Archives mensuelles : mai 2021

La dance du balancier

Camus écrivait (Carnets III, 1951-1959) que « la démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité ». Était-il « woke » avant l’heure (éveillé – wake si l’on s’en tient à l’origine anglo-saxonne du terme) ? J’entends que l’on commence à s’interroger sur ce mouvement Woke qui nous vient des milieux d’avant-garde politique états-uniens et qui précède, mais accompagne et prolonge aussi le mouvement Black Lives Matter.

Essayant de m’informer sur ce qu’il est convenu d’appeler l’idéologie « woke », j’ai un peu de mal à en appréhender les limites. Car si le « mouvement » consiste à défendre les minorités opprimées, en premiers lieux les noirs en proie au racisme, les femmes inférieurement traitées et les minorités sexuelles, il me semble aussi voir émerger une « idéologie » qui viserait à défendre, mais plus encore à sacraliser et promouvoir les minorités, du seul fait de leur nature minoritaire ; et il me semble que c’est précisément à ce point que cela devient discutable.

Ce n’est pas qu’il ne me parait pas essentiel – c’était l’idée de Camus – de protéger les minorités malmenées par la majorité, ou une certaine marginalité écrasée par une norme liberticide – cela, en accord avec le principe de liberté. Quant à l’égalité, elle impose que les personnes minoritaires soient égales devant la loi aux tenants de la majorité, cette majorité ne pouvant opprimer la minorité. Mais il y a un écart considérable entre un « mouvement » de protection (des noirs dans un pays blanc, des musulmans dans un pays catholique, des femmes, partout où les hommes font la loi, donc partout, des homosexuels en Russie ou dans les États du Golfe) ; et une « idéologie » qui promeut les choix minoritaires, avec comme seule justification qu’elles soient minoritaires. Car, comme Balavoine chantait « qu’il ne suffit pas d’être pauvre pour être honnête », il ne suffit pas d’être minoritaire pour avoir raison, ou pour être en droit d’imposer sa vision du monde à une communauté nationale. Je n’ai jamais pensé qu’une majorité, du fait de son nombre, eusse forcément raison, ni même tort, ce qui constitue d’ailleurs toute la limite de la démocratie telle que nous l’entendons. Certaines minorités ont souvent raison contre la majorité, mais pas systématiquement ; et si ces minorités veulent vivre différemment, sans troubler l’ordre public qui est nécessairement celui de la majorité, alors elles doivent en avoir le droit, mais sans s’imposer. Et je remarquerai que s’il n’y a qu’une majorité, il y a toujours, dans le même temps, de nombreuses minorités, et toujours contradictoires.

Mais surtout, je pense que si s’ouvrir aux minorités, les comprendre, les respecter et les accepter tant qu’elles agissent dans le cadre de la loi, adhérer donc au mouvement Woke est essentiel ; faire notre leur idéologie, leur permettre de déroger à la loi commune et transformer ainsi le Woke en idéologie est une erreur. Oui ! le racisme doit être combattu, oui ! il faut faire notre maximum pour que les femmes soient égales aux hommes et aient les mêmes droits, oui ! il faut garantir la tolérance religieuse, oui ! chacun doit pouvoir revendiquer la sexualité qu’il souhaite vivre. Non ! aucune minorité ne peut exiger que la loi soit mise en conformité avec son idéologie. Et, s’il faut aller plus loin, je dirai que toute politique de discrimination positive, même si elle peut avoir quelques résultats de court terme, se révèle à plus long terme pour ce qu’elle est, une politique de ségrégation qui ruine le principe d’égalité des droits.

Et prenons garde aussi à ces dérives – puisque la woke attitude en est là, à ce point ou la démarche positive de défense des minorités se transforme en idéologie qui sacralise un fait identitaire, et où le politiquement correct risque d’adhérer à cette triste idéologie. Rien n’est sacré, mais tout est respectable ; et il n’appartient pas aux gens mis en cause de juger d’un éventuel manque de respect à leur égard, qu’il s’agisse de caricaturer le prophète de l’Islam, de se grimer en noir ou en femme, quand on est un homme blanc, ou qu’il s’agisse de prendre l’accent belge – une fois – québécois ou sénégalais – d’autres fois. C’est le bon sens qui doit permettre de comprendre l’intention : irrespect ou simple démarche éducative, artistique, politique ? méchanceté ou simple humour ? manque objectif de respect avec l’intention de provoquer ou mépriser, ou tout autre chose ?

