Archives mensuelles : avril 2022

Blasphème

Hier après-midi, le beau temps m’a tiré de mon quotidien et je suis allé visiter une chapelle à Tréhorenteuc (l’église Sainte-Onenne, dite du Graal), près de Paimpont en Brocéliande. La campagne était belle, toute dorée d’ajoncs et de genêts, radieuse en cet avril chaud et odorant ; la petite chapelle fraiche, sereine, attirante comme un tombeau paradoxal où la vie semblerait gésir endormie sous ses dalles de pierre. Malheureusement, il y avait des touristes, et même un bus du Calvados. Les observant, eux et d’autres, je n’ai pu m’empêcher de penser à une remarque d’Orwell – c’est dans le quai de Wigan – et les mots qui suivent sont écrits dans les années trente par un socialiste « populaire » qui se plaint d’un certain socialisme bourgeois ; oui, d’une certaine forme de « bourgeoisie populaire » qui a ruiné le socialisme et m’agace aussi un peu. Il évoque avec autant d’outrance que d’humour les « buveurs de jus de fruits, nudistes, porteurs de sandales, obsédés sexuels, quakers, adeptes de la “vie saine “, pacifistes et féministes que compte l’Angleterre » et raconte son expérience d’alors comme j’aimerais vous conter la mienne de cette après-midi ; si, évidemment, j’avais son talent : « Cet été, alors que je me déplaçais dans la région de Letchworth, je vis monter dans mon autocar deux vieillards à l’air épouvantable. Ils avaient tous deux la soixantaine, tout petits, roses, grassouillets, et allaient têtes nues. L’un arborait une calvitie obscène, l’autre avait de longs cheveux gris coiffés à la Lloyd Georges. Ils portaient tous deux une chemise de couleur pistache et un short kaki moulant si étroitement leurs énormes fesses qu’on discernait chaque repli de la peau. Leur apparition dans l’autocar provoqua une sorte de malaise horrifié parmi les passagers. Mon voisin immédiat, le type même du voyageur de commerce, coula un regard vers moi et murmura : des socialistes ».

Peut-être m’excusera-t-on d’une citation un peu longue, mais je crois qu’elle en vaut la peine.

J’ai donc visité cette chapelle, bouleversé comme souvent par la magie d’un tel site, par la profondeur de la foi populaire de ses bâtisseurs en quête d’une forme d’absolu, de vérité qu’on ne peut malheureusement trouver ou, peut-être, simplement toucher du doigt, du cœur, ou de l’âme que dans l’extrême joie ou l’extrême douleur. La vérité de l’homme, celle du monde, n’est accessible que dans l’ivresse ou le plus profond des malheurs.

Sortant du lieu, je lisais cette formule peinte sur la voute, non pas « La porte est en dedans » qui est celle de l’abbé Gillard – paix à son âme –, formule qui en a fait réagir plus d’un, mais cette autre : « Enfant, souviens-toi, si ce monde est à toi, l’autre monde est à Dieu ». Ces formules m’agacent, c’est vrai : on y sent trop une forme d’intellectualisme, de rhétorique séminariste trop éloigné de cet esprit païen qui est le vrai socle, indépassable, de la foi populaire, celle des petits enfants que Jésus, à juste titre, appelait près de lui. Et on ne devrait pas peindre sur les murs de telles bêtises à l’attention des enfants. Non, ce monde n’est pas le leur, c’est celui de Macron, de Poutine et de leurs collègues ; un peu aussi celui d’Elon Musk et de Carlos Tavares. Quant à l’autre monde, savoir qu’il appartient à Dieu, s’il existe, c’est un peu dur. La liberté alors ! un monde à nous, pour nous, c’est pour quand ?

C’est fait

Ainsi donc c’est fait, il est réélu pour cinq ans ; et ce n’est pas une surprise, tout cela était annoncé depuis de nombreux mois. Mais je voudrais réagir à un sondage qui montre qu’une large majorité de Français souhaiterait un gouvernement de cohabitation – je lis en effet que selon un sondage Opinionway pour Cnews et Europe 1, « 63 % des personnes interrogées souhaitent qu’Emmanuel Macron ne dispose pas d’une majorité et soit contraint à une cohabitation, contre 35 % qui veulent qu’il dispose d’une majorité ». Évidemment ce sondage ne fera pas l’élection de juin.

Mais on voit donc, comme j’ai déjà pu le chroniquer, que l’élection présidentielle répond en partie à une logique de casting dans un monde fortement médiatisé. Un certain nombre de nos compatriotes – ils ne sont pas les seuls – voient le monde par les médias télévisés, comme un film. Et c’est encore plus vrai dans une séquence comme celle de la guerre en Ukraine. Et l’idée que l’on se fait d’un Président est influencée, à la fois par notre histoire monarchique et à la fois par nos références cinématographiques et notamment hollywoodiennes. Macron a donc été élu, car, pour une proportion sensible des votants, il était celui qui collait le mieux au rôle. Mais ceux-là mêmes qui l’ont poussé sur le devant de la scène, n’adhèrent pas nécessairement à sa politique et préfèreraient qu’il ne gouverne pas. 

