouvernants. Et la rupture entre les uns et les autres est consommée. L’administré-usager du bas n’ayant plus de contacts avec l’administration planificatrice d’en haut, celle qui fait loin de lui ces lois jugées de plus en plus liberticides et de plus en plus répressives. Non seulement les uns et les autres ne se parlent plus, mais ils ne se rencontrent plus. Essayer de pousser la porte d’une administration, vous la trouverez close. Essayer de les appeler, un automate téléphonique fera barrage en vous demandant d’appuyer sur le 1, le 2 ou le 3 avec l’* à la fin, selon votre question ; ou, si vous insister pour avoir quelqu’un, vous fera patienter sur fond de musique douce avant de vous raccrocher au nez, à l’oreille. Quant à les joindre sur internet, au mieux c’est un chatbot qui vous répondra qu’il n’a pas compris votre question et vous invitera à choisir sur une courte liste des questions que vous ne vous posez pas. Et le ministre nous promet Chat GPT ; il a tout compris…

L’individu sait qu’aujourd’hui – et il ne se trompe pas – il ne peut être entendu par l’administration qu’en criant très fort, voir en brulant des pneus sur la chaussée ou en cassant du mobilier urbain. À une autre époque, ou en d’autres civilisations, il fallait s’asperger d’essence et se bruler vif sur la chaussé, ou bien faire la grève de la faim dans l’espace public. Autre temps, autres mœurs, on casse, on brûle des voitures ou des poubelles, on crée du désordre, on agresse des élus. Car, pour beaucoup, un fonctionnaire de base qui travaille à la Sécu ou à Bercy, un ministre ou un maire (celui de Saint-Brévin ou un autre), c’est pareil, des gouvernants qui décident des allocations qu’on reçoit, qui taxent tout ce qu’ils peuvent, qui décident de l’âge de la retraite, de la vitesse sur les routes, de la hauteur des murs de clôture et de la couleur des volets. Et le contribuable moyen qui, pour l’essentiel, a renoncé à voter (près de 50 % d’abstention aux élections nationales, parfois plus de 70% aux locales) ne distingue plus vraiment les Services de l’État et ceux de la Commune – qui pourtant peuvent se faire la guerre. Et cette relation entre gouvernants et gouvernés, quasi inexistante – le seul lien qui était le vote s’effiloche – se réduit à des interpellations colériques ou désespérées et à des injonctions de plus en plus violentes. Et à cette violence qui signe la faillite de notre projet démocratique, le système, par la voix de Bruno Le Maire, se propose de répondre par plus de violence, plus de lois ou des lois plus sévères. C’est une course en avant vers le mur, un processus qui ne peut qu’alimenter les tensions, et finir, un jour, par pousser les gens à la révolution – il suffirait qu’une partie de la police change de camp.

Quand un malade a la fièvre, il faut sans doute faire tomber la fièvre à coup d’antalgique ; il faut surtout diagnostiquer puis traiter la maladie.

Nota : l’image est empruntée à « Ouest France ».

Une réflexion sur « Un maire jette l’éponge »

  1. Le Goff Sébastien

    Monsieur,

    Merci pour ces mots, vos mots qui illustrent à la perfection ma pensée, trop souvent décriée et moquée car très tranchée et tranchante.

    Ravi d’avoir découvert votre blog grâce à une amie en commun…

    Répondre

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