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Libre de caractère

Le problème de l’idéologie, c’est moins de réduire la réalité à l’idée qu’on s’en fait, à ses désirs, que de construire des châteaux sur du sable, c’est-à-dire de développer des théories, justifier des doctrines, puis des projets sur des analyses fausses ou tronquées. Et quand ces constructions intellectuelles, une fois la toiture posée, montrent leur incohérence, il reste encore à affirmer comme Tertullien : « j’y crois parce que c’est absurde ». Et en politique, comme en religion, c’est un peu la même chose : un défaut d’humilité, une foi déraisonnable dans des constructions purement idéelles, pour ne pas dire idéales. Et c’est sans doute pourquoi je suis un militant de l’irréligion, non encarté, et pourquoi je défends une forme de laïcité et de démocratie, car je suis « un homme de peu de foi » ; en fait, assez fondamentalement, et pour des raisons congénitales, un incroyant. Et si j’osais tenir des propos qui dépassent ma pensée, j’affirmerais douter de Dieu et de l’homme.

Et si je ne doutais pas des hommes, je conviendrais que les lois sont inutiles et qu’on peut se passer d’État. Oui, si les hommes étaient tous vertueux, on le pourrait avantageusement. Mais, il faut s’appeler Rousseau ou Marx pour croire qu’ils le sont, l’ont été, ou peuvent le redevenir. Ou s’appeler Paul de tarse pour croire au Royaume. Là encore, ne voulant céder à aucune prétérition, je ne blasphémerai pas au point de dire qu’il faut être Dieu pour croire que son fils, aussi balaise soit-il, aurait pû racheter les hommes. Non, l’humanité est trop crasse et la beauté, l’intelligence qu’on y trouve – il y en a –, sont d’autant plus remarquables qu’elles détonnent.

En politique, il faut donc une certaine humilité, disons une forme de modestie et beaucoup de pragmatisme. L’État est un mal nécessaire – mais son enflure est une catastrophe –, et l’aristocratie est le meilleur des systèmes de gouvernement. Oui, en théorie du moins, car choisir les meilleurs d’entre nous pour gouverner, c’est mettre l’excellence au pouvoir et se donner des modèles de vertu.

Et c’est bien comme cela que les choses se sont construites. À une époque où les valeurs étaient guerrières, viriles, c’était les plus forts qui accédaient au pouvoir. C’est ainsi que les guerriers francs ont conquis la Gaule pour en constituer l’aristocratie. Installés, ils ont nommé roi le plus couillu d’entre eux. Mais leurs descendants n’ont pas forcément hérité de leur valeur, n’ont pas tous été des mâles dominants. Ils ont quand même gardé les privilèges attachés à leur nom.

Ce système idéal, idéologique, n’est évidemment plus possible. Tout d’abord, les meilleurs ne peuvent être reconnus comme tels qu’au regard des valeurs. Et si la virilité est aujourd’hui une contrevaleur, on serait bien en peine de dire qu’elles sont nos vraies valeurs. Et puis, comment pourrait-on recruter ces meilleurs ? On ne dispose d’aucune méthode, l’excellence pouvant naître partout, se développer suivant plusieurs chemins, prendre de nombreuses formes. Nous n’avons qu’une certitude, c’est que l’école, comme institution étatique, ne joue pas ce rôle, et ne peut le jouer. Nous savons aussi que l’ordre naturel des choses ne permet aux meilleurs de se faire connaître qu’en temps de crise majeure. Quant à notre système politique, s’il était capable de porter les meilleurs au pouvoir, cela se saurait. On a plutôt l’impression que le système a été spécialement construit pour écarter ces personnes au profit des plus médiocres, et des plus malins.

Reste donc la démocratie, le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres. Mais que vaut la démocratie sans démopédie ? Que vaut-elle si tout le Système vise à réduire les citoyens à des consommateurs de droit ? La classe politique est trop nombreuse, encombrante, mais nous manquons de citoyens, de gens capables de comprendre qu’on prend la mesure d’une démocratie, non pas à l’aune des droits qu’elle offre, mais des devoirs qu’elle impose. Mais peut-être aussi, à ce qu’elle est, dans une nation, à proportion inverse de sa bureaucratisation.

