Celui qui doute

Vieillir c’est aller vers l’essentiel, c’est-à-dire vers le Néant, se désincarner jusqu’à l’os, jusqu’à la partie la plus minérale de notre être.

 

Bien que doté d’un tempérament mystique – faut-il d’ailleurs écrire ici « doté », ou peut-être plus justement « encombré » ? –, je reste un esprit areligieux ; et si, tout gamin, j’ai souhaité être « enfant de chœur » – confondant sans doute enfant de chœur et enfant de cœur – et servir le curé de ma paroisse à l’office, c’était déjà avec ce tempérament revêche, ce besoin de croire empêché par un sens trop critique et un esprit libertaire. Oui, je n’aime pas les religions, car, non seulement elles nous distraient de l’essentiel, qui reste de se battre tous les jours, pieds à pieds, jusqu’à notre dernier souffle, pour rendre à l’homme sa dignité et à nos sociétés leur humanité, mais elles nous mentent et jouent d’ambiguïtés qui conviennent mal à l’étroitesse de ma raison. Et de ce point de vue, pour ne parler que d’elles, l’islamique et la chrétienne sont sœurs. L’Islam cultive de manière permanente ses deux visages, celui d’un islam des lumières, tolérant, ouvert à la modernité et compatible avec la démocratie ; et plus celui d’un islam conquérant, dont la charia reste l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire l’essence et le but, et la théocratie le seul système politique qui lui aille. Quant à l’autre, suivez mon regard qui se porte avec affection et horreur vers ce corps éventré qui pend au bois, elle nous donne à aimer un dieu qui à la fois serait père et juge ; et qui, donc, aurait la prétention de nous considérer comme ses enfants, c’est-à-dire au sens premier du terme, nous aimer ; et qui dans le même temps, ou plus tard, ce qui ne change rien, nous jugerait. Mais cela ne tient pas : on ne peut, tout omnipotent soit-on, et quoiqu’en dise notre morale, « chrétienne », tout à la fois aimer et juger.

Tempérament mystique, esprit trop étroit et Mécréant toujours, par conformation congénitale ; non pas homme-de-peu-de-foi mais bien, homme-sans-foi. Je ne crois ni à la matière ni aux lendemains qui chantent. Quel rapport ? Aucun ! mais c’est pour dire :  je ne suis ni matérialiste ni spiritualiste, et ne crois pas à la providence. Polnareff chantait dans ma jeunesse – c’était aussi la sienne, ce temps béni quand mon corps irrigué de désirs se croyait un destin : « On ira tous au paradis ! ». Non, je crois que nous n’irons nulle part, sauf peut-être les uns dans un trou, quand les autres s’en iront en fumée ; et le paradis comme l’enfer, c’est ici ou nulle part ailleurs. Je me méfie des idéologies, religieuses ou politiques, tout en restant idéaliste, mais sans y croire vraiment ; et si je refuse toute morale, c’est pour m’accrocher comme un mollusque à son rocher, à des principes d’un autre temps ; et je préfèrerais parfois mourir plutôt que de céder sur ce qui me parait essentiel et que les autres trouvent dérisoire et regardent avec ces yeux qui semblent dire : « Et alors, il est où le problème ? ». Il est sans doute que certains mollusques ne peuvent vivre sans leur rocher alors que d’autres se laissent, sans dommages, rouler par la vague.

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