Entredeux métaphysique

De même que je refuse de me laisser enfermer dans ce choix auquel parfois on m’invite, de me déclarer croyant ou athée, ou encore de confesser une philosophie spiritualiste ou matérialiste, je refuse au nom de mon individualisme forcené d’opposer le « je » et le « nous ». Je reprends ! quitte à céder à une certaine redite…

Déclarer, comme à la douane, croire en Dieu, à l’existence de divinités, d’un empyrée d’où des dieux fantasques nous regarderaient comme le Micromégas de Voltaire – cet exilé de Sirius – et son ami de Saturne, ou au contraire prétendre que les dieux n’existent pas, c’est toujours, à défaut d’en savoir quelque chose, croire. Je n’y souscris pas et, faute d’intuition claire, ne crois donc à rien, en cette matière du moins, et sans être le moins du monde agnostique.  

Quant à trancher entre matérialisme et spiritualisme, j’en reste là encore à la position de Voltaire sur la matière, telle qu’il l’évoque, toujours dans Micromégas : « Eh bien ! dit le Sirien, cette chose qui te parait être divisible, pesante et grise, me dirais-tu bien ce que c’est ? Tu vois quelques attributs ; mais le fond de la chose, le connais-tu ? – Non, dit l’autre. – Tu ne sais donc point ce que c’est que la matière ». J’en suis là, précisément, à ce point d’ignorance. La science nous le dit, à trop diviser les atomes, comme un oignon qu’on épluche, on finit par ne plus trouver que du vide, et de l’énergie. Et les êtres vivants ne seraient-ils pas que des arrangements de matière organique qui pensent, et l’esprit le produit d’une matière vivante ? Nul n’a encore apporté la preuve que l’esprit survit à la mort du corps ; mais qui pourrait affirmer le contraire ? Et si la matière est une réalité sensible, une pensée est tout aussi réelle, mais sous une autre forme et dès qu’elle est exprimée, elle a sa vie propre.

Enfin, je n’opposerai pas l’homme social et l’homme individuel. Mais je prétends que chacun d’entre nous est unique et se distingue des autres, même à l’intérieur de groupes sociaux apparemment très homogènes. Il n’y a donc pas d’homme universel, même si les humains partagent tous des caractères communs. Sinon l’anthropologie serait une science sans sujet. Et quand Joseph de Maistre écrit dans ses considérations sur la France : « Il n’y a pas d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; Je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être persan : mais quant à l’homme ; je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie », on peut lui rétorquer qu’il ne l’a simplement pas reconnu dans le Français, l’Anglais ou le Russe. Mais aucun homme n’est réductible à sa nationalité, à la religion de ses parents, ou encore à son sexe, sa couleur de peau, son statut social. Et si ses déterminismes naturels sont indépassables (sa nature, son sexe, sa race, ses principaux caractères morphologiques), il est libre de dépasser ou de s’affranchir des autres dons de sa naissance, de changer de nationalité ou de religion, d’appréhender une nouvelle culture, de s’extraire de son milieu social d’origine. Mais dans le même temps, il ne peut vivre qu’en société, engagé dans des liens choisis, parfois subis, qui le rattachent à d’autres, et, de mon point de vue, enraciné sur un territoire auprès de voisins. Mais sans abdiquer son individualité. Et personnellement, si j’admets l’évidence, à savoir que je suis un homme occidental blanc hétérosexuel, dire cela ne dit rien de ce que suis et montre à quel point on ignore ou on ne souhaite pas s’attarder à ce que je suis vraiment, comme être unique constitué pour un destin singulier et porteur d’une identité multiple, complexe et relativement fluide.  

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