La question des retraites

Faute de connaître, au fond, les termes de ce débat sur les retraites, j’en reste à regretter que ce ne soit pas l’occasion de se questionner sur le travail, sa valeur, sa très forte centralité dans le système social occidental. De ce point de vue, on peut d’ailleurs relire l’excellent essai de Dominique Méda sur le travail (peut-être un peu daté). Mais sans doute faudrait-il alors, comme chaque fois que l’on prétend philosopher, passer par la case « épistémologie » pour interroger le sens de ces concepts. Au moins pour distinguer l’activité, le travail, l’emploi.

Parce que nous sommes des homo habilis, le travail est notre essence – je pense qu’Hannah Arendt ne disait pas autre chose dans « Condition de l’homme moderne », quand elle parlait de « vita activa ». Il consiste à produire des richesses ; non pas à se créer des revenus, ça, c’est le rôle de l’emploi, comme c’est celui de la rente ou des allocations. Le travail permet donc de produire des œuvres, et l’image symbolique de la femme qui accouche et dont le « travail » se fait dans la douleur et la joie, est très forte. Quelle plus belle œuvre qu’un enfant ? un livre, dit-on !

Le travail est l’essence de l’homme et sa survie en a longtemps dépendu. Il lui a permis d’améliorer son quotidien et son futur en aménagent et humanisant un environnement qui n’était pas fait pour lui – quoi qu’en pensent les chrétiens ; mais surtout parce que travailler est l’une des réponses à son désir – de jouir, et pas seulement du confort – et de sa peur des aléas de sa vie : s’aménager un refuge, semer un espace déboisé, puis récolter et conserver du grain, dans l’espoir de ne pas mourir de faim…

L’humain a donc toujours travaillé et son premier travail a été de cueillette et de chasse, et, très vite, la fabrication d’outils et d’armes pour améliorer sa productivité. Et le progrès est né du déploiement dans le temps d’une force et d’une habileté collective pour produire en abondance des biens que l’on pouvait dès lors échanger. Il travaille encore, quotidiennement, qu’il soit employé ou pas, considéré comme actif ou chômeur, rentier ou retraité. Et l’un de mes plaisirs, car travailler peut être plaisant, est de m’occuper de mon jardin. Mais il y a aussi cette association de quartier qui me donne tant de travail, mais comment s’en plaindre quand on l’a choisi ?

