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Blasphème

Hier après-midi, le beau temps m’a tiré de mon quotidien et je suis allé visiter une chapelle à Tréhorenteuc (l’église Sainte-Onenne, dite du Graal), près de Paimpont en Brocéliande. La campagne était belle, toute dorée d’ajoncs et de genêts, radieuse en cet avril chaud et odorant ; la petite chapelle fraiche, sereine, attirante comme un tombeau paradoxal où la vie semblerait gésir endormie sous ses dalles de pierre. Malheureusement, il y avait des touristes, et même un bus du Calvados. Les observant, eux et d’autres, je n’ai pu m’empêcher de penser à une remarque d’Orwell – c’est dans le quai de Wigan – et les mots qui suivent sont écrits dans les années trente par un socialiste « populaire » qui se plaint d’un certain socialisme bourgeois ; oui, d’une certaine forme de « bourgeoisie populaire » qui a ruiné le socialisme et m’agace aussi un peu. Il évoque avec autant d’outrance que d’humour les « buveurs de jus de fruits, nudistes, porteurs de sandales, obsédés sexuels, quakers, adeptes de la “vie saine “, pacifistes et féministes que compte l’Angleterre » et raconte son expérience d’alors comme j’aimerais vous conter la mienne de cette après-midi ; si, évidemment, j’avais son talent : « Cet été, alors que je me déplaçais dans la région de Letchworth, je vis monter dans mon autocar deux vieillards à l’air épouvantable. Ils avaient tous deux la soixantaine, tout petits, roses, grassouillets, et allaient têtes nues. L’un arborait une calvitie obscène, l’autre avait de longs cheveux gris coiffés à la Lloyd Georges. Ils portaient tous deux une chemise de couleur pistache et un short kaki moulant si étroitement leurs énormes fesses qu’on discernait chaque repli de la peau. Leur apparition dans l’autocar provoqua une sorte de malaise horrifié parmi les passagers. Mon voisin immédiat, le type même du voyageur de commerce, coula un regard vers moi et murmura : des socialistes ».

Peut-être m’excusera-t-on d’une citation un peu longue, mais je crois qu’elle en vaut la peine.

J’ai donc visité cette chapelle, bouleversé comme souvent par la magie d’un tel site, par la profondeur de la foi populaire de ses bâtisseurs en quête d’une forme d’absolu, de vérité qu’on ne peut malheureusement trouver ou, peut-être, simplement toucher du doigt, du cœur, ou de l’âme que dans l’extrême joie ou l’extrême douleur. La vérité de l’homme, celle du monde, n’est accessible que dans l’ivresse ou le plus profond des malheurs.

Sortant du lieu, je lisais cette formule peinte sur la voute, non pas « La porte est en dedans » qui est celle de l’abbé Gillard – paix à son âme –, formule qui en a fait réagir plus d’un, mais cette autre : « Enfant, souviens-toi, si ce monde est à toi, l’autre monde est à Dieu ». Ces formules m’agacent, c’est vrai : on y sent trop une forme d’intellectualisme, de rhétorique séminariste trop éloigné de cet esprit païen qui est le vrai socle, indépassable, de la foi populaire, celle des petits enfants que Jésus, à juste titre, appelait près de lui. Et on ne devrait pas peindre sur les murs de telles bêtises à l’attention des enfants. Non, ce monde n’est pas le leur, c’est celui de Macron, de Poutine et de leurs collègues ; un peu aussi celui d’Elon Musk et de Carlos Tavares. Quant à l’autre monde, savoir qu’il appartient à Dieu, s’il existe, c’est un peu dur. La liberté alors ! un monde à nous, pour nous, c’est pour quand ?

C’est fait

Ainsi donc c’est fait, il est réélu pour cinq ans ; et ce n’est pas une surprise, tout cela était annoncé depuis de nombreux mois. Mais je voudrais réagir à un sondage qui montre qu’une large majorité de Français souhaiterait un gouvernement de cohabitation – je lis en effet que selon un sondage Opinionway pour Cnews et Europe 1, « 63 % des personnes interrogées souhaitent qu’Emmanuel Macron ne dispose pas d’une majorité et soit contraint à une cohabitation, contre 35 % qui veulent qu’il dispose d’une majorité ». Évidemment ce sondage ne fera pas l’élection de juin.

