Consentir à la vie ou mourir

Aucun être n’échappe à sa nature, ou, pour le dire autrement, ne peut renier ce qu’il est. C’est ainsi que le chien aboie quand le chat miaule, ou que l’oiseau vole de branche en branche. Il est vain de regretter que le chien ne miaule ou ne vole ou encore que l’oiseau n’aboie ; et il est dangereux de vouloir y changer quelque chose. L’homme, être singulier – mais pas autant qu’il se rêverait –, n’y échappe pas. Il ne peut changer ce qu’il est ; tout au plus peut-il essayer de l’aimer. Et ce n’est pas si simple car nous n’avons pas tous une nature aimable, et, si la philosophie est une école de la lucidité, qu’elle se refuse à toute complaisance, le jugement peut alors être rude. Ceux qui ont la chance d’être aimés par leurs proches, des parents, un homme ou une femme avec qui ils partagent leur vie, peuvent mieux s’en sortir. L’amour cela sert à ça : à rendre l’autre aimable, et à le lui faire croire, parfois, par l’intensité d’un regard ; et donc à rendre la vie simplement possible. Que les amants sont beaux dans le regard qu’ils se portent ; qu’Elsa est belle dans les vers d’Aragon. Pour les autres, tant pis ; reste l’orgueil ou la pitié, trop souvent la religion.

On n’échappe pas plus à la vie ; à une vie que, pour l’essentiel, on ne choisit pas. Il nous reste à consentir à ce qu’elle veut, à accepter ce qu’elle nous donne, comme un plaisir dont il faut se presser de jouir ou comme une épreuve qu’il va bien falloir assumer. Mais il est inutile de se défausser, de se cacher ou de fuir. La vie nous retrouve, nous rattrape, et nous recadre d’une gifle, et avec d’autant plus de violence que nous avons tardé à répondre à ses injonctions capricieuses.

Et la liberté dans tout ça ? Et le libre arbitre ?

Le libre arbitre existe, je le pense, mais quand le “je” décide, c’est bien la question de la liberté du sujet qui est posée. La décision, elle, n’est pas libre, mais justement déterminée par le sujet, sa nature, son éducation, son histoire, et peut donc être, ou pas, suivant les circonstances, librement déterminée par ce sujet. Mais prétendre qu’à travers lui, ce sont ses appétits, sa culture, ses gènes qui décident, autant dire qu’à travers lui, c’est la nature qui décide, donc que le Tout décide de tout. On peut le prétendre, on peut aussi considérer qu’il reste dans ce Tout impermanent qui ondule, vibre, flue, une dimension contingente que la mécanique quantique nous a révélée. Quant à la liberté, sans surfaire cette idée, je prétends qu’on peut l’être, libre, au moins autant que bébé dans son parc. André Comte-Sponville le dit à sa façon (brillante) : “Il n’y a pas d’autre liberté que la nécessite en acte”

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