Le travail est de nature anthropologique ; l’emploi est une invention sociale qui a progressivement remplacé l’esclavage, humanisé l’esclavage, sans en changer vraiment la nature. Car l’emploi, c’est autre chose, une activité qui est aussi une forme de travail, mais pas toujours, car il s’agit moins de créer de la richesse que de générer des revenus pour celui qui vend son temps, sa force, ses talents, son expertise, et pour celui qui en tire de la plus-value. Mais il y a aussi des emplois qui sont sans véritable travail, sans aucune création de richesse, mais qui permettent d’obtenir ce que l’emploi offre dans nos sociétés : un revenu, un statut, un travail parfois réduit à une occupation. Et c’est pour cela que l’emploi est à ce point central dans nos sociétés matricées par le Marché, le capitalisme si l’on veut ; en fait, aujourd’hui, l’attelage funeste du Marché et de la Bureaucratie. Le Marché a eu longtemps besoin de producteurs (mal payés) et de consommateurs (mal servis), pour faire de l’argent : faire consommer aux gens ce qu’ils ont produit en confisquant l’essentiel de la plus-value pour rémunérer le capital, mais aussi l’organisation de la production et de la vente. Le Marché a donc eu besoin de nombreux salariés, ces prolétaires assez bien payés pour survivre, mais pas plus – ce qu’Adam Smith avait bien compris. Voir ce qu’il écrit dans « Recherche sur la Nature et les Causes de la Richesse des nations » : « Il faut toujours qu’un homme vive de son travail, et son salaire doit être au moins suffisant pour lui permettre de subsister. Il doit même, dans la plupart des cas, être un peu plus que suffisant ; autrement le travailleur ne pourrait élever une famille, et la race de ces ouvriers ne pourrait pas se maintenir au-delà de la première génération ».  Mais il faut aussi qu’il soit assez riche pour consommer ce qu’il produit. Ce que Ford avait aussi compris. Aujourd’hui, c’est un peu différent, la machine ayant remplacé l’ouvrier et l’IA prenant progressivement la place des employés et des cadres, le Marché n’a plus besoin que de consommateurs solvables, d’autant plus qu’il s’est orienté sur une consommation de masse. Reste donc au Marché et à l’État à soutenir absolument la consommation – quitte à réduire, en la trahissant, la politique à l’économie –, donc à préserver des sociétés d’individus dociles, à qui l’on doit assurer des revenus pour consommer et garantir la rentabilité du capital, et proposer des emplois pour préserver la paix sociale et éviter que les consommateurs deviennent des citoyens en s’engageant en politique – ce que l’État ne souhaite absolument pas, et qu’il réussit assez bien : voir les taux d’abstention aux élections. Il faut aussi leur assurer des statuts hiérarchisés permettant de ne pas désespérer les gens, et de leur faire croire que, grâce à leur travail, ils pourront changer de classe. Et pour ne pas totalement les frustrer et les porter à la violence, il faut que ces emplois, même exempts de création de richesse, aient un sens, quitte à boursoufler un discours de propagande, jouer une partition fausse sur de prétendues valeurs, pour donner du sens à ce qui n’en pas. Et même si ces emplois sont totalement improductifs, sclérosent la société, détruisent les libertés individuelles et nous font tourner le dos à ce qu’il conviendrait de nommer « progrès ». Il faut aussi, évidemment, que ces emplois offrent un statut qui permet à certains de capter des revenus sans réelles relations avec leur contribution au bien commun ou au progrès – une prétendue expertise acquise dans une institution d’élite, ayant plus de valeur que le travail fourni ou la richesse crée.

On aurait donc pu imaginer que la question des revenus des retraités soit réglée autrement, par une garantie de revenus permettant, non pas aux uns de travailler et aux autres non, mais aux uns d’avoir un emploi leur permettant de gagner plus, et aux autres de ne pas en avoir, mais de travailler selon leur goût : cultiver son jardin, écrire des livres, créer des œuvres d’art, s’occuper d’une association, créer une entreprise, faire de la politique. Et pour d’autres encore, avoir des activités qui ne soient pas vraiment du travail : jouir de la vie, s’occuper de soi, de ses parents, de ses amis, de sa communauté, prendre le temps de la contemplation ou de la réflexion.

Terminons par des banalités dans un esprit marxien : le travail libère, car il nous permet d’exister dans nos œuvres et de nous faire reconnaître par elles, et souvent de jouir de notre travail. Tout emploi, nous ramenant au statut d’employé – nous transformant en moyen pour des fins qui nous échappent –, est liberticide. Personnellement, j’ai travaillé toute ma vie et le ferai tant que j’en aurais la force. J’aurais rêvé pouvoir vivre dignement, sans jamais occuper le moindre emploi. Ma modeste extraction ne me l’a pas permis.

Encore un matin

Tout est lié, et je ne sais si le dire relève du simple truisme ou d’une découverte politique. Mais la question du souverainisme, si clivante, c’est aussi celle, plus sociale, voire psychologique, de l’individualisme (versus conformisme), car la nation est aussi à l’image des individus qui la composent. Et c’est encore, celle, douloureuse, de la démocratie, c’est-à-dire la question de la liberté des citoyens à décider par eux-mêmes de ce qui les concerne et de faire tout ce qui ne nuit pas à la liberté des autres ou à la paix civile. Car comment pourrait-on exiger que notre nation soit souveraine, si chacun d’entre nous, à son niveau singulier, n’est pas capable de se déterminer par lui-même et n’est pas autorisé à mettre sa vie en accord avec ses convictions intimes ?