Mais on voit donc, comme j’ai déjà pu le chroniquer, que l’élection présidentielle répond en partie à une logique de casting dans un monde fortement médiatisé. Un certain nombre de nos compatriotes – ils ne sont pas les seuls – voient le monde par les médias télévisés, comme un film. Et c’est encore plus vrai dans une séquence comme celle de la guerre en Ukraine. Et l’idée que l’on se fait d’un Président est influencée, à la fois par notre histoire monarchique et à la fois par nos références cinématographiques et notamment hollywoodiennes. Macron a donc été élu, car, pour une proportion sensible des votants, il était celui qui collait le mieux au rôle. Mais ceux-là mêmes qui l’ont poussé sur le devant de la scène, n’adhèrent pas nécessairement à sa politique et préfèreraient qu’il ne gouverne pas. 

Pour analyser une situation de cet ordre, dans une médiacratie, une société du spectacle, sans doute faut-il chercher aussi, aux situations des ressorts non politiques.   

S’abstenir

Il y aura donc un second tour cette fin de semaine. Je n’y participerai pas. J’ai en effet plusieurs raisons de m’abstenir, quitte à consacrer cette journée politique à défendre la démocratie, à faire de la politique, autrement.

La première raison est que voter, en l’occurrence, ne sert à rien : les jeux sont faits, les médias nous en ont rebattu les oreilles jusqu’à nous en convaincre ; et les résultats du premier tout montrent que, pour l’essentiel, ils ne se trompent pas.

Et puis (seconde raison), cette façon honteuse dont les médias, entre les deux tours, ont appelé à voter pour Emmanuel Macron … Trop, c’est trop !

Et puis encore, M. Mélenchon l’a dit assez justement, c’est bien le troisième tour qui compte ;

Mais surtout, et qui me lit le sait, je défends, comme ultime arme politique, comme ultime réponse démocratique face à ce que Michel Onfray nomme le parti unique, cette désobéissance civile que je pratique comme désobéissance citoyenne.

On peut aimer son travail, son usine, s’être battu pour obtenir cet emploi auquel on tient et néanmoins faire grève, ou ne pas vouloir se compter parmi les jaunes. Certains devoirs parfois s’imposent, une exigence de responsabilité ne plus nous laisser d’autres choix.

Zemmour ne peut gagner !

Nous serions, paraît-il, en période d’élection présidentielle ; un moment précieux et institutionnalisé pour débattre. Mais chacun, considérant cette élection déjà « pliée », préfère s’investir ailleurs. Tans pis pour les candidats condamnés à faire banquette pendant que le roi s’agite. Il serait nu si les médias ne lui taillaient pas quotidiennement le costume repassé de la fonction. Et si je pensais plus précisément à Éric Zemmour, c’est en retrouvant au plus haut de ma bibliothèque – on sait que les plus hautes étagères sont les moins visitées – un recueil de « Chants Populaires pour les Écoles », une édition de 1899 et qui porte à l’encre violette le sceau carré de « l’École annexe de l’École Normale d’Instituteurs de La Roche-sur-Yon ». Par quel hasard ?

J’ouvre, parcours et, à défaut de chantonner les partitions, lis la poésie de Maurice Bouchor – un Bouchor dont Wikipedia me confirme l’existence posthume. J’imagine donc que les vers qui suivent furent bien écrits il y a un peu plus d’un siècle pour être enseignés aux maîtres d’école afin qu’ils les fassent chanter par les gamins de la communale. Éric Zemmour en rêverait peut-être. Ce qui suit doit donc être lu à haute voix, si possible sur un air « provençal » – on peut s’isoler pour cela :

Gardons bien la mémoire

Des Celtes nos aïeux,

Qui dans les jours de gloire

Savaient mourir joyeux.

Ils ont fait trembler la terre

En poussant leur cri de guerre

Gloire aux vaillants du temps jadis.

Frères, soyons leurs dignes fils !

