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Ni droite ni gauche ?

Ce clivage reste, et je reste de gauche. Mais le vrai sujet clivant est ailleurs : accepte-t-on le Système ou non ? À l’évidence, si notre président l’accepte, le promeut, le soutient, le renforce, les leaders de la France Insoumise et du Rassemblement National l’acceptent aussi, comme l’acceptent les socialistes mitterrandiens qui l’ont bétonné en créant l’U.E. ou encore les écologistes qui ne proposent que de le peindre en vert, comme on teinte une étoffe pour en masquer les taches.

  De quoi parlé-je ? Tout d’abord d’un système qui est à la fois économique et politique, depuis que la classe politique a fait alliance, voire allégeance au Marché, ce que je nomme l’attelage fatal de la Bureaucratie étatique et du Marché ; et dont la séquence coloniale, à la fin du XIXe siècle, a été la grande occasion : réinvention de l’esclavage, expropriation des indigènes, destruction et surexploitation de l’environnement – Relire Gide relatant son périple au Congo et les collusions entre les grandes compagnies concessionnaires et l’administration coloniale… La seconde occasion a été celle de la création d’une société du spectacle par une médiacratie qui est la bureaucratie du Marché.

Si l’on veut se convaincre de cette fusion des systèmes, il suffit de les écouter : ils ne nous parlent que d’économie et, quand on les interroge sur les sujets qui nous préoccupent, ils ne savent pas nous répondre sans nous parler encore et toujours d’économie, comme si la croissance du bonheur était indexée sur celle du PIB. Et comment mieux nommer ce Système qui est un système d’exploitation au sens informatique du terme, un OS, qu’en parlant de démocratie libérale ; un système qui n’est pas plus démocratique que libéral, et qui se reconnait justement à ce mésusage systématique des concepts (systématique, car il fait système). Plutôt que de donner en Occident le pouvoir au peuple et d’y construire des démocraties, on garde notre système ploutocratique et on le nomme démocratie. Plutôt que de construire un système libéral, on nomme celui que l’on privilégie libéral ou néo-libéral.

Plutôt que d’avouer que les deux principes majeurs du Système sont : dépendance et surveillance des populations, on préfère parler de confort et de sécurité des gens. C’est ainsi qu’on n’installe plus dans nos villes des caméras de surveillance, mais des caméras de sécurité. C’est ainsi qu’on justifie toute nouvelle mise sous tutelle, infantilisation des usagers par le souci de leur confort, confort des poules derrière les grillages de leur poulailler, des vaches au pré. Et je ne parle pas ici spécifiquement des services de l’État, mais de l’attelage fatal que je viens d’évoquer : car nous sommes tout autant surveillés par l’État que par le Marché, tout autant rendus dépendants par l’un que par l’autre. En fait, ils nous veulent comme des animaux de rente, nus, fragiles et dociles, de la naissance à la mort, sans rien posséder en propre, ni biens matériels ni désirs singuliers ni pensées propres, ni intimité, des enfants sous surveillance, sans vraies responsabilités et sans aucune autonomie. Donc sans liberté. Car la liberté, c’est l’autonomie, ce que j’appelle l’individualisme et qui est tout sauf un égoïsme.

 J’évoquais une absence de clivage… toutes les formations politiques que j’ai nommées et dont certaines rêvent de faire la révolution, c’est-à-dire de prendre le pouvoir par la force, acceptent ce Système, c’est-à-dire ces principes de dépendance et de surveillance des populations, le refus de la démocratie au profit d’une dictature bureaucratique et orwellienne qu’on qualifiera selon les circonstances, humanitariste ou religieuse, de contrainte climatique ou du Marché, une dictature de la raison technocratique ou du prolétariat ; mais il s’agit toujours d’idéologie, et certains en rajouteraient bien une couche. En fait, un clivage existe, mais doit être cherché ailleurs, justement entre ceux qui acceptent ce Système – appelons-les comme on veut : les approuveurs du monde, les conformistes… – et ceux qui le réprouvent, le contestent, le vomissent, le conchient. Et quitte à jouer sur les mots, à les revisiter, je distinguerai ici, pour prendre en compte la situation présente, les bourgeois et les réfractaires. J’aurais préféré revendiquer le terme d’insoumis, comme en d’autres temps je me disais mécréant, mais ces mots ont été préemptés et salis, soit en en les transformant en anathème, soit en pure formule de com, et précisément par des esprits totalitaires.