Personnellement, je nous vois, en occident, et particulièrement en France, confrontés à un certain nombre de problèmes majeurs, létaux, que je hiérarchise ainsi :

–          La perte progressive des libertés individuelles ;

–          La dégradation de l’environnement ;

–          La montée de la violence ;

–          La subordination de l’homme à la machine ;

–          La dématérialisation des relations ;

–          La fin de la puissance d’agir individuelle.

 Et tout est lié, car cette liste qui révèle sans doute et ma sensibilité personnelle et mes préoccupations les plus fortes, aurait pu prendre une tout autre forme et être résumée par un constat plus trivial : nous allons dans le mur, menés par une élite avant-gardiste et « progressiste » de leaders du monde politico-entrepreneurial, encadrés comme ces veaux qui vont à l’abattoir, « comme en quarante ! », par une bureaucratie supra nationale ; et tout cela nous est présenté comme allant dans le sens de la fin de l’histoire, inéluctable, voire nécessaire. L’homme serait donc prisonnier d’une fatalité, condamné à payer une faute ? Laquelle ? Mais si vous êtes un homme blanc occidental, la faute est évidente, et si vous essayez de défendre votre culture en appelant au secours Rabelais, Voltaire ou Le Clézio, Delacroix ou Bocuse, alors ce sont autant de « preuves » de votre arrogance de petit blanc occidental, macho et franchouillard.

 Le fond du problème est donc aussi celui de la décadence de notre civilisation ; et faut-il rappeler que la décadence c’est l’indifférence aux valeurs fondatrices de sa société, de sa civilisation et, de ce point de vue, la prolixité de la communication politico-médiatique cache toujours, chez ces communicants de profession, l’indigence des idées que ces valeurs leur inspirent. En fait, on a vraiment l’impression de se retrouver au point où en était l’Empire romain aux premiers siècles de notre ère : décadence civilisationnelle, un empire menacé de l’extérieur et dont le limes était constamment fracturé par des hordes de « barbares » poussés à migrer vers l’Empire pour faire face à des guerres, des aléas climatiques – oui, déjà –, une raréfaction des ressources, le goût de la conquête, et, enfin, un empire travaillé de l’intérieur par des sectes préchrétiennes. Aujourd’hui, s’il faut achever cette comparaison sur ces trois points, il faut pointer une secte religieuse postchrétienne, qui nous arrive des États-Unis et qui doit nous inquiéter, car on en parle déjà comme d’une religion (le livre de Jean-François Braunstein).

Sommes-nous condamnés ? et devons-nous nous laisse faire, mourir en silence, en murmurant gentiment des excuses ? Sans sursaut national, oui ! Et c’est là où nous devons revenir à une vision gaullienne de l’histoire, revendiquer un patriotisme non xénophobe – celui des combattants ukrainiens –, un nationalisme pacifiste, un individualisme solidaire et ouvert à l’autre, une non-violence radicale, une envie d’Europe, mais d’une autre ; et, sans attendre les autres, reconstruire la France en retrouvant l’esprit qui anima le Général de Gaulle pour refonder la France de l’après-guerre, mais sur un autre modèle. Oui, en quarante, tout semblait foutu, et sans les Britanniques… De même que chacun ne peut attendre de l’État la résolution de ses problèmes, la France ne peut ni attendre de l’Europe des solutions ni se permettre d’attendre qu’une crise passe et qu’une autre arrive.

J’ai essayé, dans cette courte contribution de prendre le problème par tous les bouts. C’est, quelle que soit la façon dont on en parle, non pas un problème économique qui attendrait sa réponse économique inspirée par les experts de la Commission européenne, ce que certains veulent nous faire croire (Messieurs Macron ou Le Maire), mais un problème politique appelant une réponse politique, nationale, populaire. Et de ce point de vue, l’offre politicienne est aujourd’hui nulle, et croire qu’en fermant les frontières on va tout régler, ou que les immigrés sont le problème, alors qu’ils ne font que participer à un problème plus vaste, est une illusion. Voter Macron, le mondialiste hors sol, est suicidaire ; Mélenchon, le Robespierre des temps nouveaux, extrêmement dangereux pour nos libertés – après 89 vient 93 ; quant aux vieux partis, on sourirait presque : ah ! vous êtes encore là ? Mais, je suis désolé, Zemmour, qui ne dit rien de la démocratie, rien de la révolution 4.0 (celle si chère à Schwab et à ses collègues de Davos), rien des tares congénitales de notre modernité (bureaucratisme, juridisme, économisme, mécanisme), n’est pas plus convaincant, même si je ne doute pas de son honnêteté. On ne peut réduire un projet politique à une fermeture des frontières, même si elle s’impose absolument pour des raisons de survie.  