Et puis, dernier point, l’idéologie woke serait moins problématique si elle ne faisait écho, et donc n’entretenait l’idéologie victimaire. Aujourd’hui, trop de gens se positionnent comme victime et sollicitent une reconnaissance de dette de l’État et surtout des droits singuliers qu’il faudrait leur accorder en guise de dédommagement. Cette posture de victime est nauséeuse. Je ne dis pas qu’un homme, une communauté ne doivent pas demander à la justice de lui, de leur faire droit pour avoir été outragés par un tiers ou par l’État qui doit le reconnaître. Mais si cette justice peut conduire à un dédommagement, elle ne peut ouvrir de droits singuliers.

Chacun est le produit d’une histoire, personnelle, familiale, nationale. Cette histoire est toujours complexe, parfois douloureuse. Au-delà de la juste revendication de cette mémoire, des réparations individuelles que la justice peut accorder, chacun doit assumer son histoire et ne saurait se complaire dans une posture de victime, avec ou sans le soutien d’un mouvement woke.

Dieu et lui

Réponse à un philosophe qui, pour avoir rencontré Dieu, a souhaité faire un livre pour en parler ; et qui n‘a pas sollicité cette réponse qu’il ne lira d’ailleurs pas.

Je veux bien croire que cette rencontre a dû bouleverser sa vie, mais nullement d’une autre. Et sa vie n’est rien, ni à l’échelle d’un temps cosmique, ni à celle de l’humanité. Que pèse un homme face à l’humanité ? Rien. Je concède que cette rencontre est le tout de sa vie, l’alpha de sa renaissance au monde et l’oméga de sa vie d’avant, vie d’ignorance et de doutes. Mais ce tout est un rien, rien pour ses frères et sœurs en humanité, un non évènement qui ne changera la vie de personne et ne fera dévier l’horrible trajectoire de l’histoire humaine d’aucune fraction de degré. Et le raconter n’apporte rien de plus, car si raconter peut être utile ou salutaire à celui qui se raconte, c’est sans importance pour le cours général des choses. N’est pas Paul de Tarse qui veut, et le monde interdit désormais ce genre de bouleversement, à moins que peut-être, Thomas Pesquet, là-haut…

On s’étonnera de ces lignes, on y sentira sans doute percer de l’agacement, de la colère mâtinée d’ironie méchante. C’est vrai que parfois je me demande un peu à quoi Dieu joue. Principe d’ironie, de cruauté disait Audiberti dans l’Abhumanisme.

Dieu se fout du monde. C’est un peu comme une fille qui aguiche les uns et les autres, dévoilant un peu trop haut sous ses jupons la nacre de sa peau juvénile, mais pour finir, sainte-nitouche, par se refuser à tous, avant de coucher, plus tard, de manière assez sordide, sa vautrer dans le lit d’un voyageur de commerce ou d’un soldat de passage.

Un livre programmatique de Juan Branco

Je lis beaucoup, probablement trop, ou trop vite. Et si la fiction ou la poésie me servent de récréation, mon goût me ramène toujours à l’histoire et aux essais, notamment philosophiques, et la politique y tient sa juste place. Se forger un point de vue, dévoiler certaines illusions, démasquer les faux semblants et les a priori, ne sont-ce pas les premiers enjeux de la philosophie ? défendre des idées, non des candidatures, l’essence de la politique ?

J’ai pu ici chroniquer quelques ouvrages, rarement. Je veux défendre le denier livre de Juan Branco, « Abattre l’ennemi », un livre formellement surprenant, mais aussi par le ton, sans doute du fait de la personnalité de son auteur, controversée : jeune homme brillant, si on le croit, promis à un avenir macronien, mais en rupture de ban. Je ne connaissais pas ce jeune avocat franco-espagnol de 32 ans, issu d’une famille d’intellectuels – famille bourgeoise intégrée des deux côtés des Pyrénées. Il mérite notre attention, d’être écouté et lu. Mais disons-le sans détour, la lecture de ce livre m’a pourtant gêné tant sur la forme que sur le fond, sans doute par les questions qu’il pose : qui est Juan Branco ? Où va ce jeune homme pressé ? Pour qui a-t-il écrit cet ouvrage ?

