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La pollution est un concept moral.

La pollution est un concept moral ; c’est sans doute ce qui explique chez moi, une certaine distance d’avec l’écologie politique. Et en utilisant cette accroche, je veux simplement remarquer que les processus qualifiés de pollution ne peuvent s’appréhender sous cette forme que du point de vue de l’homme, et sur le registre du bien et du mal.

Car polluer, au sens contemporain du terme – et notons cet usage récent d’un terme (première moitié du XXe) qui existait auparavant, mais utilisé différemment quoique déjà sur le registre de la morale, – c’est dégrader, salir, avilir ; non seulement transformer, altérer des qualités, mais les « tirer » vers le laid, le sale, l’impropre, l’impur. C’est donc, fondamentalement, rompre une forme d’harmonie naturelle. Cette idée est donc construite sur le présupposé rousseauiste[1] que la nature serait belle, bonne, propre à ses fins métaphysiques, qu’elle aurait atteint un état de perfection ; état stable et donc éternel, comme le déroulement infini des cycles quotidiens ou saisonniers. Mais cette vision des choses, et ici de l’univers comme cadre géométrique d’une incarnation  de la conscience, de l’Idée, est évidemment totalement subjective.

En effet, la nature passe en permanence d’un équilibre ancien à un nouveau, et quand une forme de vie adaptée à cet équilibre précaire et relatif émerge et s’y développe, il se trouve en symbiose, ou du moins dans une relation d’équilibre avec cet environnement qui est le sien, qu’il trouve harmonieux – pour peu qu’il en soit conscient – et déclare moral du seul fait qu’il réponde à ses besoins naturels et participe de la structuration de sa psychologie.

Qu’un volcan éructe dans l’atmosphère ses cendres sulfureuses ou vomisse une bave incandescente, qu’il sature l’air de souffre et d’acide ou brule sur ses blancs des forêts, on déclare qu’il pollue ; mais s’il pollue, c’est seulement du point de  l’homme et du vivant qui en souffre. Que la nature renaisse sur ses flancs carbonisés, ou que dans d’autres circonstances un écosystème nouveau se nourrisse du carbone présent dans l’air, alors l’environnement de l’homme se dépollue. Mais cela, toujours considéré de notre point de vue.

Imaginons que nous cessions de rejeter du carbone dans l’atmosphère, que nous laissions les végétaux le capter dans l’atmosphère, le stocker sous forme de bois, d’hydrocarbures ou de gaz, il viendrait un temps, où la vie deviendrait sur terre impossible, faute de permettre la photosynthèse.

La nature ne connait donc pas de pollution, elle ne reconnait pas le bon ou le mal, le propre ou le sale, le haut ou le bas , car, comme l’écrit Pascal (après beaucoup d’autres), « La nature est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part » ; l’univers ne connait que des mouvements, et des cycles, et tout processus naturel est symbolisable, non pas par un segment de droite, borné par deux points, d’entrée et de sortie – une cause et un effet –, mais par une orbe, dans le meilleur des cas[2], ou par le dessin d’une trajectoire chaotique. Car la géométrie de l’univers n’est pas droite, euclidienne, mais courbe. Comme Nietzsche l’enseigne dans son Évangile selon Zarathoustra, « Le milieu est partout. Le chemin de l’éternité est courbe ». Oui, la terre n’est pas un cube, comme les dés jetés du fatum, mais circulaire comme les stoïciens, sectateurs de la palingénésie, l’avaient intuité.

Oui mais, me direz-vous, « Que la nature soit amorale, cela nous fait une belle jambe ! N’est-ce pas le point de vue de l’homme qui doit prévaloir ici ? Que nous sied une nature harmonieuse et équilibrée où l’homme ne pourraient vivre et qui ne serait adaptée, et vivable que pour les cloportes, ou les scorpions ». Sans doute, mais il est toujours bon de relativiser, subjectiver la morale des hommes.



[1]. Il n’est évidemment pas le seul à s’inscrire dans ce schéma naturaliste, qui est aussi celui de toute la philosophie antique.

[2]. Mais je reconnais exprimer là aussi un point de vue moral.