Mais c’est aux gens de choisir, et ne pas choisir, c’est trancher par défaut, mais mollement, trancher dans le mou, dans le gras du ventre mou d’une société qui reste bourgeoise et repue. Soit on accepte d’être gouverné par ce que je nomme l’attelage fatal du Marché et de la Bureaucratie étatique et supra étatique (M. Thierry Breton, si l’on doit chercher un symbole). Si oui, il faut alors accepter de ne plus être un citoyen porteur de valeurs et acceptant ses devoirs, parfois ingrats, et d’être réduit au statut de consommateurs (de produits et de droits). Soit on souhaite que le peuple (Mme Michu comme Mme Bettencourt Meyers) soit « gouverné par le peuple, pour le peuple », et on doit exigerdeux refondations : celle de la démocratie et celle de l’EU.

Sur la refondation de la démocratie : Ce court billet d’humeur ne permet pas d’exposer des solutions pourtant simples et radicales, non pas pour « régler le problème », mais pour, déjà, faire un pas important dans ce sens. Les solutions existent, faciles à mettre en œuvre si la volonté est là. Mais comment pourrions-nous changer de paradigme, si l’essentiel des décisions est pris à Bruxelles par des fonctionnaires sans légitimité démocratique ?

Sur la question de l’UE : Puis-je ici me revendiquer européen convaincu et, dans le même temps, très eurosceptique. À l’évidence, le projet européen maastrichtien n’est pas le bon et ne correspond pas à ce que de Gaulle ou Seguin souhaitaient – ne parlons pas des Français. Il nous faut imaginer une confédération européenne dans laquelle les nations seront souveraines, l’imposer ou rien…

En effet, c’est la question démocratique qui se joue à ce niveau. Le plus illustre des citoyens de Genève, qui expliquait au XVIIe siècle que « plus l’État s’agrandit, plus la liberté diminue », le disait bien dans « Du contrat social » : « La Monarchie ne convient donc qu’aux nations opulentes, l’Aristocratie aux États médiocres en richesse ainsi qu’en grandeur, la Démocratie aux États petits et pauvres ». Et c’est une évidence, un état de grande taille, comme l’UE, ne peut être géré démocratiquement.  Et la France qui était un grand pays jusqu’au XVIIIe siècle, est devenu un petit pays dans un cadre mondialisé où tout lui échappe. Ainsi faire l’UE (fausse bonne idée) c’est donc condamner en France la démocratie. Car la nation, c’est aujourd’hui, plus qu’hier, compte tenu d’Internet, la bonne taille pour une démocratie réelle, participative. Et on peut donc écrire, sans chercher la polémique, que F. Mitterrand ou F. Hollande par exemple, mais pareillement J. Chirac ou N. Sarkozy sont ou ont été des aristocrates, fossoyeurs de la démocratie.