On peut alors reprendre sa respiration pour le couplet suivant – il y en a trois, mais je vous fais grâce du second – qui n’est pourtant pas des moindres.

Pour Jeanne la Lorraine

Ayons un cœur pieux ;

Bayard, Crillon, Turenne,

Soyez devant nos yeux !

Que la grande République

Nous inspire une âme antique !

Gloire aux vaillants du temps jadis !

Frères, soyons leurs dignes fils !

Que d’eaux sont passées sous les ponts de la République depuis lors ! On n’oserait plus dans nos écoles… Et pourtant, qu’y a-t-il de si choquant dans les six ou huit derniers vers ? Peut-être le refrain faisant peu de places aux sœurs et aux filles de Jeanne, la pieuse Lorraine. Mais tout cela est révolu et c’est moins, sous ma plume, jugement de valeur que simple constat. À l’époque où Bouchor versifiat, nos valeurs restaient « Travail, Famille, Patrie ». Les jeunes n’adhèrent plus à cela. Ils ont, selon la formule de Debray, cessé d’être des Gallo-Romains pour devenir des Gallo-Ricains et sont devenus sensibles au wokisme d’outre-Atlantique qui veut détruire la famille « traditionnelle ». Pour ce qu’il en est du travail, un sondage récent montre qu’à la question « le travail est-il important dans votre vie ? », les Français répondaient il y a 20 ans par l’affirmative à 70 % ; aujourd’hui ils ne sont plus que 19% à répondre de même. Quant au patriotisme, il faut être Ukrainien pour savoir encore ce que cela veut dire.

Tout ça pour dire que les électeurs d’Éric Zemmour sont probablement en voie de disparition ; les jeunes, formatés par le Marché et la Bureaucratie, sont d’une autre « race », comme on disait jadis.  

Le racialisme de Lilian Thuram

Prolongeons les deux précédentes chroniques. Essuyant ce matin d’un regard léger les étals de l’espace-livre de mon supermarché, je tombe sur l’ouvrage de Lilian Thuram « La pensée blanche » https://livre.fnac.com/a13662289/Lilian-Thuram-La-pensee-blanche un livre que je ne souhaite pas commenter, car je ne l’ai pas lu, privilégiant d’autres urgences. Mais ce titre me fait néanmoins réagir : il n’y a pas pensée blanche.

Par contre, il existe bien une pensée occidentale (une idéologie) dont on peut penser qu’elle pose problème, étant factrice épistémologique de dominations. Mais parler de pensée blanche, c’est comme, s’agissant du confucianisme, de parler de pensée jaune. Et si l’on devait qualifier cette « pensée blanche » plus justement, il faudrait évoquer une pensée judéo-chrétienne ; ou, pourquoi pas, humaniste, et en pointer alors d’un doigt accusateur le spécisme, l’universalisme, le machisme, un rationalisme étroit, une propension au racisme et à l’antisémitisme (qu’il s’agisse ici des enfants d’Ismaël ou de Jacob). Car dénoncer le machisme et le racisme fait sens, comme pour l’universalisme dont Huntington disait que « L’universalisme est l’idéologie utilisée par l’Occident dans ses confrontations avec les cultures non occidentales ».  Mais réduire cette pensée occidentale à une pensée blanche, c’est réduire un sujet de fond, à ce qui n’est pas son essence, à savoir la « blanchitude ». C’est donc compromettre l’analyse, condamner tout d’un bloc, non pas la pensée occidentale, mais les blancs parce qu’ils sont nés blancs. C’est déplacer le problème là où on ne pourra pas le régler autrement qu’en combattant pour les éliminer tous les blancs – quitte à laisser le dieu de Lilian Thuram reconnaître les siens. C’est aussi réduire les pensées de Sébastien Castillon, de René Descartes, de Baruch Spinoza, de Montesquieu, d’Anatole France ou d’Élysée Reclus, à des pensées d’hommes blancs.  C’est donc essentialiser la race, ce qu’il est convenu d’appeler du racialisme ; et qui n’est qu’un racisme à l’envers, mais qu’il soit à l’envers ou à l’endroit…