Mais cette gêne vient sans doute de l’architecte du livre et secondairement de son écriture. Il semblerait regrouper plusieurs textes, plusieurs projets qui mériteraient chacun sa forme, son style, son ton. Et c’est ainsi que je veux le critiquer, en évoquant successivement ces livres dans le livre que j’ai pris la liberté de titrer : Parcours d’un enfant gâté / Corruption des élites / Perversion et ruine de l’État / Manifeste révolutionnaire.

 

Qui est ce jeune homme pressé, personnage balzacien qui en peu d’années, à l’inverse d’un Macron-Rastignac, fait ce parcours improbable de Saint-Germain-des-Prés aux ronds-points de province, du cadre huppé et douillet du Flor aux aubes humides des ronds-points réchauffées au feu des palettes ? Lisant, comme il le raconte ce parcours d’un enfant gâté, j’ai soupçonné un mégalo brillant, mais parfois puéril, et par ailleurs un peu mythomane. Et cherchant à vérifier l’incroyable autobiographie qu’il nous sert, la véracité de son CV, je suis tombé sur cette déclaration d’Aurélie Filippetti avec qui il a travaillé pendant six mois. Elle aurait affirmé : « Il a travaillé quelques mois avec moi. Il était jeune et recommandé par Richard Descoings, l’ancien directeur de Sciences Po. Ensuite, il a exigé d’être mon directeur de cabinet lorsque je suis devenue ministre, à 22 ans. […] Quand j’ai refusé, il a vrillé totalement, affirmant avoir enregistré nos conversations […] et surtout plaidant l’idée que j’avais sacrifié mes idéaux, et lui-même, pour devenir ministre. […] Il est dangereux, intelligent et habile. […] Il est à la fois mégalo, mythomane et très, très manipulateur ».

Je ne sais pas. Son parcours est bien celui d’un jeune homme de bonne famille, brillant et ambitieux – je me souviens avoir entendu à la télé Brigitte Macron déclarer, à la fin d’un meeting qu’Emmanuel avait tenu avant même de se déclarer candidat : « mon mari n’a aucune ambition » –, et dont la trajectoire est en ricochets, sans autre cohérence que l’opportunité des rencontres et le goût du pouvoir. Et cette première partie aurait gagné à être plus claire, sans que pointe à chaque ligne un soupçon de prétention. Il est effectivement inutile d’en rajouter quand on a fait ce parcours : Juan Branco est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’École Normale Supérieure. Il a obtenu par ailleurs des masters en philosophie politique et en géopolitique. Il devient docteur en droit, puis avocat. Très vite, il entre en politique (auprès de Dominique de Villepin puis des Verts), mais passe aussi rapidement par le parti socialiste. Il se fait remarquer en s’opposant à la loi Hadopi puis devient conseiller juridique en France de WikiLeaks et de Julian Assange. Mais, il est aussi défenseur de Jean-Luc Mélenchon. D’ailleurs, en 2017, il se présente sans succès aux élections législatives sous la bannière de La France insoumise. Il apporte ensuite son soutien au mouvement des Gilets jaunes en défendant les figures du mouvement. En 2019, notamment dans « Crépuscule », il critique l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron. Parcours surprenant, formateur, initiatique. Et à la lecture de ce qu’il en dit, sans mensonges, mais sans vérité intime – ce qu’on regrette –, j’en suis resté à mes questions : qui est ce jeune narcisse ? un intellectuel germanopratin brillant égaré en politique ou un simple mégalomane ; un nouveau Paul de Tarse persécuté par le Système mondialisé ou un mythomane dangereux ; un vrai révolutionnaire ou un ambitieux machiavélien ; un converti ou un arriviste ? En somme, un homme qu’il faut prendre au sérieux et avec lequel il va falloir compter, ou un nouveau lanceur d’alerte qui sera bientôt mis au pas avant de sombrer dans l’indifférence des masses ?