Mais quand on tient ce type de propos, trop de gens répondent qu’on n’y peut rien qu’on a, de toute façon, signé des traités et qu’il n’est plus possible de sortir de l’UE. Évidemment, le Brexit a rendu ces gens moins à l’aise avec ce dernier argument. Ce qu’on peut rajouter, c’est que des traités internationaux ont toujours été signés depuis la nuit des temps, mais toujours aussi, renégociés ou violés ou abandonnés. D’ailleurs, l’essentiel des traités en vigueur n’est pas respecté et j’aurais envie de dire, à la Clausewitz, que si la guerre, c’est la continuation de la politique par d’autres moyens, la diplomatie, c’est l’art de renégocier ou de violer les traités. Et puis voyons les choses simplement : Plus encore depuis la sortie de la Grande-Bretagne – et , étant un breton continental, je me demande parfois si la petite bretagne ne devrait pas demander son rattachement à la Grande (Joke !) –, l’UE, c’est la France et l’Allemagne ; et, sans la France, l’Europe deviendrait un Quatrième Reich dans lequel, l’Espagne et le Portugal, par exemple, ne pourraient rester – j’utilise le terme de Reich sans outrance, en pensant moins au troisième qu’au second qui ne devait rien aux nazis ; « Reich », c’est-à-dire « Empire ». L’Allemagne qui se réarme le veut-elle ? La France dispose donc d’une sorte de « bombe atomique » en menaçant de sortir de l’EU et chacun sait que, si une telle bombe n’est pas destinée à servir, elle n’a d’efficacité qu’en temps de paix et tant que nos adversaires et nos partenaires ont la conviction qu’on est prêt à l’utiliser.

Il suffirait donc de « peu de chose » pour retrouver notre souveraineté : agir par le bas, en refondant notre démocratie, et par le haut, en exigeant une refondation de l’EU qui passerait par la suppression du Parlement européen – oui, aller jusque là –, la réaffirmation que notre justice nationale prévaut sur la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) – oui, aller jusque là –, et exiger une réduction très importante du budget de la Commission européenne – oui, oui, jusque-là… Je disais « peu de choses », je voulais dire « volonté ». Et en attendant, il « suffirait » de bloquer énergiquement l’UE, dans toutes ses décisions pour provoquer une crise nécessaire, salutaire, par un jusqu’au-boutisme assumé. Après la politique de la chaise vide, celle du pied dans la porte. À voir si l’EU pratiquera alors, à notre égard, celle du pied dans le c..

Etiologie d’une décadence

Si la question migratoire qui focalise tant l’extrême droite pourrait se regarder tout autrement dans un tout autre contexte, elle devient aujourd’hui non pas critique, mais létale. Car l’Occident est effectivement confronté à des attaques extrêmement violentes dans un contexte de décadence – je renvoie à mon essai « Etiologie d’une décadence. Et il est sidérant de comparer notre situation à celle de l‘Empire romain des premiers siècles de notre ère : une civilisation décadence, incapable, faute de volonté, de se défendre, par ailleurs confrontée à des hordes de barbares (barbares, au sens antique du terme, c’est-à-dire extérieur à la civilisation romaine) qui pénètrent l’Empire et le pillent après avoir fracturé son « limes » ; et dans le même temps détruite de l’intérieur par une secte religieuse qui l’infecte et finira par avoir le dessus – pour reprendre la formule du Lucien Jerphagnon, « l’agneau aura mangé la louve »[1]. Et cette secte n’est pas, comme à l’époque que j’évoque, préchrétienne ; elle est, en ce début du siècle, postchrétienne, une nouvelle secte d’éveillés qui est en train de devenir une religion à part entière et qui, comme toutes, est totalitaire, haineuse des libertés individuelles, prête à remettre en cause les faits et les sciences qui en rendent compte chaque fois qu’ils diffèrent de leurs présupposés, de leurs croyances, de leurs désirs. J’ignore si nous nous en sortirons, mais cela parait peu probable, car pour cela, il faudrait déjà que face à ces éveillés wokes, les populations occidentales se réveillent aussi, retrouvent du courage, et rompent avec une classe politique qui les trahit tous les jours. Rien de cela ne parait envisageable. Je remarquais qu’aux dernières élections municipales, dans ma ville, près de 70 % des électeurs ne s’étaient pas déplacés. Pour différentes raisons, et pour l’essentiel, ils s’en foutent et ne constituent qu’un ventre mou, un troupeau de moutons castrés et gras. Soljenitsyne déclarait à Harvard en 1978 que « le déclin du courage est peut-être ce qui frappe le plus un regard étranger dans l’Occident d’aujourd’hui ». Son compatriote Vladimir Boukovski ne disait pas autre chose dans son livre « Jugement à Moscou ». On voit, n’en déplaise à Sardine Ruisseau que nous aurions besoin pour nous en sortir d’une politique « couillue » – je prends ce terme dans mon Petit Robert (aucun rapport avec un petit ou un gros lolo) –, menée par des hommes et des femmes également couillus et déterminés.