Pour analyser une situation de cet ordre, dans une médiacratie, une société du spectacle, sans doute faut-il chercher aussi, aux situations des ressorts non politiques.   

S’abstenir

Il y aura donc un second tour cette fin de semaine. Je n’y participerai pas. J’ai en effet plusieurs raisons de m’abstenir, quitte à consacrer cette journée politique à défendre la démocratie, à faire de la politique, autrement.

La première raison est que voter, en l’occurrence, ne sert à rien : les jeux sont faits, les médias nous en ont rebattu les oreilles jusqu’à nous en convaincre ; et les résultats du premier tout montrent que, pour l’essentiel, ils ne se trompent pas.

Et puis (seconde raison), cette façon honteuse dont les médias, entre les deux tours, ont appelé à voter pour Emmanuel Macron … Trop, c’est trop !

Et puis encore, M. Mélenchon l’a dit assez justement, c’est bien le troisième tour qui compte ;

Mais surtout, et qui me lit le sait, je défends, comme ultime arme politique, comme ultime réponse démocratique face à ce que Michel Onfray nomme le parti unique, cette désobéissance civile que je pratique comme désobéissance citoyenne.

On peut aimer son travail, son usine, s’être battu pour obtenir cet emploi auquel on tient et néanmoins faire grève, ou ne pas vouloir se compter parmi les jaunes. Certains devoirs parfois s’imposent, une exigence de responsabilité ne plus nous laisser d’autres choix.

Une élection pour quoi ?

On pourra se passer de lire la présente chronique. Car je n’ai rien à dire de cette nouvelle élection présidentielle tant elle m’inspire peu. Je m’interroge simplement sur le sens de tout cela. On nous a expliqué depuis des mois qu’à l’issue du premier tour, on retrouverait les deux mêmes que la fois dernière : des heures de discours sur toutes les chaînes pour nous l’expliquer. C’est fait. Ce vote, couteux à organiser, n’a donc servi à rien ; il suffisait de qualifier les sondeurs et de s’en tenir à leurs dires. Ceux qui se sont déplacés l’ont donc fait inutilement. Avec ou sans eux, c’était pareil.  On nous annonce qu’Emmanuel Macron va gagner dans une semaine, bien qu’il n’ait annoncé aucun programme, mais des promesses contradictoires. Nous n’avons aucune raison d’en douter. Reste à savoir si l’écart sera plus ou moins grand. Mais ça changera quoi ? Reste le troisième tour. Mais on nous annonce une énorme abstention, c’est-à-dire une non-représentativité de la future Assemblée nationale. Tout ça pour ça … Il y aurait donc un devoir national à se mobiliser pour participer à un processus parfaitement stérile qui doit nécessairement aboutir à la reconduction d’un monarque, sans réelles valeurs, sans idées personnelles, sans étoffe, mais qui, à l’évidence est dans l’air du temps et donne une assez bonne image, mais triste, de ce que les Français sont devenus : des consommateurs embourgeoisés et dociles. Car sur les valeurs, c’aurait pu être l’occasion d’en parler, d’une manière très concrète ; mais qui en parle. La décence, par exemple, ce qu’Orwell nommait « décence ordinaire ». On apprend que le Directeur Général d’AXA, Thomas Buberl, pourrait gagner (salaire fixe, plus primes et actions gratuites) 6 900 000 €, soit 359 fois le SMIC. Cette personne « vaudrait » donc près de 360 fois un ouvrier de base. Est-ce décent ? Quant à M. Tavares, patron de STELLANTIS, sa valeur serait de 3 430 quidams payés au SMIC, soit 66 000 000 €. Qu’on imagine, un salarié payé 66 millions. Son salaire étant presque équivalent à la masse salariale de son usine d’Aulnay-sous-Bois (3 500 salariés). C’est un problème de valeur, de décence. Quel candidat en parle ?

Massacre à Boutcha

J’ai vu comme chacun les images des massacres de Boutcha. Si je n’avais pas peur d’être mal compris, compris à l’envers, je dirai que ce type d’horreur n’appelle aucun commentaire tant la chose et les sentiments qu’elle provoque sont indicibles. Il n’y a pas de mots, de formules pour rendre compte d’une telle horreur. La guerre est évidemment toujours une saloperie, et de tels crimes ont été commis de tout temps par toutes les armées du monde. Mais on croyait que le monde avait changé que le souvenir des temps de barbarie pourrait s’effacer. Non, décidément, je ne trouve pas mes mots. Reste à espérer que la justice passe et juge les armées ayant commis délibérément de tels massacres de civils, au moins depuis les cinquante dernières années afin de faire comparaitre les commandements militaires russe, américain, israélien, etc. (la liste est tristement longue).