Ce qu’il raconte est terrifiant et doit être lu. Est-ce pure mythomanie ? S’il court, gravissant les marches aussi vite, il semble aussi aller d’échec en échec, sans jamais pouvoir aller au bout de quelque chose, faire prévaloir une idée, émerger un projet, faire aboutir une réforme. Il va de rupture en rupture, dit se heurter à l’incompétence, l’incompréhension, le manque de courage, la corruption. Doit-on le croire quand il nous dit être devenu l’homme à abattre par le système national et international, surveillé et menacé par la CIA, le DGSE, le FSB russe, et qu’il ne doit sa survie qu’à son intelligence, sa parfaite connaissance des mécaniques institutionnelles et des forces en présence, sa capacité à élaborer des stratégies savantes pour échapper à ses ennemis, aux oligarchies qui gouvernent le monde et à leurs polices ? À chacun de juger.

 

Car, second livre (dans le livre), il dénonce notre prétendue démocratie, oligarchique, et sa corruption. Il dénonce, balance, donne des noms, relate des faits, étale des turpitudes à vomir, sème beaucoup de suspicion, en dit souvent trop ou pas assez. Qu’on lise et qu’on se fasse son idée sur le monde macronien, la façon dont quelques grands oligarques qui possèdent 90 % de la presse écrite et d’autres médias, tirent les ficelles, font l’opinion et corrompent l’État. Une critique n’est ni un résumé ni une recopie, et je me garderai de tout dire ici.

 

La perversion et ruine de l’État (ce que je vois comme le troisième livre) est corolaire de la corruption des élites. Et c’est la partie la plus intéressante de ce pamphlet, qui le sauve, fait qu’il vaut d’être défendu et mérite d’être lu, la dénonciation banale, mais ici percutante de la dérive de notre système et de l’extrême violence faite au peuple gouverné : un État obèse et glouton qui s’est construit au fil des décennies comme une redoutable machine à pressurer la nation, drainer le pays, et qui, en ces temps de raréfaction des richesses produites, épuise le pays en pompant ses forces vives et en saignant les travailleurs et les classes moyennes laborieuses ; et en ayant recours, quand le pillage ne suffit plus à ses appétits inextinguibles, à l’endettement.

Et c’est dans cette dénonciation de ces « Princes de la République », de tous ces « petits marquis » qui ont accès aux immenses ressources d’un État prévaricateur dont les deux piliers sont le fisc et la police, qui se gavent – on pense à « Vorace » de Vincent Jauvert –, que le réquisitoire du procureur Branco porte le plus. Des hommes et des femmes qui ne doivent leur poste, ni à leur compétence ni à leur valeur morale, mais à leur appartenance à une classe endogamique et à leur capacité à se soumettre et à entretenir le système. Il pointe d’ailleurs l’apparent paradoxe d’une classe qui, par son impéritie, porte atteinte aux capacités productives et d’innovation de la nation, à sa capacité à créer de la richesse, nous rend économiquement de plus en plus dépendants, et, dans le même temps, se montre de plus en plus dispendieuse, jusqu’à l’obscénité.

Et, seconde dénonciation, la prise de pouvoir des hauts fonctionnaires, « Maîtres de l’État et Princes du Petit Paris », qui ont « en quelques années atteint un tel degré d’impunité et d’emprise sur le pays qu’ils se trouvent aujourd’hui en position d’autoriser ou d’interdire aux forces politiques – une fois le pouvoir atteint – de véritablement l’exercer » (P218)

Enfin, troisième dénonciation de ce que je n’ai de cesse de pointer : après la saignée du malade chaque jour affaibli pour nourrir un système de gaspillage et de rentes, après la prise de pouvoir de la haute fonction publique, ce que je nomme l’attelage fatal de la bureaucratie étatique et du Marché. Juan Branco le dit ainsi « Les Princes de la République […] ont progressivement accepté de se soumettre à l’emprise oligarchique […] Ils forment aujourd’hui le maillon essentiel qui permet aux forces privées de puiser dans le commun » (P218). Et il revient, en l’illustrant abondamment, sur la collusion du Marché incarné par Arnault, Niel, Lagardère, Bouygues, etc., et ces corps d’énarques qui dirigent et la haute administration et la majorité des entreprises du CAC. Et, faut-il revenir sur le pantouflage, vrai scandale républicain, qui permet à des hauts fonctionnaires « d’utiliser les réseaux et connaissances que l’État leur a octroyés pour les mettre au service d’intérêts privés, contre ample rémunération » ? Et je rajouterai : en gardant le statut et les privilèges de la haute fonction publique.

