Parole de mescréant

Non seulement je n’ai pas l’esprit de religion – et c’est une affaire de conformation psychologique, congénitale, la faute au démiurge qui m’a bricolé –, mais je défends une forme de laïcité antireligieuse ; et si je respecte, évidemment, les rites communautaires dans des espaces clos et dédiés à cela, un peu comme les plages naturistes, je milite pour une société aux mœurs, non seulement démocratiques[1], mais laïques, c’est-à-dire sans hiérarchies. Et quand je me fais philosophe, c’est pour défendre une philosophie non spéculative, non dogmatique. Car je crois que toute idéologie, tout dogme, toute religion sont des aliénations.

Mais celui qui mécroit peut-il se prétendre plus libre ? Je n’en suis même pas si sûr…

 

Je remarque en effet que celui qui croit est, de fait, plus sûr de lui, plus assuré de ses convictions, plus rassuré dans son confort spirituel. La foi guérit de la peur, la croyance religieuse calme l’angoisse et la douleur existentielle – c’est bien l’opium du commun. Et la peur, l’ai-je assez dit ?, est la pire des aliénations. Un croyant aliéné par sa religion est donc, dans le même temps, soulagé de sa peur, délivré… Vrai paradoxe, et pauvre mécréance !

Qu’il est difficile de vivre incrédule, fondamentalement sceptique, sans communauté de croyance, seul ! Regarde-toi mescréant, ta liberté est une guenille, un froc troué qui ne protège pas ton corps maigre, froid et nu comme la vérité que tu prétends servir !

 

Toutes les croyances sont l’expression d’un même rêve, celui d’échapper à la pesanteur de la nécessité ; et seul le croyant peut prétendre voler, planer dans le ciel, affranchi de la gravité de l’univers. Psychologiquement, échapper à la nécessité, c’est croire pouvoir dépasser les causalités biochimiques, croire au libre arbitre. Physiquement, c’est croire au miracle, à la suspension des lois naturelles, au possible effacement des nécessités physiques. Seul le croyant peut donc être libre, car lui seul peut croire à la liberté, et, partant, peut la faire exister dans l’espace de réalité qu’il crée par son discours. Le mescréant, lui, s’en tient à la responsabilité. J’y reviendrai, quitte à me faire aussi pyrrhonien pour expliquer comment le discours crée la réalité, à défaut de pouvoir mordre sur la vérité.

[1]. J’emprunte cette riche idée de « société démocratique » à Pierre Rosanvallon.

 

 

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