[1]. Je fais référence au magnifique roman de Lucien Jerphagnon, « La louve et l’agneau ».

Entredeux métaphysique

De même que je refuse de me laisser enfermer dans ce choix auquel parfois on m’invite, de me déclarer croyant ou athée, ou encore de confesser une philosophie spiritualiste ou matérialiste, je refuse au nom de mon individualisme forcené d’opposer le « je » et le « nous ». Je reprends ! quitte à céder à une certaine redite…

Déclarer, comme à la douane, croire en Dieu, à l’existence de divinités, d’un empyrée d’où des dieux fantasques nous regarderaient comme le Micromégas de Voltaire – cet exilé de Sirius – et son ami de Saturne, ou au contraire prétendre que les dieux n’existent pas, c’est toujours, à défaut d’en savoir quelque chose, croire. Je n’y souscris pas et, faute d’intuition claire, ne crois donc à rien, en cette matière du moins, et sans être le moins du monde agnostique.  

Quant à trancher entre matérialisme et spiritualisme, j’en reste là encore à la position de Voltaire sur la matière, telle qu’il l’évoque, toujours dans Micromégas : « Eh bien ! dit le Sirien, cette chose qui te parait être divisible, pesante et grise, me dirais-tu bien ce que c’est ? Tu vois quelques attributs ; mais le fond de la chose, le connais-tu ? – Non, dit l’autre. – Tu ne sais donc point ce que c’est que la matière ». J’en suis là, précisément, à ce point d’ignorance. La science nous le dit, à trop diviser les atomes, comme un oignon qu’on épluche, on finit par ne plus trouver que du vide, et de l’énergie. Et les êtres vivants ne seraient-ils pas que des arrangements de matière organique qui pensent, et l’esprit le produit d’une matière vivante ? Nul n’a encore apporté la preuve que l’esprit survit à la mort du corps ; mais qui pourrait affirmer le contraire ? Et si la matière est une réalité sensible, une pensée est tout aussi réelle, mais sous une autre forme et dès qu’elle est exprimée, elle a sa vie propre.

Enfin, je n’opposerai pas l’homme social et l’homme individuel. Mais je prétends que chacun d’entre nous est unique et se distingue des autres, même à l’intérieur de groupes sociaux apparemment très homogènes. Il n’y a donc pas d’homme universel, même si les humains partagent tous des caractères communs. Sinon l’anthropologie serait une science sans sujet. Et quand Joseph de Maistre écrit dans ses considérations sur la France : « Il n’y a pas d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; Je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être persan : mais quant à l’homme ; je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie », on peut lui rétorquer qu’il ne l’a simplement pas reconnu dans le Français, l’Anglais ou le Russe. Mais aucun homme n’est réductible à sa nationalité, à la religion de ses parents, ou encore à son sexe, sa couleur de peau, son statut social. Et si ses déterminismes naturels sont indépassables (sa nature, son sexe, sa race, ses principaux caractères morphologiques), il est libre de dépasser ou de s’affranchir des autres dons de sa naissance, de changer de nationalité ou de religion, d’appréhender une nouvelle culture, de s’extraire de son milieu social d’origine. Mais dans le même temps, il ne peut vivre qu’en société, engagé dans des liens choisis, parfois subis, qui le rattachent à d’autres, et, de mon point de vue, enraciné sur un territoire auprès de voisins. Mais sans abdiquer son individualité. Et personnellement, si j’admets l’évidence, à savoir que je suis un homme occidental blanc hétérosexuel, dire cela ne dit rien de ce que suis et montre à quel point on ignore ou on ne souhaite pas s’attarder à ce que je suis vraiment, comme être unique constitué pour un destin singulier et porteur d’une identité multiple, complexe et relativement fluide.