 

Reste le manifeste révolutionnaire et programmatique que je ne veux dévoiler, mais dont je serai prêt à accepter nombre de propositions, même si je veux ici un peu l’abimer. Tout d’abord, son projet n’est pas idéologiquement fondé. Il nous parle de réforme institutionnelle très radicale, mais sans parler de démocratie (ce terme n’apparait presque jamais sous sa plume). Il ne nous parle pas de valeurs, même si la lutte, légitime et nécessaire contre la corruption, est un point nodal de ses propositions. Et puis, on le verra, son projet semble à ce point ficelé qu’il apparait fermé, dans sa forme non négociable, donc non démocratique. C’est un projet si radical qu’il ne peut être mis en œuvre que par un régime autoritaire, centralisé. Et puis, il y a quelques incohérences qui pourraient se résoudre par le dialogue, mais aussi des formules dont la violence effraye. S’agissant des incohérences, pour ne prendre qu’un exemple, comment renouer avec une grande politique d’aménagement du territoire, en considérant la commune (à l’image de la nation) comme un corps souverain ? Comment, en supprimant les régions, préserver l’attachement des Corses ou des Bretons à leur identité ? Et puis, comment imaginer que dans un pays qui a connu 5, 6, ou 7 républiques – cela dépend de la façon de les dénombrer – qui appartient aujourd’hui à l’U.E., qui est fortement marqué par la culture politique occidentale, on pourrait ainsi faire table rase, sauf à imposer une dictature révolutionnaire de type castriste. C’est méconnaître la peur congénitale des Français pour le changement, leur attachement viscéral à leurs habitudes. Qu’on se souvienne de nos révolutions : elles nous ont toujours ramenés à une forme de monarchie s’appuyant sur une aristocratie, noble sous l’ancien régime, bourgeoise depuis 1792. Et pour mettre en œuvre cette nouvelle république, ce nouveau Saint-Just nous propose des « tribunaux du peuple » de « droit spécial », « rétroactifs », avec « un pouvoir de sanction ».

 

Mais puisqu’il faut conclure, je ne peux que revenir à mes questions : où va Branco, quel est son but, et à qui destine-t-il son pamphlet ? Je ne saurais répondre et l’avenir s’en chargera. Mais je veux bien croire à son honnêteté intellectuelle et lui espérer un avenir politique. Et il est trop brillant pour qu’on ne souhaite pas le voir intégrer un mouvement naissant qui se dessine, mais reste informe et sans structure, et dont les Gilets jaunes constitueront peut-être les nouveaux sans-culottes aux bras nus. Mais Juan Branco devra apprendre à parler au peuple autrement que par un texte dont la forme achevée, mais inutilement sophistiquée, emprunte trop à la philosophie et à la poésie, et apparait ici pédante et illisible par ceux à qui il prétend tendre la main. Ce qui n’était pas le cas de « Crépuscule ». Il n’a plus rien à prouver à Saint-Germain-des-Prés où l’on peut priser ce ton ; mais il a encore beaucoup à prouver sur les ronds-points. Et puis, cette façon de dire « nous » n’a pas encore de sens. Ce nous n’est, sous la plume de l’auteur, qu’un moi ; mais il peut se construire en collectif. Reste à savoir s’il veut changer les choses avec le peuple, ou prendre le pouvoir par une révolution qui se fait toujours sans le peuple, ou en l’instrumentalisant pour des fins particulières.

 

Enfin, pour conclure en laissant de côté la moitié de ce que j’aurais voulu dire et défendre, je retiens ce qui me parait être le plus pertinent, le plus nécessaire, proposé ici, et sans quoi nous allons dans le mur :

  • Rendre une partie significative du pouvoir aux gens ordinaires ;
  • Interdire aux hauts fonctionnaires l’exercice politique ;
  • Construire un « mur de chine » entre l’Administration et le Marché ;
  • Retrouver notre souveraineté politique et une autonomie économique et industrielle ;
  • Rendre la France aux Français, qu’ils soient de souche ou fraichement naturalisés ;
  • Travailler pour retrouver nos libertés individuelles qu’un État liberticide a trop longtemps rabotées ;
  • Revenir sur notre modèle de développement.

 

Il n’y a pas d’autre chemin et c’est un programme, une plateforme. Le reste est affaire de négociation. « Nous nous mouvons guidés par un seul souhait : celui d’enfanter un monde sans la prédéterminer. »